Narcis Parker (57)
Mardi 26 avril, 00h40.
L'alcool commence à me monter à la tête. Mon verre auparavant rempli d'une caïpirinha bien tassée claque sur le comptoir. La musique résonne dans mes oreilles, j'ai l'impression que mon cerveau danse la polka dans mon crâne. Puis je repars au coeur de la foule pour danser. J'ai perdu Maxime depuis un moment déjà.
Quelqu'un arrive derrière moi et pose ses mains sur ma taille pour me faire faire certains mouvements du bassin. Mes yeux papillonnent lentement avec l'alcool. Je sens que mon tee-shirt blanc colle sacrément à ma peau. Il fait putain de chaud ici !
Je tourne aussi rapidement que possible la tête - c'est à dire pas du tout - pour voir qui vient de me coller par derrière. Une jolie brune me fait un sourire craquant en dansant tout proche de moi. Pendant un instant j'ai l'impression de reconnaître Jess. Mais non, du tout. Elle me fait un petit signe de la main puisqu'on ne s'entend pas crier. Je lui offre un sourire que je juge un peu trop mou, alors je recommence en montrant mes dents. Elle a l'air heureuse, me fait signe en direction du bar. Elle veut m'inviter à boire un verre. Sauf que je suis pas sûr d'en avoir envie, là. Mais je m'y dirige pour échapper au bruit de la piste de danse. Une fois là bas, elle me demande d'une voix plutôt grave et sensuelle ce que je veux, et se commande un sex on the beach.
- Eau, je parviens à dire avec une bouche étonnamment pâteuse.
Beurk.
Je m'adosse au comptoir, les yeux un peu vitreux sur la piste. Elle bat de ses longs cils avec une petite moue mais vu mon état d'ébriété elle insiste pas et commande un verre d'eau à cinq euros. Je fais encore un grand sourire reconnaissant. On boit et elle attrape ma main, pour retourner danser.
Je suis en trottinant, les doigts accrochés à ma prise pour être sûr de pas m'éclater au sol. Le serveur m'a définitivement trop servi. Elle me fait encore un énorme sourire en collant son corps ferme au mien. Mon cerveau s'échappe un instant alors que je me demande si j'hallucine pas et que c'est pas Maxime contre moi, finalement.
Elle continue de me regarder et sa tête vient se poser contre mon épaule alors que la musique se fait plus latino. J'aime ce genre de titres. Ça me donne une bouffée de chaleur. Elle commence alors à danser collé-serré contre moi. Ma main glisse au bas de ses reins et je suis le rythme. D'un coup je sens un truc entre nous. Son téléphone ? Mais elle est en robe... Elle a pas de poches.
Alors je donne un coup de bassin. Et c'est confirmé. C'est bien un sexe imposant et bandé. Elle - il ? - réagit aussitôt en posant les mains sur mes fesses pour me coller encore plus contre elle / lui. Je soupire - je gémis peut-être même un peu, j'entends pas bien. Mon front se pose sur son épaule et je continue à danser.
- On peut aller trouver un coin plus tranquille mon beau, elle dit tout contre mon oreille pour se faire entendre.
Mon dieu. Un homme dans une femme. Une femme dans un homme. Les deux en un. Un pénis et des seins. Si c'était pas un fantasme, je crois que ça l'est maintenant. Il / elle tire déjà ma main en direction de la sortie du club. Mais je peux pas partir sans Maxime. Alors je l'avertis. Elle me dirige alors vers les toilettes avec un sourire entendu.
- Quoi ? je m'emmêle en me cabrant d'un coup.
Pourquoi on va là-bas ? Je veux pas aller aux toilettes. Elle me regarde de haut en bas, aguicheuse et se rapproche encore de moi.
- Je vais te faire tout un tas de choses que tu vas adorer chéri, elle ronronne à mon oreille de sa voix grave.
- Quoi ? Non ! Enfin, non, quoi ?
- Allez j'ai bien vu que t'en meurs d'envie... Je te ferai que du bien, promis…
- Mais... mais quoi ?
Je suis totalement perdu. Je sais même pas ce que je demande et Maxime est nulle part en vue. Et s'il lui était arrivé quelque chose ? Sa langue caresse mon cou et l'embrasse, experte.
- Non, pas la langue ! je proteste en posant mes mains au dessus de ses seins pour la repousser.
- T'aimes pas ça ? elle rit. Ils ont l'air vrai tu sais. Tu peux toucher.
Elle pose ses mains sur les miennes pour les faire descendre un peu. Et je tâte. C'est incroyable alors je le fais savoir.
- Waw ! Alors là ! Comment c'est possible ! C'est tout, tout bien fait ! je dis en désignant son corps entier.
- Ouais. Ils m'ont coûté cher, elle rit. Si on va dans un coin plus tranquille je peux même te les montrer…
Ma mâchoire se décroche presque tant j'ai l'impression d'ouvrir grand la bouche.
- T'es incroyable.
- Ouais, on me le dit parfois, elle rit. J'ai encore pleins d'autres secrets incroyables...
Elle fait descendre une de mes mains sur son entrejambe.
- Hé ! je proteste en pressant tout de même mes doigts dessus avant de reculer - moi et ma main baladeuse. Je veux pas faire ça, en fait. Enfin, je peux pas et je veux pas à la fois. J'ai quelqu'un. Je sais pas ton nom.
- Appelle-moi Sandy.
Elle attrape ma fesse.
