Jordan Twist (10)

5 minutes de lecture

Mercredi 24 février, 14h.

Je m'occupe de Betty en réfléchissant à hier. La façon dont le chef a pris soin de moi. Je me souviens pas de la dernière fois que c'est arrivé parce que sûrement que ça a jamais été le cas. Je le revois ce soir. Il l'a dit.

Un fort beuglement de Betty dans mes oreilles me tire de mes pensées. Elle est sensible, ma vache. J'ai dû appuyer trop fort en la lustrant. Je lui demande pardon et m'éloigne après l'avoir caressée. Je me dirige vers les lapins et m'installe dans leur enclos, donnant à manger à ceux qui osent s'approcher.

Elles sont curieuses, ces petites bêtes, mais sacrément peureuses. Y en a qui m'ont toujours pas accepté, même si ça fait plusieurs mois que je viens ici. Je me surprends à penser que pour une fois, les hommes - un homme - m'auront apprivoisé plus rapidement que ce qu'aurait fait un animal. Et ça me fait sourire comme un idiot. Je me sens un peu comme le petit noir, là, si méfiant et trouillard au début. Je lui ai donné un nom ; Dragibus. Il lui a fallu quelques semaines pour se blottir contre moi finalement. Maintenant, c'est souvent le premier arrivé quand j'entre dans leur cage. J'me sens comme lui ; on dirait qu'il a besoin de mes caresses. Moi j'ai besoin de l'attention de Narcis Parker. Je saurais difficilement expliquer pourquoi, mais je crois que son regard concerné quand il pose les yeux sur moi a beaucoup à voir avec ça...

Je sais pas s'il l'a vraiment compris comme ça ; le fait que je m'attache déjà, je veux dire. Parfois il part seulement... Comme l'autre jour avec le dessin. Je me dis qu'il reste uniquement parce que je lui dis de rester. Que si c'était Walter ou Foster qui lui demandaient il ferait pareil. Parce qu'il est attentif. Je sais pas ce qu'il cherche en faisant ça. C'est vrai, personne fait ça ici. C'est bizarre.

Je câline Dragibus entre ses deux oreilles, tendrement. Il adore, c'est son endroit préféré. Il se cache dans mes habits ; j'ai l'impression d'être sa tanière. Parfois, j'aimerais bien l'emmener dans ma cellule toute la journée. Et pis je me souviens qu'au moins lui est avec ses congénères et qu'il foule une petite parcelle d'herbe. Il a de la bonne bouffe.

Je réfléchis comme ça à des trucs cons pendant une heure et demi, et je fais un dernier tour de la ferme. Je nourris les cochons, je donne des graines aux poules, et l'heure passe vite. Martin fait déjà l'appel, on se retrouve bientôt à table.

Ce soir, c'est poisson et riz. Le poisson est blanc, il se détache en écailles, pile comme j'aime. J'en picore un peu, ça faisait un moment que j'avais pas eu envie de manger comme ça. Je soupire, content de moi, et mâchonne. Pour une fois, Wilson est en face de moi. On discute pas, il est juste là et c'est bien. Lui, il mange pas son poisson. Je sais qu'il déteste ce genre de trucs. Du coup je pique dans son assiette sans rien dire.

Il me lance un regard complice, mais il ouvre toujours pas la bouche. Il écoute ce que ça se dit à sa gauche. Foster, toujours enthousiaste, discute avec le nouveau ; le jouet de Beckett dont j'ai appris qu'il s'appelait Casta.

Le mec s'ouvre un peu plus aux autres maintenant. Surtout avec Foster, ils ont l'air de s'entendre. Je regarde à ma droite et je vois Moriarty. Je lui ai pas parlé depuis la dernière fois dans la cour. Lui aussi il écoute la conversation.

Je lui lance un regard et il a l'air de le sentir tout de suite. Ses yeux tournent vers mon visage et il me demande ce que j'ai d'un geste du menton.

  • Tu vas manger ton poisson ?

Le coin de sa lèvre s'étire, il pousse son assiette vers moi et repart dans la conversation qu'il espionne. J'attrape ce qu'il y a dedans et me régale, jusqu'à ce que je sente aussi un regard sur moi.

Lentement, très lentement, je tourne la tête. Et je croise son regard. Il me pénètre tant il est intense. Et il me fout la trouille. Je le lâche pas, pour rien laisser paraître. Beckett. Je serre un peu les dents. Il gagnera pas cette fois.

Sa tête penche à droite à gauche, sa langue revient sur ses lèvres. Il a gagné, je baisse encore les yeux. Il est obscène.

J'ai plus faim. J'ai envie de me lever de table pour plus supporter ça mais je sais qu'il me suivra. C'est encore pire. Quand le dessert arrive, des oranges à la cannelle, le picotement désagréable sur ma nuque s'arrête. Je tourne discrètement la tête, et je vois que Beckett observe le nouveau, maintenant. Je me dis qu'il doit lui convenir et j'espère pas avoir de visite après le repas. J'observe le nouveau aussi. Il est tout frêle, il doit avoir vingt ans. On voit à son expression qu'il en a bavé depuis la dernière fois. Au revoir l'innocence, coucou prison.

  • Fin du repas dans cinq minutes ! annonce l'un des gardes alors que j'ai toujours pas touché à mon dessert.

Je me redresse comme un piquet, débarrasse mon assiette et pars dans ma chambre. Plus que quelques heures et le moment le plus cool de la journée sera là. Sauf que ces heures-là, elles passent lentement. Vachement lentement.

Aujourd'hui, j'ai pu reprendre mes crayons de couleur. Alors j'ai dessiné un peu, pendant les pauses. J'ai même essayé mon aquarelle, mais j'ai mis la main dedans et maintenant une partie de ma bande est tachée de turquoise.

Là, j'attends sur mon lit. Quand je relève les yeux, il est que dix-neuf heures quinze, le temps libre est même pas fini.
Je sens le stress monter, alors je dessine encore plus frénétiquement. Bientôt il est là, tout bientôt. Enfin, pas moins de trois heures. Mais bientôt.

Lorsque j'entends les sifflements des matons qui annoncent la fin du temps libre, un grand nombre de mecs passent devant ma porte, s'arrêtent, repartent ou la frôlent. Et mon cœur s'accélère à chaque fois.

Finalement il entre, et tout mon corps se tend, et comme un idiot je me recroqueville au fond de ma cellule ; bien joué Dan, intelligent de lui montrer à quel point t'as peur.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Illuni ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0