Crash en forêt
Trekker regardait le dernier drone s’en aller avant de se rendre dans la salle de contrôle afin de vérifier si tous les scouts avaient bien atterri aux différents points de départs.
Il était nerveux depuis son arrivée la veille. Il avait pourtant tout planifié de A à Z et était sûr de lui mais il craignait un incident de la part de ces novices qui n’avaient aucune expérience du terrain. Bien sûr, il fallait bien qu’ils commencent un jour mais ce genre de première mission virait souvent au drame stupide.
Lorsqu’il passa la porte de la salle de contrôle, l’un des agents vint le voir en panique :
— Ranger Trekker ! Nous venons de perdre le contact avec le premier drone !
Et voilà !
Cela ne le surprenait guère, mais il ne s’attendait pas à ce que ça se produise aussi vite.
— Pas de panique, où a-t-il disparu ? demanda-t-il.
— À environ dix kilomètres de la zone d’exercice. Juste avant, il y a eu un signal d’avarie et puis plus rien.
— On peut en déduire que le drone n’était pas opérationnel… Les vérifications d’usage ont-elles bien été effectuées ce matin par l’équipe de maintenance ?
— J’ai vérifié et cela a bien été réalisé. Il n’y avait rien à signaler.
— Ah bon ? Hum…
— Est-ce que l’on envoie une des équipes de secours ?
— Oui. Dites-leur aussi que je veux une enquête rapide sur ce qui a pu se produire. Si le scout est en état de faire l’épreuve alors que l’équipe l’accompagne jusqu’à la zone d’exercice sinon qu’elle demande un rapatriement.
— Bien reçu !
Trekker se mit à réfléchir. Ces appareils de transport étaient tous d’une grande fiabilité, même si le facteur zéro risque n’existait pas. Et si l’équipe de maintenance n’avait signalé aucune anomalie, c’est qu’il n’y en avait pas. Comment un incident avait pu se produire ? Etant complètement autonome, son passager n’avait pas à le piloter donc aucune erreur de vol n’avait pu être commise.
Une attaque animale ? Non, pas à cette hauteur de vol et aucun oiseau n’était suffisamment gros pour l’endommager. Alors, cela signifie que…
— Il faut se mettre en état d’alerte 1 ! déclara-t-il. Je veux une équipe de surveillance aérienne autour de la zone d’exercice et au-dessus.
— À vos ordres ! Faut-il chercher quelque chose en particulier ?
— Je ne sais pas encore… mais quelque chose capable d’abattre un drone en plein vol.
Bergen était là, lui tournant le dos, les mains dans les poches, comme s’il l’ignorait. N’y tenant plus, Galata cria son nom mais il fit comme s’il ne l’avait pas entendu. Elle voulut s’approcher de lui mais ses jambes semblaient flotter dans le vide. Elle se mit à courir mais elle n’avançait pas d’un mètre.
Tout autour d’elle n’était qu’obscurité et froideur. Seules des nappes de brume ornaient ce sinistre décor. Bergen officiait au milieu de tout ça, l’air indifférent. Il regardait droit devant lui, ignorant celle qui l’aimait, celle qui aurait tout donné pour le rejoindre.
Mais malgré ses efforts, Galata n’arrivait pas à avancer. Pire encore, Bergen s’éloignait, sans bouger. Plus elle cherchait à s’approcher, plus la distance entre eux augmentait. Elle se sentit aspiré, son corps bloqué par une force mystérieuse. Son aimé disparu dans les ténèbres, enveloppé par cette brume froide.
Une étrange sensation parcourait le visage de Galata, comme une caresse mais désagréable, humide… elle fronça des sourcils et essaya d’ouvrir les yeux. Son corps était endolori et ankylosé, sentant des picotements à divers endroits.
— Pas comme ça, enfin ! dit une voix agacée.
— Mais je ne veux pas la noyer non plus ! répliqua une autre voix.
— Laisse-moi faire…
Galata entendit un dévissement de bouchon puis, suffoquant suite à une soudaine vague froide sur le visage, se releva en sursaut, toussant plusieurs fois pour cracher le liquide qu’elle venait d’avaler par le nez.
— Tu vois ? c’est plus efficace…
— T’as failli la noyer, andouille !
— Au moins, elle est réveillée !
Galata reprit difficilement son souffle. Quelqu’un lui tapota le dos.
— Doucement, ne t’agite pas trop. Repose-toi un peu…
Elle se laissa retomber, soutenue par une main qu’elle ne connaissait pas. Elle ouvrit les yeux et aperçu deux silhouettes penchées sur elle. Au-dessus d’elles, Galata put voir une myriades de diamants étinceler sur un fond vert. Une main se posa sur son front, fraiche et apaisante.
— Où… où est-ce que je suis ? demanda-t-elle dans un murmure.
— En plein milieu de la jungle, dit l’une des silhouettes avec une voix enjouée. Tu as eu de la chance, tu es tombée dans la « région des mousses ». Ici, le sol est recouvert en grande partie par une mousse végétale hyper épaisse et tendre. Tu as dû rebondir comme un ballon, c’était amusant ?
— Karine ! gronda l’autre personne. Sois sérieuse, enfin !!!
— Bah quoi ? C’est comme un parc d’attraction. La prochaine fois qu’on est amené à intervenir je sauterais en plein vol !