- Si ton quelqu'un le sait pas ça lui fera pas de mal…
- Mais je vais lui dire ! je m'offusque tout de suite. Enfin, non, rien du coup.
Mes sourcils se froncent. Elle rit, une main devant la bouche.
- Allez, t'as envie, je t'ai senti bander avant…
- Moi ? Nooooooon !
J'allonge le mot et ça me fait rire. Elle sourit aussi en me maintenant proche d'elle, une main sur ma taille.
- Si je te suce, tu feras rien...
Mon sourire devient charmeur, je le sens sans pouvoir m'en empêcher.
- Je fais jamais rien moi, Sandy.
- Vraiment ? Alors je serais ravie de m'occuper de toi mon beau…
- Mh... Non... Non, j'ai quelqu'un, je grogne en m'affalant contre son torse - sa poitrine ?
Elle rit encore.
- Je suis partageuse. Et je cherche pas quelqu'un. Je te piquerai pas à ta belle, chéri.
Elle suçote mon cou.
- Non, non pas la langue ! je répète en riant avec un mouvement de recul guilleret.
Elle rit contre ma peau.
- Je vis vraiment pas loin. Viens avec moi, allez...
Elle tire ma taille à elle.
- Mais je peux pas faire ça maintenant que j'ai ai quelqu'un ! je dis avec de grands yeux.
- Bien sûr que tu peux, il suffit d'en avoir envie...
Je me mets à éclater de rire. Je voulais pas dire ça comme ça !
- Mais je peux pas moralemeeeeent ! je corrige en titubant légèrement lorsque je me recule encore.
Ma main se pose sur son épaule.
- Tu voudrais pas t'faire Maxiiime ?
- Non, j'veux me faire le gars en face de moi. C'est quoi ton prénom mon chou ?
Elle soulève mon menton.
- C'est ça-va-pas-être-possible, mon chou.
Je lui fais une moue désolée. Je le suis, dans un sens.
- Je suis sûre que si... Ta morale a foutu le camp avec ton quatrième cocktail…
- Noooon ! Le cinquième, peut-être. Mais tu m'as payé de l'eau.
Je vais embrasser sa joue puis je recule de plusieurs pas en riant.
- Allez, donne-moi ton prénom, que j'arrête de t'appeler le gars trop mignon… elle rit aussi en mode prédatrice.
Pourquoi je rougis d'un coup ? Qu'est-ce que j'aimerais la voir à poil. Ce serait un choc, non ?
- Alors, mignon… ? elle murmure tout proche de mes lèvres.
- Naaaaaaan... Pas c'soir, mon chou.
Je tapote sa joue et m'enfuis encore d'un pas.
- Ni demaaain. Mais j't'aime bien toi. T'es drôle et mignongnonne.
Elle rit encore.
- Toi aussi poussin. Allez, juste un bisou et je te laisse tranquille.
Je tends ma joue en protégeant ma bouche bien hermétiquement avec ma main.
- Un vrai ! Sans la langue, ok ? Allez, un bisou c'est pas tromper !
- Noon mais pour lui siiii, je dis à travers mes doigts.
- C'est un garçon alors ? Sympa... Propose-lui un truc un de ces quatre, je suis dispo !
Elle me fait un clin d'œil
- Jamaiiis ! T'es trop femme, méchante !
Je claque ses fesses.
- Eh, fais gaffe à la marchandise, mon mignon !
Je roule des yeux. Puis d'un coup j'ai envie d'autre chose. Alors je sors mon téléphone plus vite que mon ombre et je tapote un message.
Moi: J'aurai des trucs à te raconter ! J'espère que t dors.
Et hop, envoyé à Danny ! Je me souviens encore de sa tête en voyant que mon cadeau, c'était un téléphone. Il a failli pleurer, je crois. Pourtant c'est pas une de ces conneries de nouvel iPhone, c'est juste un vieux Nokia que je lui ai dit d'utiliser que sommairement et avec la plus immense des immenses discrétions. Je peux complètement décrire son sourire quand il a acquiescé avec vigueur, le torse encore couvert de sa semence.
Dan : Je pense à toi, impossible de dormir…
Il a répondu à une vitesse incroyable !
- Allez, va trémousser ta marchandise vers les autres que tu dragues un autre petit minet ! je ris à l'attention de Sandy, plantée là.
- J'aime pas les minets chéri, sinon c'est pas vers toi que je serais allée...
Elle caresse mon torse.
- Nan mais je voulais dire un chaton. Pas un minet. T'es sale.
Je fais mine d'être choqué et je m'en vais en trottinant de l'autre côté du comptoir qui tourne. Là, je retrouve Max, attablé au bar, riant avec une fille - une vraie je crois. Alors je tourne la tête pour voir si Sandy m'a suivi. Elle m'observe dix mètres plus loin. J'attends qu'elle vienne. Je l'aimais bien, ce typegonzesse. Elle finit par arriver quand elle voit mon regard, le sourire aux lèvres. Alors j'affiche la même expression en tournant les yeux sur la foule, dos au comptoir.
- C'toujours non, hein, je lui glisse.
Mes yeux passent d'elle à la salle, puis rapidement vers Maxime, et finissent sur elle - Sandy. Elle salue de la main Maxime et sa proie, distraite. Je fronce les sourcils. J'espère un peu qu'elle sera là quand je reviendrai. Pour l'instant, je m'enfonce dans la foule. J'ai l'impression qu'il y a encore plus de monde que tout à l'heure. Quand je trouve un petit coin pour danser sans me coller à trois personnes à la fois, je lève les bras en l'air et je bouge, concentré sur la musique.
