Daniel Twist (26)
Mardi 22 mars, 21h45.
C'est après-demain, et je suis encore perdu. Je devrais tuer Beckett avec. On n'en a pas reparlé Narcis et moi, depuis la semaine passée. Je dois discuter avec lui cette nuit. Je vais pas pouvoir dormir de toute façon. Ni demain. Je dois savoir quoi faire maintenant. Dans trente minutes il devrait me rejoindre.
Beckett est repassé cette semaine, deux fois. Mais il m'a laissé tranquille hier et aujourd'hui, et je me sens revigoré. Du coin de l'oeil, je vois la petite palette que m'a amené Narcis, posée sur son piédestal de feuilles, et je l'ouvre. Je vais dessiner encore pour lui. Pour qu'il se souvienne de moi quand je ne serai plus là, peut-être ?
Je commence par préparer mon matériel. La feuille granuleuse est posée juste devant moi, mes crayons sont taillés et juste sous ma main. J'inspire plusieurs fois... Et je commence. Je suis heureux de me rendre compte que je connais ses traits par coeur désormais. Il faut dire que je l'ai beaucoup plus regardé, depuis les dernières fois. Et de bien plus près.
Ça me fait sourire quand j'y pense. Je dessine doucement ses contours au crayon, pensif. C'est bientôt l'heure... Je me presse pas. Peut-être qu'il faudrait, si je veux lui donner à temps ?
L'heure tourne, il est déjà 22h30. Encore quelques minutes plus tard, quelqu'un frappe à ma porte. Je me tends comme d'habitude, la regardant s'ouvrir pour découvrir Narcis qui m'envoie un petit sourire. Je me relève directement pour aller l'embrasser. Ce petit instant où je l'aperçois enfin et peux me jeter dans ses bras... C'est mon moment préféré. Je remarque pas tout de suite ce qui a changé, je l'embrasse d'abord plusieurs fois, puis je comprends. Il avait un air un peu fatigué, sous son sourire. Et il me serre moins fort que d'habitude, ses lèvres se plaquent moins fermement à ma bouche.
Je me recule légèrement pour l'observer, le questionnant des yeux. Il fait seulement le même sourire.
- Comment tu vas ? Tu m'attendais ? il demande en laissant retomber ses bras le long du corps, et il se dirige déjà vers mon lit.
- Ouais, je souffle, en restant là à le regarder.
- J'ai dû rester un peu plus avec les collègues, aujourd'hui.
Il se laisse tomber sur le lit et ouvre son gilet. J'avais pas remarqué comment il faisait ça naturellement, dans ma cellule. Je hoche la tête.
- Faut qu'on... discute…
- Ouais. Ouais…
Il soupire.
- Je peux m'asseoir ?
- Quoi ?
Il relève un oeil sur moi et se recouche ensuite.
- Ouais, bien sûr, vas-y.
Je viens à côté de lui, les mains sur mes cuisses. Il dit rien, ses yeux sont même fermés.
- Tu peux... Je sais pas… j'essaie.
Je trouve pas mes mots.
- J'ai attendu d'aller en taule pour pouvoir enfin faire ça. Ça fait des mois que j'attends cette date malgré les opportunités...
Narcis hoche la tête, sans rien dire de plus. Il a vraiment l'air fatigué, d'ici.
- Narcis, c'est juste... Je vais rester ici. J'ai aucun avenir. Je... Ça empirera pas ma peine puisque je suis déjà emprisonné pour une durée indéterminée. Alors à moins que tu trouves une solution miracle...
Je le regarde rester muet, puis une goutte pointe au bord de sa paupière fermée ; et la larme roule sur sa joue, silencieuse.
- Narcis… je murmure en me penchant sur lui. Je suis désolé... Je sais pas... Je sais pas ce que je peux faire. Je suis coincé ici, c'est, ça a pas de sens…
- Est-ce que…
Une autre larme coule sur sa peau.
- Est-ce que je t'ai rendu heureux ? il dit assez difficilement, d'abord les yeux embués sur le plafond, puis à nouveau refermés.
