Jordan Twist (14)
Samedi 27 février, minuit passée.
Je tourne en rond depuis que j'ai entendu sa voix dans un couloir. Il est pas loin mais il est pas venu me voir.
Cette fois, mon aquarelle est sous mon livre, sur mon bureau. C'est difficile de l'avoir à côté de moi. Je l'ai entendu parler pendant plus d'une heure avec Walter, juste des chuchotis indiscernables.
Maintenant, mes yeux sont fixés sur la poignée de la porte, j'attends qu'elle s'abaisse.
Je comprends pas pourquoi il est parti hier, il est pas revenu depuis, on n'a pas pu s'expliquer. C'est à cause de cette histoire de sexe ? Je pensais que ça lui ferait plaisir...
Au milieu de mes réflexions, quelqu'un toque avec fermeté à la porte.
- Tout va bien ici ?
C'est sa voix. Sa voix grave et neutre de policier.
- Non, je dis assez fort pour être entendu.
- Ok. J'envoie Julien.
- Non ! je crie en déverrouillant ma partie.
Le cliquetis d'ouverture résonne dans la cloison. J'ouvre aussitôt la porte et je tire son bras à moi pour qu'il entre ; je referme derrière nous. Le silence retombe dans la pièce.
- Dis-moi ce que j'ai fait hier soir.
Il croise les bras.
- Ouais. Dis-moi donc ce que t'as fait hier soir, il me nargue. À part offrir ton corps comme si c'était rien, en pensant que c'était à mon avantage et que j'accepterais de te faire ça sans que t'en aies envie. Dis-moi, Jordan.
Je me le prends en pleine figure.
- Je pensais te faire plaisir.
- Ouais, c'est clair, ça m'aurait fait super plaisir, il siffle, puis il s'en va de l'autre côté de ma cellule.
- Ok, je suis désolé, je me suis mépris d'accord ? J'aurais pas dû.
Je croise les bras.
- J'ai mal interprété...
Il se retourne vers moi vivement.
- Interprété quoi ?
- Je sais pas. Rien, je réponds quand je vois que j'ai dit de la merde, et je baisse les yeux.
- Dis-moi.
- C'est - peut-être que j'avais juste, envie que vous me fassiez encore des câlins…
- Je croyais qu'un câlin c'était mieux que du sexe.
- Je suis prêt à tout donner pour un câlin.
- C'est pas payant chez moi.
- Pourquoi tu m'en fais pas alors ?
- Parce que je suis en colère contre toi.
- Mais pourquoi ? Je m'excuse ! Je vois pas pourquoi t'es fâché !
Je viens vers lui, j'attrape ses mains que je pose sur mes hanches.
Il sourit tout doucement - je le vois presque pas - et ses bras reviennent mollement le long de son corps. Je pince les lèvres, agacé. Qu'est-ce que je peux faire pour qu'il m'enlace ? Je reprends ses mains et les pose sur mes épaules, me coinçant contre lui pour que ses bras retombent pas.
Pourtant, je sais pas comment il fait mais il arrive à les laisser tomber une fois encore. Je gonfle les joues et regarde autour de nous. Je le tire à moi en reculant jusqu'au lit et je le fais tomber sur mon corps.
- Maintenant t'es obligé.
Lui, il roule sur le petit espace entre mon corps et le mur et finit sur le dos.
- Narcis… je grogne en venant sur lui.
Je me cale contre son cou, comme une boule, les poings entre nous.
- Fais-moi un câlin, j'exige.
Il n'y a qu'une seconde de silence, puis il souffle un ok en m'entourant de ses bras.
- Ouais… je murmure en souriant, enfin satisfait.
- Bon. Qu'est-ce qui allait pas tout à l'heure quand j'ai toqué ?
- Tu me manquais. Julien aurait pas pu régler le problème, je marmonne dans son cou.
Il échappe un petit souffle, et je sais que c'est parce qu'il sourit.
- Et alors ça va mieux, là ?
Il est un peu ironique, et il me serre beaucoup plus en disant ça.
- Mouais.
- Mouais ? Que mouais ?
Ses bras retombent sur le matelas.
- Nan ! Si ! Remets tes bras ! Ce sera un gros oui si tu m'enlaces au moins cinq minutes.