Plusieurs personnes viennent me tourner autour, partager une danse, et repartent ensuite danser avec de nouveaux partenaires. Je souris en voyant ce spectacle.
Bientôt Sandy me rejoint, elle attrape ma taille comme avant. Ma lèvre se retrouve mordue par mes dents, je ferme un peu les yeux en me laissant guider par derrière. Il / elle le fait bien, ses doigts sont légers mais directifs sur moi. Son corps se rapproche jusqu'à se coller au mien, elle ondule exactement en rythme. Ca fait du bien de se laisser faire.
Elle sourit avec un petit bruit joyeux derrière moi, sa tête est appuyée contre mon dos. Et on danse, jusqu'à ce que la musique change, et à ce moment là on continue encore. Elle me retourne pour me faire face finalement, son sourire prédateur toujours là. La musique, l'ambiance, tout est hypnotisant, tout comme ses deux yeux noirs. Je les observe en balançant mes hanches sur le son, puis mon visage se baisse pour regarder entre nous pendant la danse. Je veux pas prendre le risque d'être embrassé.
Plusieurs personnes me bousculent au même moment, c'est gênant tout ce monde. Juste quelques personnes en moins, ç'aurait été bien. Ses mains descendent sur mes fesses, coquines. Je grogne pour l'en dissuader mais je sais pas si elle peut entendre. J'imagine que non puisqu'en plus elle me tripote.
- Je t'ai dit non... je souffle d'un air lassé proche de son oreille en essayant de me dépatouiller de son étreinte, du coup.
C'est con, j'étais bien là. Mais elle me force à le faire, à me toucher comme ça.
- T'avais pas dit non à ça, t'avais même l'air d'aimer avant ! elle dit d'une voix forte pour se faire entendre.
Je suis fatigué d'un coup. Trop plein d'alcool, de musique et de refus. Je me dirige comme je peux jusqu'au bar pour aller voir Maxime - qui doit normalement être sobre pour moi, en plus d'être accoudé au comptoir. Il me fait un petit signe content et lance un regard de biais entre Sandy et moi.
- On peut y aller, tu crois ? je demande à mon collègue en m'appuyant sur son épaule.
- Déjà ?
- Non ? Comme tu veux. Je vais aller dehors un moment, alors.
Je cligne des yeux et m'y dirige en soupirant.
- Non, non, on y va. Je disais ça pour toi Narcis. Tu veux autre chose avant d'y aller ?
Je m'immobilise et me retourne.
- Quoi donc ?
- Je sais pas. La nana là a l'air d'attendre sur toi...
Il fait un petit signe derrière lui et effectivement Sandy semble un peu déçue.
- Je t'ai dit que c'était non, Sand', mon chou.
Je fais une mine désolée en l'approchant. Enfin j'essaye, et je crois que ça marche.
- Oui oui. D'accord. On remettra ça à plus tard quand t'auras envie de voir à quoi je ressemble à poil.
Je hoche vivement la tête en lui souriant. Elle me fait un clin d'œil et s'approche pour embrasser ma joue.
- Bye-bye !
- Bye ! À la prochaine !
Maxime passe une main sur mes reins et me fait avancer vers la sortie avec un petit sourire pour la fille qui était avec lui au bar. Je lui fais un signe de main gentil au passage, puis on sort de la boîte. Une fois dehors, l'air frais nous fait du bien mais nos oreilles bourdonnent devant ce silence soudain. Alors je m'accroche à Maxime comme un bernique sur son rocher. Il rit.
- T'as vraiment trop bu Narcis !
- Ouaaaais. J't'ai dit pour l'directeuuur. Ouaaais, je souffle en passant mon bras autour de son cou.
Je vois la voiture d'ici.
- Ouais, tu m'as dit.
- C'est nuul. Faut que j'envoie un SMS au psy. Je pourrai pas le voir demain matin si tôt.
- Je comprends pas pourquoi t'en fais autant pour tes détenus, il rit. Fais gaffe que ça te bouffe pas la santé !
Je hoche distraitement la tête. S'il savait ce qu'il se passe les soirs avec mon Danny.
- Ça ira demain ?
- Demain ?
- Avec ta gueule de bois.
- J'resterai chez moi.
- Fais pas de conneries.
- Moi ? Jamais ! Qu'est-ce que j'ferais qu'tu crois ?
- Va savoir... Tu me surprends chaque fois. Comme quand t'as tout quitté du jour au lendemain, il soupire. Monte.
- Merci Maxi, je fais avant de claquer une grosse bise sur sa joue, les deux mains qui retiennent son visage.
- De rien, il grommelle en m'éloignant un peu et s'essuyant la joue.
- Arrête ça. Je sais que t'aimes mes bisous. Hein, hein ?
Mes sourcils font une vague pendant que je me glisse dans la voiture.
- Oui oui. Mets ta ceinture.
Il lève les yeux au ciel mais il sourit. Aussitôt dit, aussitôt fait. Même si le petit bout voulait pas rentrer au début. Je prends mon téléphone. À Danny :
Moi : On rentre
Puis à Alexandre mon gentil psychologue :
Moi : Je pourrai pas être disponible avant midi demain, on mange ensemble au café de l'autre fois ?
Je reçois un SMS de mon prisonnier.