- Ouais. Plus heureux que jamais, je murmure en enfouissant ma tête dans son cou.
- Ok, il renifle. Ok.
- Je veux rester avec toi... Je rêve de rester à tes côtés…
- Et s'ils te transfèrent ? Si, pourquoi, si je te rends heureux, pourquoi tu veux partir ?
J'entends sa voix se bloquer dans sa gorge.
- Je... Je sais pas, Narcis, c'était prévu comme ça... J'ai... Je dois... Je sais plus...
- C'était prévu comme ça, mais, il y a eu moi depuis, il couine.
Quand je relève les yeux pour le voir, les siens sont fortement plissés.
- Ouais. T'as tout changé…
- Alors reste avec moi… il murmure si bas que j'ai peine à l'entendre.
- Si tu restes avec moi tu seras coincé Narcis... T'as aucun avenir avec un type comme moi... (Je vois son visage se contracter un peu plus, puis il hoche la tête, à regret). J'ai besoin de toi, je murmure contre lui.
Ses mains remontent lentement sur mon corps alors qu'il renifle une nouvelle fois, puis elles finissent sur mes reins, serrant fort mon tee-shirt.
- Est-ce que... Est-ce que tu crois que je vais devoir te dire adieu ? il murmure sur mon oreille, la voix éteinte.
- Je sais pas. J'en sais rien. Si ça devait arriver je... Je le ferais quand t'es d'après-midi pour pas que t'y assistes.
Ça sonne tellement faux de mourir maintenant. Mais ça le mène à rien. Il peut pas être avec moi. Et si je suis pas avec lui alors je sais plus pourquoi je vis. Je sens ses larmes rouler dans mon cou.
- Je veux que personne y assiste, il dit entre deux sanglots ravalés. Fais pas ça.
Il me supplie presque, et sa tête s'étire vers l'arrière pour ravaler ses larmes, les yeux braqués sur le plafond.
- Je pourrai jamais sortir d'ici Narcis… je murmure, en pleurant silencieusement. On peut pas faire ça...
Ses jambes se rabattent sur mes hanches, il me tient prisonnier, lui sous moi.
- Alors le fais pas. Laisse Randall tranquille, attends la fin de ta peine, elle va arriver. Aggrave pas ton cas.
- Y aura jamais de fin, j'ai une peine indéterminée parce qu'ils me laisseront jamais sortir !
Je pleure vraiment cette fois.
- Tu sais pas ! il crie.
- Ils sont sûrs que je vais récidiver, ils me laisseront jamais dehors et même si ça devait arriver ce serait pas avant au moins dix ans !
- Ok. Ok pour dix ans, il dit tout à coup, les yeux mouillés posés sur moi. Tu préfèrerais mourir ici que de sortir dans dix ans ?
Son regard est intense, il me jauge avec sérieux et désespoir.
- Mais je dis ça au hasard Narcis, ça peut être dans vingt ans ou jamais !
Il grogne fort, puis sa tête retombe d'un coup sur le matelas, il est frustré ; et ses jambes -tous ses muscles - se relâchent.
- Pourquoi tu m'as demandé d'être avec toi si c'était pour ça ? il fait avec une respiration lourde, les larmes encore là. T'as pas pensé à moi quand tu partirais. Alors que tu savais que t'allais le faire.
- J'ai été égoïste, tu me faisais tellement de bien…
Je l'entoure de mes bras et le serre fort contre moi.
- Alors c'est décidé ? Tu me laisses ? Tu vas le faire ? Jeudi... Jeudi, c'est fini ?
Il y a un moment de silence. Puis soudainement, je sens toute la tension accumulée dans mon corps se relâcher ; je secoue la tête, les yeux dans le vide.
- Comment tu veux que je le fasse, maintenant ?!
Sa tête se relève tout de suite et son regard a changé d'expression. Il est plein d'espoir.
- Tu vas pas le faire !?
- Je peux pas le faire maintenant Narcis, je suis amoureux de toi… je souffle, démuni.
Où est-ce que ça va me mener...
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