Je sens un de ses doigts remonter ma hanche.
- J'ai besoin de ma dose...
Sa main se pose finalement sur mes reins, l'autre va vadrouiller sur ma nuque, et ça me fait frissonner, j'adore quand il fait ça. J'aurais envie de bisous maintenant. Je peux pas lui demander ça. Je veux pas qu'il reparte.
- Alors, cette journée ? il finit par dire en jouant avec les petits cheveux derrière mon cou.
- J'ai pas été sage. Mais tu vois, personne m'a tapé.
Je souris.
- Pourquoi t'as pas été sage ? il grogne en appuyant un doigt sur mes reins, sûrement pour me punir.
Je couine et mords un peu sa peau.
- Un type est venu me faire chier. Et j'étais énervé parce que t'es parti hier.
- Et alors ?
- Je lui ai donné une correction.
- Et alors ? il répète.
- C'est tout, je grogne.
- Qui, quoi et pourquoi, il fait en appuyant encore.
- Aïe.
Je me réfugie dans son cou.
- Clinton. Je lui ai envoyé mon poing dans la figure. Il m'a provoqué en me bousculant exprès.
- Et tu t'es rien pris en retour, mh ?
- Non, je rigole. Un agent est arrivé avant.
- Et tu t'es pas fait consigner ?
- Non. Il m'a pas vu le frapper, je souris.
- Mais maintenant je le sais. Et je suis gardien. Je vais te dénoncer et tu vas payer pour tes actes. C'est pas bien de frapper les autres détenus.
- Eh ! Je te l'ai pas dit comme à un agent ! T'as pas le droit de faire ça… (Je lève les yeux pour le regarder). Et il le méritait.
- Il t'a seulement bousculé. Et j'ai tous les droits, il sourit en coin.
- Narcis…
Je fais la moue, suppliant. Il secoue la tête.
- Si tu me dénonces je partirai sûrement en isolement…
Je caresse son cou du bout des doigts.
- Ça t'empêchera d'en taper d'autres.
- J'en taperai pas d'autre, je siffle. Il me reste que deux nuits avec toi. Me laisse pas les passer ailleurs.
- Mh. Ok.
Je repose mon menton sur son buste, rassuré.
- Alors, t'es pote avec Casta ?
Il me sourit légèrement, hésitant, ses yeux dans les miens.
- Casta ? Oh, le petit gars. Ouais, enfin, je crois qu'il m'aime pas. Mais j'ai parlé un peu avec lui.
Les pas des gardiens résonnent dans le couloir et Narcis se tend légèrement sous moi. Ses doigts se bloquent sur ma nuque.
- Mes mots. Tu les as encore, hein ? Jette-les.
- Quoi ? je chuchote. Non !
- Quoi ? Pourquoi non ? Tu dois les jeter.
- J'ai pas envie ! Ça me rend heureux quand je les regarde. Ça fait du bien quand t'es pas là.
Je me crispe. Je veux pas jeter ce qu'il a écrit. Lui il soupire et réfléchit un moment.
- Cache-les, alors. Mieux que ce que tu fais. Il faut pas que les autres les voient. Martin les a vus, il murmure quand on entend encore des pas devant ma porte. Il croit que tu couches avec Casta. Et qu'il couche avec tout le monde. Cache-les.
- Pourquoi Casta ? Pourquoi il les aurait vus ? Il a rien à faire dans ma cellule quand j'y suis pas, pas sans mandat, je commence à m'énerver.
- Cache-les seulement. Ok ? Et fais attention à Casta.
- Ouais. Pourquoi je dois faire attention à lui ?
- Ils pensent qu'il se prostitue, à cause de mes mots, il m'explique.
Il penche la tête et ajoute:
- Et de ses cris.
- Ça m'étonne pas, je hausse les épaules. Qu'est-ce que tu veux que j'y fasse ?
- Fais attention à lui. Qu'il s'en prenne pas trop dans la gueule. Ok ?
Il tire sur mes cheveux pour relever ma tête et que je le regarde. Je cligne des yeux plusieurs fois. Pourquoi j'aime bien ça moi ?
- Ouais. Okay. Je le surveillerai.
Il sourit et hoche la tête. Des pas reviennent, puis ils s'éloignent tout de suite. Il y a jamais eu autant de circulation ici.