Dan : j'espère que t'as pas fait de bêtise. Dors bien. Je t'aime.
Ca m'étonnerait bien que le psy dorme pas à une heure passée. La voiture démarre et sort du parking lentement.
Moi : Je fais jamais de bêtise. T'as laissé le téléphone en sonnerie ? Poursuoi tu dors pas ?
Dan : non, il est silencieux. Mais je le regarde constamment pour être sûr de recevoir tes messages tout de suite...
Moi : Je t'aime.
Je repose le téléphone sur ma cuisse.
Dan : je t'aime aussi. J'ai hâte de te revoir…
Il répond vite ce p'tit. La voiture a juste le temps de faire quelques mètres.
Moi : Moi aussi. Dors maintenant, tu vas être crevé demain.
Je reçois plus de SMS du reste du trajet, et bientôt Max s'arrête ; on est devant chez moi. Je tourne la tête vers lui avec un sourire niais.
- Merci pour tout Maxi.
- Allez rentre vite. Et repose-toi bien. Et fais gaffe aux drag-queens ! il rit.
- Pourquoi j'aurais besoin de faire gaaffe ?
Je ris en me détachant. L'était sympa Sandy.
- Si c'est ton truc... Mais vérifie bien qu'elles sont pas tarifées, Mh ?
- Mh ?
Je réfléchis.
- Va, idiot ! il rit. Je veux aller me coucher.
- T'avais qu'à t'coucher avec moi !
Je le plante là en refermant la porte de la voiture dont j'ai réussi à m'extraire et je marche en direction de l'appart. Le chemin bouge quand même beaucoup, alors j'essaie parfois de me tenir aux murs qui tanguent, aux buissons, jusqu'à mon entrée. Et là-bas, je m'effondre sur le canapé. Je reprends mon téléphone pour envoyer un message. Puis je retire lentement les habits qui me collent trop à la peau et je me traîne jusqu'à mon lit, à poil. Et il m'accueille volontiers dans ses draps frais. Trop bien… J'ouvre un oeil difficilement pour voir si j'ai reçu une réponse, mais rien. Alors je m'endors d'une traite.
Le lendemain, il est onze heures quand je me réveille. La lumière du jour agresse mes yeux alors je me retourne de l'autre côté comme une crêpe. Mon réveil sonne ; je comprends que c'est ça qui m'a fait lever. Un bon coup sur le bouton d'arrêt plus tard, j'ai toujours aucune envie de me lever. Alors je referme les yeux, juste un peu… Et puis mon téléphone se met à sonner.
- Quoi ?! je décroche en grognant.
Ce bruit vient de me péter les tympans et faire résonner toute ma tête.
- Parker ? On avait pas rendez-vous à midi ?
- S'p't'être. L'est pas midi.
Mon oreiller étouffe le bruit que fait ma bouche mais j'ai pas assez de force et de volonté pour m'en retirer.
- Il est midi cinq...
Je tourne les yeux sur mon réveil et effectivement. Midi six, même.
- Putain. Suis chez moi, dans mon lit... M'attendez où ?
- Je vous appelais pour prévenir que j'aurai cinq minutes de retard. Vous préféreriez que je vienne chez vous ?
Je relève la tête, à l'affût.
- C'est possible ?
- Ça dépend où vous vivez.
- Dans un appart, je ris en laissant retomber mon visage. Mais c'est possible d'aller chez les clients ? J'habite à trois rues du nouveau centre commercial.
- Je suis devant le centre en ce moment, il rit. Pas de problème pour moi, je peux rencontrer les gens n'importe où, je fais peu cas de l'environnement.
- Prenez la route en face de la porte d'Alsace. Et ensuite tout droit jusqu'à l'épicier arabe, puis droite et gauche. Le deux-cent vingt-et-un. J'vous attends.
Je raccroche et une seconde après, j'ai resombré. J'ai l'impression qu'il s'est passé moins d'une minute quand j'entends des coups à ma porte.
- C'pas ouvert ? je murmure avant de soupirer et de reprendre plus fort. C'pas ouvert ?
La personne essaie et j'entends la porte grincer. Elle se referme ensuite.
- Parker ?
- C'est moi...
Les pas se rapprochent jusqu'à ce que je voie la silhouette brouillée d'Alexandre dans l'entrebâillement de ma porte.
- Bon sang, vous êtes nu ! il referme d'un coup.
Quoi ? Oh, ouais. J'ai cru que le drap me recouvrait.
- C'est bon, je suis visible !
- Quand j'ai dit que l'environnement ne me dérangeait pas, je pensais tout de même vous trouver habillé et prêt, Parker, il grommelle en rouvrant la porte.
- Vous êtes arrivé si vite…
- J'ai mis vingt minutes.
Je m'étire.
- Désolé.
- Seigneur. Je- je vous attends dans le salon, il marmonne en s'éloignant.
- Désolé ! je répète plus fort.
Après un bon soupir et une dose de courage, j'ai enfilé un caleçon et un short. Puis je pars dans le salon avec mon gentil psy, prêt à lui préparer à manger.
- Alors on était tous les deux en retard, hein ? je lance en me dirigeant à la cuisine.
- Disons que j'en avais un peu moins que vous, il hausse un sourcil. Vous avez le droit de mettre un tee-shirt.
Il s'assoit.
- Ah.
Je scrute le sol avec des yeux un peu fatigués et je repère le blanc moulant d'hier soir que je passe.
