Ma Bohème

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Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ;
Oh ! là ! là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !

Mon unique culotte avait un large trou.
– Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
– Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou

Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur !

Arthur Rimbaud, Cahier de Douai (1870)

***

Enfant, regarde passer cette ombre evanescente, errant dans les sous-bois. C'est celle d'un rêveur que le monde a jeté. Il était jeune alors et, comme toi, passionné.

Sans un bruit, sans un mot, il a quitté les siens. Les esprits affranchis, chez lui, étaient bridés.

Ses pieds infatigables, chaussés de semelles de vent, l'ont porté très longtemps. Il voulait voir la capitale ; constater si, là-bas, les gens à la liberté étaient plus favorables.

Ses lèvres, enfant, égrainaient des vers de l'aurore au couchant. Son pain, il le gagnait par de menus travaux, ou le volait, parfois, selon la circonstance. Son lit était la mousse, sa couverture, le ciel immense. Les étoiles, ces coquettes scintillantes, lui parlaient longuement, et, à son tour, il leur faisait des confidences.

On le chassait souvent. Sa mine rebutait. Ses habits, faute de mieux, étaient tâchés, troués. Il vivait d'air et de rosée. Mais jamais il n'aurait troqué cette vie contre l'ancienne. Il était libre, mon Dieu ! Il n'avait plus de peine.

La faim, oui... mais les vers ! Le froid, oui... mais les rimes ! Il pouvait les écrire, les clamer, les chanter ! Et si, de temps en temps, quelqu'un l'écoutait, c'était pour lui une gloire digne de celle d'Auguste.

Mais les rêves, enfant, ont une part bien sombre. Un matin, on le retrouva, comme endormi dans l'herbe encore gelée. La nuit l'avait gardée pour elle. Sur ses lèvres dansait encore un vers, le premier d'un sonnet. Il s'était endormi, dans cette herbe si douce, vagabond pour toujours, poète pour jamais.

Mais ne laisse pas, enfant, cet exemple te hanter. Le monde n'est pas tendre avec ceux qui rêvent. Tu en feras l'expérience, toi qui crie liberté. Mais pour chaque mot que tu traces, sur ton grand cahier de poèmes, c'est une angoisse qui s'efface dans l'errance de cet esprit blême.

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