- T'as peur ? je lui demande.
Ses sourcils se rapprochent et son nez se fronce.
- De quoi ?
- Qu'un surveillant entre, qu'on nous surprenne comme ça.
- Ouais, un peu. Je sais pas comment j'expliquerais ça, il pouffe.
- Dis-moi. Comment t'expliques ça ?
- T'avais besoin d'un câlin. Mais l'expliquer aux mecs, ça c'est une autre histoire.
- Pourquoi tu me fais des câlins quand je te le demande ?
- Parce que tu me le demandes et que je t'aime bien.
Il me fait un sourire moqueur.
- J'ai tort ?
- Ouais. Mais je crois que la plupart du peu d'agents qui m'aiment bien m'enverraient chier.
Il hausse les épaules. Il a pas l'air de s'en formaliser.
- Te plains pas. Tu aimes ça quand on est tous les deux comme ça.
- C'est le seul truc que j'aime ici, je confirme.
- Tu resteras avec Wilson et Casta, pendant la semaine, hein ? J'te fais confiance pour pas faire le con, il appuie encore sur mes reins avec tous ses doigts cette fois, et je me cambre un peu.
- T'inquiète. Je voudrais surtout pas perdre mon pari et coucher avec toi, je me marre.
Il roule des yeux.
- C'est quoi le pari, alors ? Que tu sois pas bleu ou que tu te prennes pas de coups ?
- Que je sois pas bleu. Pas prendre de coup est impossible, je ris.
- Ok. J'espère que tu gagneras.
Sa main recommence à caresser ma nuque lentement, il a fermé les yeux. Je me laisse faire, me frottant un peu à lui parfois. Sa respiration est lente, il semble apaisé.
Je laisse mes lèvres se promener sur son cou. Je l'embrasse pas, juste... Je le caresse. C'est juste une caresse. Elles sont sèches, en plus ; alors il doit même pas le sentir.
- Tu mets un after Shave qui sent bon.
- Ouais ? Merci.
Il rigole et son cou vibre.
Ça me donne envie de le mordre. On est bien là. Je voudrais qu'il reste toute la nuit. Je bouge et me resserre contre lui quand je réalise que c'est pas possible. Son pouce bouge sur mes reins et ça froisse mon tee-shirt.
- Il est tard, il murmure.
- Je m'en fiche…
Je passe mes bras autour de son cou.
Il se relève - un peu difficilement à cause de mon poids - et finit assis sur ses fesses, moi sur ses cuisses, toujours agrippé.
- Lève-toi un peu, que je remonte vers l'oreiller.
Je me redresse, à cheval sur lui, et le laisse faire en veillant à ce qu'il m'échappe pas. Pas fou. Mais il tente rien, il se laisse simplement retomber sur mon matelas, la tête sur le gros coussin. Ses mains ont migré durant l'opération, elles sont sur mes hanches maintenant.
- Et toi ? je demande en le regardant, un peu plus bas que lui.
Il a l'air de chercher un moment, puis il me demande de quoi je parle, sans rouvrir ses paupières.
- T'aimes me câliner ?
- Ouais.
- Tu fais ça avec d'autres gars ?
- Te câliner ? il rit. Nan, pas à la prison. Je me vois mal prendre Walter dans mes bras.
- J'aurais pas envie que tu le fasses.
Il rouvre tout de suite un oeil.
- Ça veut dire quoi ?
Des pas arrivent rapidement et s'arrêtent à la porte avant que j'aie le temps de répondre.
- Narcis ? T'es là d'dans ?
C'est Julien, et il a l'air un peu paniqué.
Je me mords la lèvre - j'ai envie de tuer Julien - et je me recule pour le laisser se relever, m'asseyant au bord du lit comme si de rien n'était.
- Tu reviens après ? je murmure.
- Si je peux.
Il se met sur ses pieds et s'époussette.
- Ouais, j'suis là Julien ! J'arrive, il dit plus fort en remettant son tee-shirt d'aplomb.
Je passe derrière lui, mes mains sur son ventre, et je l'enlace une dernière fois, brièvement mais fermement, avant de le libérer et de m'installer à mon bureau sans me retourner.
Quelques secondes après, la porte se reverrouille. Je me retrouve seul face à ma feuille, blanche.
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