- Qu'est-ce que vous voulez manger ? J'peux faire oeuf ratatouille.
- Ça me va.
- Cool.
Je m'y attelle aussitôt, entre poêles, micro-onde et spatules. Je sens qu'il m'observe parfois, un peu curieux.
- C'est ok si vous voulez cuisiner aussi, je l'informe.
- Vraiment ?
Il se redresse, il semble intéressé.
- C'est juste que c'est ma deuxième passion, la cuisine…
- Ouais. Venez.
Je lui laisse de la place.
- Vous pouvez même le faire à ma place pendant que je vais me doucher si vous voulez.
- Très bien. Ça vous fera avancer un peu. Allez-y !
Je m'exécute en quelques secondes. Moins d'un quart d'heure plus tard je sors de la salle de bain avec brio, habillé et les cheveux plus qu'humides. Il me fait enfin un vrai sourire quand il me voit arriver.
- Vous avez l'air en meilleure forme !
Je vais le voir et lui tends la main.
- Ouais. Ouais, carrément. Encore désolé pour tout à l'heure.
- Pas de problème.
Il la serre avec poigne.
- Trop fêté hier ?
Je me laisse tomber sur la chaise de la cuisine.
- Quelque chose comme ça. Mais je vais bien. C'était pas, ouais. Vous avez pu faire à manger ? C'est pas très correct. On est chez moi.
Je ris, peut-être un peu nerveusement. Je sais pas ce que je peux me permettre avec lui.
- Pas de problème, Parker. Je vous l'ai dit, j'aime cuisiner. Parlez-moi plutôt de vous.
- L'boss vous a prévenu ?
- Oui, il avait pas l'air heureux.
- J'le suis pas non plus. Ça a bien marché pour l'instant mon projet, là. Mais il veut pas que je continue ma réinsertion. Faut que je vous en parle. Jordan Twist est venu vous voir, récemment ?
Je croise les doigts sous la table ; et ça me rappelle que j'ai pas vérifié mon téléphone ce matin.
- Oui, plus que jusqu'ici en tous cas. C'est déjà énorme.
- Et alors ?
- Alors... Je ne suis pas sûr qu'il puisse sortir de prison.
- Sortir comme, sortir comme je voudrais ?
- Oui. Vous voyez, Twist est un récidiviste qui n'a jamais exprimé de regrets pour les meurtres qu'il a commis. Rien n'indique qu'il ne profiterait pas de l'occasion.
- Mais rien indique qu'il le ferait. Je lui fais confiance, moi.
- Je sais. Je n'en doute pas. Mais sa personnalité est complexe. Et il y a de nombreux agents qui faisaient confiance à des détenus et qui ont mal fini…
- Quelles seraient les conditions pour qu'il sorte avec moi ?
Cette phrase me ferait presque rire. Lui semble dubitatif.
- J'ai besoin de comprendre pourquoi vous voudriez qu'il sorte.
- Parce que passer toute une année sans sortir des murs de prison ça devient pressant. Genre, vraiment. Et je suis à peu près sûr que vous savez qu'ils sont pas tous logés à la même enseigne.
J'attrape ma fourchette pour piquer dans un bout d'aubergine.
- Justement. Pourquoi lui plutôt qu'un autre ?
- Parce que c'est avec lui que j'ai commencé mon programme. Si ça marche, je pourrais bien l'étendre à Wilson, Casta ou Walter.
- Et vous demanderiez quoi ? Une fois par an ? Plus ? Il ferait quoi dehors une journée ?
- Je sais pas encore. Je pensais voir par rapport à la première expérience. Vous penseriez à quoi ?
J'attaque mon oeuf.
- Quelque chose de constructif. Et il serait extrêmement surveillé. Vous devriez commencer avec quelqu'un de moins dangereux…
- Il est pas dangereux depuis plusieurs semaines déjà. J'ai vérifié. Surveillé comment ?
- Un bracelet électronique pour toujours avoir sa position probablement.
- Pas de problème. Combien d'agents ?
- Deux. Mais il faut encore financer ça. C'est énormément de travail.
Je penche la tête en avalant un morceau de pain trempé dans du jaune.
- Comment ça ?
- Combien de temps ce serait ? Douze, vingt-quatre heures ? Quel agent accepterait de coller un détenu tout ce temps ? Et qu'est-ce que ça changerait pour le détenu ?
- Je pensais à Julien.
- Mais qui remplacerait deux agents à la prison durant ce temps ?
- Et si c'est pendant mon congé ?
- On devra quand même vous payer ces heures.
- Et c'est un problème ? Payer une journée en plus à deux mecs... Ca me paraît pas insurmontable.
- Vous savez comment peut être le directeur... Il faut vraiment justifier la dépense. Trouvez quelque chose qui serait une bonne raison à sa sortie ; une activité, quelque chose à faire qui lui serait bénéfique.
Je grogne en dispersant le reste de ma ratatouille dans mon assiette.
- Vous pensez à quelque chose ?
- Non. Je ne sais pas. L'air frais peut-être. Mais en vingt-quatre heures vous ne pourrez pas aller très loin...
Il regarde les murs, pensif, avant de se figer en fixant quelque chose. Merde. Le dessin de Dan. Putain, comment je vais me sortir de ça. Je réfléchis à toute allure mais mon cerveau veut pas fonctionner correctement. Dites-moi que c'est seulement mon portrait… Ses sourcils se froncent et reviennent à moi, et il semble réfléchir à toute allure.
