Fanny (Wonderwoman)

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L’hôpital dormait. Un sommeil de malade, un sommeil agité.

L’activité de Fanny la maintenait debout. Elle flottait dans les couloirs, légère, silencieuse. Solitaire. Elle volait d’une chambre à l’autre, telle une ombre lumineuse devançant les appels. D’expérience, elle savait repérer les capricieux, qui passent leur nuit le doigt sur le bouton, des taiseux, qui n’osent pas déranger même au plus dur de leurs souffrances.

La Lune pointait son croissant à travers les fenêtres de l’aile Est. Fanny l’observait monter d’une chambre à l’autre, entre la 212 – selles à nettoyer – la 234 – perfusion à changer – la 206 – crampes à soulager – la 240 – arrêt cardiaque à réanimer – la 206 à nouveau – panique à consoler.

Plusieurs fois, la minutie des gestes de Fanny fut ponctuée d’une même question. Le brassard, c’est pour quoi ? La réponse fusait, aussi brève que la voix était douce. Grève. Cathéter rebranché. Salaire et conditions de travail déplorables. Caresse affectueuse sur l’épaule, oreiller replacé. Rassurez-vous, je suis là quand même, hein. Sourire. Appelez-moi si besoin, reposez-vous, surtout. Légère inclinaison du buste en guise de salut, talons tournés, porte refermée sans un bruit. Fanny glissait déjà vers la chambre suivante.

La veille au soir, le cadre de santé avait pris congé sans un mot. C’était aussi bien que le Bon courage qu’il crachait à ses débuts comme un chewing-gum qui a perdu son goût. Fanny méprisait le vieil homme, d’un mépris sans lien avec les rumeurs d’incompétence, de parachutage et d’abus divers qui couraient à son sujet. Elle préférait l’éviter, se réjouissant de ces nuits où elle soulageait des vies tout en menant la sienne en filigrane.


*


La Lune retombait à travers les fenêtres de l’aile Ouest, tandis que déjà l’obscurité se dissipait. La valse de Fanny se poursuivait, au rythme jamais constant des électrocardiogrammes, de la chambre 219 – fausse alerte, problème technique à vérifier – à la 227 – draps pleins d’urine à changer – de la 201 – peur de la mort à dissiper – à la 233 – calmant à administrer – ou à la 211 – taux d’oxygène à contrôler.

L’heure vint enfin de rejoindre le vestiaire, de quitter le costume d’héroïne pour reprendre la tenue civile. Fanny s’immisça par la porte, ouvrit son casier. Juste à temps. Dans le couloir, elle distingua les pas du cadre de service en approche ; ce matin, il semblait accompagné. Elle reconnut la voix du directeur de l’hôpital. Des félicitations, un mérite que le cadre de service s’attribua tout entier, une promesse de promotion. Fanny attendit que les pas s’éloignent pour sortir. Elle remarqua alors un objet tombé au sol. Un portefeuille. Elle se pencha, le ramassa, l’ouvrit. Des cartes au nom du cadre ; une liasse de billets. Coup d’œil alentour. Personne. Portefeuille reposé au sol, billets glissés dans la poche arrière du jean. Fanny marcha vers l’ascenseur, le cœur battant soudain à folle vitesse, le regard aux aguets, les jambes alourdies par la longue nuit, la gorge nouée.

À la sortie de l’hôpital, elle avisa la voiture neuve de son supérieur garée près de l’entrée. Une rage sourde monta en elle ; dans sa poche, sa main se resserra sur son trousseau de clé. Le bruit de son bus en approche interrompit son élan de vandalisme. Tête basse, elle se dirigea vers l’abribus, où somnolait un sans-logis. Fanny prit une longue inspiration ; son hésitation fut de plus courte durée. L’instant suivant, le bus déversa ses dizaines de passagers, familles et amis venant visiter les malades. Fanny prit place dans le véhicule désormais vide.

L’hôpital allait maintenant s’éveiller, et Fanny pourrait dormir, l’esprit léger.

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