Ton chemin de cendres

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Par un temps de chagrin, tu mires le ciel-linceul ; appelé par le lointain, tu ne peux qu’avancer et fouler la noire éteule.

Sous tes pas la tourbe moissonnée empeste le Mal, sinistres vestiges d’un champ de mélancolie. Ta respiration heurtée fait écho à ton cœur hiémal, vois les sombres rémiges de ta future funeste hallali. Tout autour de toi, des silhouettes translucides errent lentement, tendent leurs mains abîmées pour t’attraper, murmurent des promesses que tu n’as jamais oubliées. C’est plus fort que toi, tu reconnais les sourires acides et pourtant tu les laisses emporter ton esprit fendillé.

Là, une femme aux cheveux de feu qui continue de chuchoter des « Je serai toujours là, je ne suis pas comme les autres personnes ». Une larme coule de tes yeux fatigués car tu te souviens que tu es resté ébaubi devant ce genre de déclaration jusqu’à ce que le glas sonne. Tout autour d’elle, des ronces de brume surgissent telles les lames de spadassins avides de tueries. Elles foncent vers toi, vers ton cœur meurtri ; l’espoir assassin part en fumée face à ces mornes furies.

Tu n’as pas le temps de reprendre ta respiration qu’une nouvelle personne apparait, crevant l’ombre tel un sournois coupe-jarret. Un homme d’une trentaine d’années, le regard chassieux et sa litanie qui te promet qu’après « ça ira mieux ». Là aussi tu te rappelles que ce n’était que du vent et qu’à travers ses mots-bateaux trainaient une langueur perfide et un mensonge écœurant.

Les silhouettes passent, s’emmêlent, s’enchevêtrent – puzzle néfaste d’une déraison sans frontières ; tu ne sais plus où donner de la tête. Tu ne veux qu’une chose : perdre la raison une bonne fois pour toutes pour ne plus avoir à changer de trottoir quand tu croises tes souvenirs en miettes. Alors tu te concentres, au moins un temps sur le décor qui t’entoure, essayant d’oublier les hurlées de ces incessants vautours.

Tu n'aurais pas dû. Comme à chaque fois.

C’est perdu. Tu restes aux abois.

Ainsi t’accueille une forêt aux arbres déracinés, aux longues branches pointant vers le sol boueux. Des buissons d’où s’écoule un liquide noirâtre, des marécages bouillants aux alentours crayeux. Une rivière parcourue de solfatares crachant d’ignobles viscères ; le requiem de la cruauté entre les ères. Ici et là gisent des corps démembrés, l’horreur absolue suinte du charnier. Ta vision est enténébrée, tu n’as plus la force de guerroyer.

Dans un soupir, tu expires : « Pitié, donnez-moi un peu de couleur. » Aucune réponse ne vient, c’est toujours comme ça : toi et ta douleur.

Alors sur le sol putride tu te laisses choir

Te laisses submerger par cet étouffoir

Stagnant dans cette mélasse méphitique

Tu sors ton précieux calame

Commences à écrire ton spleen cathartique

Sur une nouvelle missive infâme

Mais rien n’y fait, l’horrible est partout, laissant une trace ponceau sous tes paupières. Malgré toi, tu rouvres les yeux, la vision infestée entre deux meurtrières. Une lumière intense vient zébrer ton horizon ; lueur fuligineuse qui brise la frondaison. Dans le ciel l’astre sanguinolent plante ses serres enflammées sur le cloaque dans lequel tu te noies à nouveau. L’odeur fétide t’agresse, te met à terre, te laboure tes entrailles ; hideur innommable jusqu’à ce que tu veuilles reposer dans ton futur caveau.

Peu importe où ton attention te porte, il n’y a que des chemins sans issue ; tu le sais car tu l’as emprunté tant de fois. Tous les relents qui te collent à la peau, les présences qui grignotent ton absence aspirent ton esprit telles d’ignobles sangsues ; rien de pire que les souvenirs d’autrefois. Tu as dit tant d’adieux que même ton écho n’a plus la force de te répondre. Tu capitules, comme à chaque fois il ne te reste plus qu’à te morfondre.

Tes souffrances et ton mal-être font tellement de bruit que tu n’entends rien d’autre qu’un silence oppressant ponctué de gémissements. Un infime espoir naît des cendres de ton sentier de perdition, peine perdue, ta raison se déchire dans d’atroces froissements. Les plaintes et les râles, rimes embrasées de la diabolique stance qu’est ta vie, s’assemblent et s’accentuent. Tout s’arrête le temps d’un battement, et tu restes les pieds dans ta fange, abattu.

C’est la fin de tes épouvantables pérégrinations. Entends les grondements des infernaux carillons.

Le noir t’englobe. Le sombre t’enrobe.

Une chaumière apparait. Au fond de la forêt.

Tu respires, pour une fois il y a une échappatoire, enfin !

Ce n’est peut-être pas encore la fin.

Lentement tu traines le pas, écorchant tes pieds sur le layon cassant. Mais ce n’est pas grave, car tu vas pouvoir te reposer un peu, à l’écart de l’éther angoissant. Plus tu approches, plus les alentours retrouvent leurs couleurs, tu te plais même à sourire. Des gazouillis d’oiseaux caressent l’air, le clapotis de l’eau d’un lac assez proche, et si tu tends l’oreille, tu entends des rires. Pas pour longtemps car tu reconnais le lieu, cet appel lancinant. Tu te tapes la tête, pourquoi encore retenir l’espoir dissonant ? Comme à chaque fois, tu te laisses prendre, certainement le goût de la vie qui te revient en mémoire ; mais chaque fois tu ressens ton chagrin s’étendre, cette arme létale, ce froid fendoir.

A l’usure, ton âme en pâture, tu ouvres la porte de ta triste masure.

Une table branlante entourée de chaises usées, un fauteuil déchiré, quelques fruits pourris.

Un foyer fatigué qui souffle ses dernières braises… et du sang partout sur le sol.

Tout se mélange dans ta tête, même si tu connais les tristes paroles de ta vie, tu n’entends plus qu’un lancinant amphigouri.

Et tu pleures tout ton soul, ton corps est parcouru de violents soubresauts, tes affres comme unique boussole.

Sur ton visage écarlate, tes larmes peignent la peine majuscule alors que tes traits sont mortellement tirés par ton crépuscule. Ça ne s’arrête pas, toutes les horreurs repassent en boucle telle une glauque ritournelle ; tu ne peux rien y faire, tu subis puis tu te traines jusqu’à la vitre pour regarder les venelles.

Dans les sombres replis de la nuit, une silhouette encapuchonnée foule le sentier d’un pas désincarné. Ton corps tremble, une peur sourde à travers tous tes pores décharnés. Son âme vieille comme le monde, sur ta langue un goût d’immonde, ses yeux semblables à deux lacs noirs fixent ta peine profonde.

Tu n’as pas besoin de voir les traits dissimulés, tu le sais : c’est toi et ta raison acculée, de sang maculée. C’est terminé, tu vagabondes entre les ruines de ton âme avec une seule envie : t’ouvrir les veines à ton réveil de ton noir calame.

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