- Un problème ?
Il se relève d'un coup, stressé, et part en direction de ma chambre. Je retiens immédiatement son poignet.
- Qu'est-ce que vous croyez faire ?
- Vérifier quelque chose.
- Dans mon lit ? Je crois pas que ce soit utile.
Mon ton est ferme.
- Vous avez quelque chose à cacher ?
- Vous avez quelque chose à me reprocher ? On est déjà chez moi. Pas besoin d'aller dans ma chambre.
Je resserre mon emprise.
- Ça n'avait pas l'air de vous déranger il y a une demi-heure.
- Je me suis excusé pour ça.
- Laissez-moi regarder encore. Quelque chose m'a troublé.
Je secoue la tête.
- Qui a fait ce dessin ?
Il pointe celui qui est au dessus de ma télé. Je calcule rapidement s'il a signé, puis je déclare avec calme :
- Jordan Twist.
- Pourquoi c'est dans votre salon ?
- Parce que dans la salle de bain la vapeur d'eau l'aurait abimé, je raille.
- Bon sang, Parker ! Si les directeurs voyaient ça ils vous vireraient ! Dites-moi que je me souviens mal de celui que j'ai vu dans votre chambre.
- Vous devez sûrement mal vous en souvenir, je hoche la tête. Le dessin me représente, je peux bien l'afficher chez moi si j'en ai envie. C'est moins cher que d'aller chez un photographe.
- Ce n'est pas innocent ! il s'agace. Évitez de me prendre pour un pigeon Parker. Je vois clair dans votre jeu.
Il retire ma poigne d'un coup d'épaule et se dirige vers la porte. J'ai vite fait de le plaquer à la paroi tant il est fin.
- Qu'est-ce que vous voyez au juste ? Il m'a dessiné. C'est bien fait. Il est dans mon salon. Point final. Walter ou Wilson dessinent pas aussi bien, je souffle tout proche de lui.
J'essaye d'être menaçant, et je crois que ça fonctionne plutôt bien.
- A quoi vous jouez Parker ? souffle Alexandre.
- Rien. C'est vous qui êtes bizarre tout à coup.
Je plaque un peu plus mon avant bras contre son torse, il barre ses épaules et l'empêche de bouger.
- Vraiment ? Je ne suis pas en train de vous agresser, moi. Pourquoi vous vous sentez menacé ? il siffle.
- Parce que vous essayez de rentrer dans ma chambre tout à coup, puis vous essayez de vous enfuir. Je veux savoir ce que vous comptiez faire, là-bas dehors.
Mon bras se desserre lentement mais je reste bien devant lui pour lui barrer le passage.
- Réfléchir à ce que j'ai vu. C'est anormal.
- C'est pas anormal ! C'est quoi votre problème ?! je m'énerve en reculant d'un pas.
Il se masse l'épaule en parlant calmement.
- Ça explique absolument tout. Toutes vos manoeuvres.
J'ai l'impression que mon cerveau surchauffe tant je réfléchis rapidement.
- Ok. Et alors, quoi explique quoi au juste ?
Je lui montre le canapé d'un signe. Autant être civilisé et arrêter de s'énerver - m'énerver. Il se recule un peu, il a l'air méfiant cette fois.
- Je vous ai demandé de ne pas me prendre pour un pigeon, il souffle.
Je lève les mains au ciel.
- Je vous dis juste d'aller vous asseoir ! Mon geste était déplacé. J'aimerais que vous m'expliquiez.
Il soupire et retourne sur le canapé.
- Parlez-moi de votre relation avec ce détenu.
- Il me dessine.
J'avance jusqu'à m'asseoir sur la table basse en face de lui.
- Pourquoi ?
- Il a du talent. Vous trouvez pas ? Il faut bien un modèle.
- Pourquoi avez-vous accepté ?
- Pourquoi je l'aurais pas fait ? J'aide bien Walter à écrire son mémoire.
- Pourquoi affichez-vous ça dans votre salon ? Vous savez que ça peut créer des rumeurs.
- J'aime ce portrait. Autant pas le fourrer dans un tiroir sombre, non ? Personne de la prison vient ici habituellement.
Sauf Julien. Il soupire encore.
- Pourquoi avez-vous commencé par lui pour votre projet ?
- Parce que le voir souvent m'a fait réaliser que c'était le meilleur pour commencer.
Je mens pas. J'ai pas encore menti depuis le début de ses questions.
- Vous semblez très proche de lui. Plus que des autres détenus.
- Oui.
- Comment ça s'est fait ?
- Il allait mal et je pense avoir été le seul à lui porter de l'attention. On a sympathisé. Comme avec d'autres là-bas. Ça s'est fait.
- D'accord, il souffle encore. Alors vous ne verrez aucun inconvénient à ce que je revois le dessin que j'ai aperçu dans votre chambre.
- Allez-y.
Moi, je reste planté là. Je sais pas si le risque payera, mais je l’espère. Il se lève et se dirige de nouveau vers ma chambre avec un œil pour moi, sûrement pour voir ma réaction. Je lui offre un sourire gentil. Mais je bouge pas. Alors il continue et ouvre la porte. Et il reste planté là devant le portrait. Celui de nous deux, notre baiser. Il était particulièrement réussi, celui-là.
Il tourne le regard vers moi sans rien dire. Et moi je reste planté sur ma table basse, mains croisées entre mes jambes. Je l'observe aussi ; et j'attends. Il referme la porte et s'assoit en face de moi. C'est incroyable comment il peut garder le silence longtemps.
- Laissez-moi essayer, il commence finalement en se penchant en avant, les yeux vrillés dans les miens. Il s'est tant attaché à vous qu'il a commencé à fantasmer mais il ne s'est jamais rien passé. Parce que vous trouviez que le dessin était bien réalisé vous l'avez encadré dans votre chambre au-dessus de votre lit.
Je fais un beau sourire, pose ma main droite sur la sienne sur son genou.
- Non. Il se passe des trucs tous les jours.
- Précisez.
Je hausse les épaules.
- Je suis amoureux de lui.
Il me regarde sans bouger durant de longues secondes avant de finalement s'affaisser contre le dossier.
- Ça vous a pris du temps pour l'admettre.
- L'admettre, non. Vous le dire, oui.
Il lève les yeux au ciel.
- Que pensez-vous faire vis à vis de ça ? Rien ?
- Vous tuer et vous jeter dans une benne ?
Il sourit pour la première fois depuis un moment.
- Vous avez de la force, ça devrait être facile pour vous.
- Vous avez que la peau sur les os. Et vos os pèsent pas lourd. Vous inquiétez pas, j'y arriverais. Vous pouvez même choisir la benne, si vous voulez. Par contre va falloir le faire maintenant.
- Je suis soumis au secret professionnel, sauf quand ça dépasse le cadre de mes compétences. Vous me voyez partagé.
- Ouais ?
Mes épaules s'affaissent. Merde.
- Pourquoi vous voulez le faire sortir ? Vous voulez qu'il s'évade ?
- Non, juste que son moral revienne un peu. C'est vraiment, c'était dur ces temps-ci.
- Pourquoi ?
- Parce que ça fait un moment et parce que les détenus sont pas cools entre eux.
- Toujours. C'est toujours le cas. Ce sera le cas après cette sortie aussi.
- Je sais.
- Ça pourrait être pire.
- Je veux le faire sortir une journée, j'appuie.
- Et vous allez faire quoi dehors ? Justifiez-le !
- Lui changer les idées ! N'importe quoi, ok ?!
- Je vous parle du directeur ! Vous croyez qu'il acceptera ça ? J'ai besoin d'arguments solides à lui donner !
Mon sourire étire mes lèvres tout à coup, je crois que j'ai jamais été si niais. Sauf peut-être avec Danny.
- Vous avez besoin d'arguments... parce que ça vous paraît acceptable ? Vous acceptez ?
- J'accepte pas encore, il hésite.
- Bon. On cherche des arguments solides alors !
Je tapote mes genoux, prêt à l'attaque. Il patiente, sourcil haussé.
- C'est vous le psy, je développe, pour qu'il comprenne.
- C'est votre idée.
- Ben... Il travaille en agri. Donc un truc là d'dans.
- Une espèce de réinsertion d'un jour dans une ferme par exemple ?
- ... Ouais. J'aurais bien aimé, par exemple, être un peu avec lui, je minaude en triturant mes doigts. Enfin c'pas grave. Ouais. Une réinsertion.
- Je comprends. Mais je ne vois pas comment expliquer ça au directeur.
- Bien sûr. Je trouverai bien un petit coin, je rigole. Donc, une réinsertion en agri. Il faut autre chose ?
- Je ne sais pas. Mon approbation. Et elle n'est pas gagnée. Parker, j'en ai connus d'autres, pour être honnête, des agents amoureux. Ça ne finit jamais bien.
- Peut-être que nous oui.
- Mais je ne peux pas vous faire confiance. Pas à lui en tous cas. Vous lui offrez quoi en échange ?
- En échange de quoi ?
- Du sexe ? D'autre chose ?
Je plisse le front.
- Je comprends pas.
- Il couche avec vous. Vous lui donnez quoi en échange ?
- En échange ... de coucher avec moi ? Mais rien !
- Vous ne lui avez jamais fait de faveur ?
- Je lui donne du plaisir, je fronce le nez. Vous êtes puceau ?
- Non, il fronce pareil. Quel rapport ?
- Ben alors. Je couche juste avec lui. C'est normal. On est amoureux.
- Il est un détenu. Il vous demande sûrement des choses.
- Et ben non, j'affirme, puis je me relève d'un bond. Ca veut dire quoi ça ? Que je le force puis que j'offre des cadeaux pour oublier ?
- Je ne dis pas que vous le forcez. Ce n'est pas votre genre. Mais lui pourrait profiter de la situation. Ça ne m'étonnerait pas.
- Et ben non. Vous avez votre réponse.
- Vous ne pouvez pas être sûr. Les détenus n'ont que ça, les gardiens, pour avoir une vie plus supportable. Comme vous l'avez fait pour lui.
Mon sourcil se hausse. Manquerait plus que ça.
- Il a une vie plus supportable grâce à notre relation. Rien à voir dans de l'échange de services.
- Je n'en ai pas la preuve. Twist... va probablement rester en prison une bonne partie de sa vie. Quoi de mieux que de s'évader à la moindre occasion…
- Mais alors il me perdra. Il veut pas me perdre.
- Justement. Je ne peux pas savoir, moi, s'il prendrait le risque de vous perdre. Et ça ou relâcher un meurtrier récidiviste…
- Comment vous seriez fixé ?
Je le regarde d'en haut.
- J'ai besoin de le voir plus souvent. Il ne me montre que ce qu'il veut bien que je voie. Il est faux.
- Je lui dirai de venir vous voir. Mais il veut pas vous parler. Pour pas avoir plus d'ennuis encore, j'explique, puis je me rassois à côté de lui, nos jambes se touchent. Alors... qui vous allez informer ? Pour nous deux.
- Je ne sais pas encore. Je vais devoir réfléchir à tout ça…
- Une chance que vous en parliez pas ?
- Je ne sais pas, je vous le dis. Une chance, oui. Autant que les chances que j'en parle. C'est confus et important. Délicat comme situation.
Je fais des yeux doux quelques instants, puis j'acquiesce lentement. Mince.
- Continuez de trouver quelque chose de convaincant pour le faire sortir. Je vous redirai si je compte en parler ou pas avant de faire quoi que ce soit.
J'hésite, puis j'acquiesce.
- Pourquoi vous voudriez en parler ? Ca risquerait de nous séparer ? La menace de la benne tient toujours.
Puis je soupire.
- Mais si voulez que je trouve des arguments... C'est que vous me croyez quand je dis que je le ferai pas échapper ?
- Je ne crois rien. J'espère. Je ne peux pas savoir. Soit je parie sur vous, soit je ne le fais pas. Je vous préviendrai avant pour vous donner l'opportunité de le dire vous-même ; ça rend les choses moins graves.
- Est-ce que j'ai bien fait de vous le dire ? je demande tout bas, les yeux sur mes doigts eux-mêmes sur mes genoux.
- Je l'avais compris avant que vous le disiez. Alors oui. Mieux valait que ça vienne de vous.
- J'aurais quand même dû me réveiller ce matin et pas vous inviter ici... Hein ? Y aurait eu moins de risques. Putain.
Je me laisse tomber en arrière sur le canapé. Putain. Comment on va se sortir de ça.
- Probablement. J'avais quelques doutes avant, mais rien de concret. J'imagine que... Je ne voulais pas croire cela de vous.
- Cela ?
Ça veut dire quoi ça ? Que j'aurais pas dû me laisser tenter parce que je suis policier ? Ou que il voulait pas croire que j'étais homo ?
- Cela, il répète sans se justifier. Je vais rentrer. Tâchez de ne plus me mentir s'il vous plaît, je préfère apprendre ce genre de choses de vous que par des rumeurs.
Il se relève. Je fais tout de suite de même, comme monté sur ressort.
- Comment ça des rumeurs ? Et comment ça cela ?
- Je vais y aller. À moins que vous ayez à nouveau l'envie de me coller à un mur pour me menacer.
Il attrape son manteau.
- Vous avez pas encore fini de ressortir ça ? je ronchonne.
J'attrape doucement son poignet.
- Je me suis excusé. Et pour la chambre aussi. Pourquoi vous voulez pas me répondre ?
- Vous savez, Twist parle peu. D'autres parlent plus avec moi. Je suis soumis au secret professionnel, alors je n'ajouterai rien.
Il regarde ma main.
- Est-ce que... Est-ce que c'est des grosses rumeurs ? Venant de gens à qui on peut pas se fier ?
- Je n'étais pas sûr de votre relation. C'est tout ce que je peux vous dire.
Mes doigts pianotent lentement sur son poignet.
- Des gens le savent ?
- Je ne peux rien dire.
Il me fixe. J'essaye quand même d'insister. Il faut que je sache.
- Est-ce qu'il faut que je sois encore plus discret ?
- C'est un conseil évident.
- Dites-moi au moins combien vous ont parlé de nous.
Ma voix est un peu suppliante, mes yeux fixés dans les siens.
- Une personne. J'en dis déjà trop.
- Ok. D'accord. Merci.
Je hoche la tête et mes doigts le relâchent lentement. J'aurai qu'à aller demander à Julien, Duncan ou Nicolas. Si c'est aucun d'eux, alors…
- J'y vais, maintenant.
Il recule d'un pas. Il a toujours une expression méfiante.
- Écoutez, je suis pas violent. Je suis sincèrement désolé pour tout à l'heure.
Tout en parlant je remets ses habits un peu débraillés en place.
- Pourquoi vous voulez pas me dire ce que vous entendiez par cela ?
- Pour rien. C'est une opinion personnelle que j'avais de vous, et qui était fausse. Ça n'a pas de valeur. Je me suis trompé.
- Alors si c'était personnel, vous pouvez me dire. S'il vous plaît.
- Je vous pensais... Professionnel. Et je n'aurais pas cru que vous iriez vous plonger dans quelque chose comme ça. J'ai fait une erreur.
Ma bouche s'ouvre grand et je recule d'un pas, clairement blessé. J'ai toujours été professionnel. Je sens mon visage se refermer immédiatement et je me dirige vers la table pour débarrasser ; sans un mot. Pas professionnel ? Je fais mieux mon boulot que la plupart des mecs de la prison. Et même si je suis souvent avec Dan, c'est que quand je suis à peu près sûr que personne aura besoin de moi autrement. Pas professionnel ?! Putain.
- Je pars, il termine en se dirigeant vers la porte, indifférent.
Quand je pense à tout ce qui s'est passé ce matin ; et surtout au fait que tout repose sur cet homme, je me dis qu'il faudrait peut-être que je le rattrape, qu'on soit en bons termes. Pourtant je peux pas m'y résoudre. Ça m'énerve. C'était un si gros reproche, dans sa bouche. La porte se referme, et je suis seul dans mon appartement.
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