— Au lieu de dire des bêtises, va donc voir si tu trouves son drone. Et tâche de savoir ce qui s’est passé.
— Cheffe, oui cheffe ! J’ai bien dit : cheffe !
Galata sentit de nouveau un liquide froid appliqué sur son genou puis sur son bras. Les picotements s’intensifièrent quelques secondes avant de disparaitre.
— Tu n’as que quelques lésions à cause des branches qui t’ont griffé pendant ta chute. Tu n’as aucune blessure grave ni d’hémorragie interne. Et tes os… (elle toucha quelques parties du corps de le jeune fille)… sont en place. Tu peux te lever ?
— O… oui…
La personne à ses côtés l’aida à se remettre debout. C’était une jeune femme, pas beaucoup plus âgée qu’elle. Elle avait de longs cheveux bruns, des yeux sombres et un corps élancé mais musclé. Elle portait une épée de samouraï sans fourreau dans le dos et une tenue claire d’aventurière.
— Est-ce que… j’ai raté le stage… ?
— Non, ne t’inquiète pas, lui dit-elle. Tu n’as même pas commencé. Ton drone a eu une avarie et tu es tombé en dehors de la zone d’exercice. Heureusement, la végétation est dense par ici. Tu aurais pu y rester.
— Et… et maintenant ?
— On va rester ici quelques minutes le temps d’examiner ce qui a pu se passer et ensuite, on va t’amener dans la zone d’exercice. Tu pourras alors commencer le stage. Si tu en es capable…
— Je crois que ça va aller. Je suis juste un peu secouée…
— Tu as des vertiges ? Des nausées ? Mal à la tête ?
— Non… non, ça va.
— Bien. Reste assise pendant ce temps et bois un peu d’eau.
Elle lui tendit une bouteille qu’elle prit et ouvrit pour en porter le goulot à ses lèvres. En levant la tête, elle se rendit compte de la hauteur des arbres et prit conscience de la chute qu’elle avait fait.
— Est-ce que tu te souviens de quelque chose ? demanda alors sa sauveuse.
— Pas vraiment… je crois… qu’il y a eu une explosion qui a déstabilisé l’appareil. Après j’ai chuté… et je ne me souviens plus…
— Une explosion, dis-tu ? As-tu vu un projectile avant ou entendu quelque chose d’inhabituel ?
— Non… Est-ce que j’ai été attaquée ?
— Je ne sais pas… C’est ce que nous cherchons à savoir. Karine est partie à la recherche de ton drone, on trouvera peut-être un indice. Au fait, moi c’est Mélissandra.
— Galata, enchantée.
Karine revint quelques minutes après. Galata remarqua le contraste frappant avec Mélissandra. Si cette dernière paraissait un peu austère aux premiers abords, Karine semblait plutôt excentrique.
Elle avait des cheveux roses, coupés en dégradé. Elle ne portait qu’un long gilet, aussi déformé qu’une serpillière, par-dessus un bandeau blanc qui entourait sa poitrine généreuse et un short clair. Deux bâtons de combat étaient accrochés à une double ceinture qui cintrait sa taille. Toutes les deux portaient de grosses chausses à semelles épaisses.
— Ah ! s’exclama Karine avec un grand sourire. Tu vois qu’elle est bien vivante ! Elle a même repris des couleurs…
— Tu as trouvé quelque chose ? demanda Mélissandra en ignorant la remarque.
— Oui, madame sérieuse-dans-le-travail !
Elle tendit un objet calciné dans la main. Mélissandra l’examina attentivement.
— Mais… ? C’est…
— Ouais ! affirma Karine. C’est une mine thermique. Du moins, ce qu’il en reste. C’était collé sur l’aile droite.
— Bon sang ! C’est du sabotage !
— Du sabotage ? s’étonna Galata. Mais pourquoi ?
— Nous n’aurons pas les réponses maintenant, répondit Mélissandra. Karine, est-ce que tu as vu quelqu’un ou quelque chose dans les parages ?
— Non, j’en suis sûre.
— Emmène Galata vers la zone. Je vais explorer le coin et prévenir le centre. Je vous rejoindrais sur la route.
— Pas de problème ! Allez, viens jolie cœur. J’adore ta couleur de cheveux, je crois qu’on va bien s’entendre. Moi c’est Karine, je fais partie des secouristes pour porter assistance aux stagiaires comme toi. Je suis originaire de cette planète, enfin… de cette lune, je sais plus-trop-quoi. Bref ! J’ai toujours vécu ici. Et toi, tu es de Faith ? Je n’ai jamais été là-bas, c’est la planète QG des Space Rangers, non ? Il parait que la capitale Energy City est vraiment géniale ! J’irai sûrement la visiter un jour et si elle me plait j’irai peut-être m’installer aussi enfin, je sais pas encore mais j’y réfléchi beaucoup et blablabla…
Tout en discutant, Karine emmena Galata au cœur de la forêt sous le regard désespéré de Mélissandra.
— Elle est vraiment incorrigible, souffla-t-elle.
Quelques heures plus tard, Galata et son escorte bavarde s’arrêtèrent pour faire le point près d’une cascade qui sortait d’une falaise rocheuse. L’eau y était claire et fraiche. Des gouttelettes projetées par la chute restaient en suspension, formant une petite nappe brumeuse. Galata s’en servit pour se rafraichir le visage. Il n’y avait qu’à tendre la main pour être trempé de la tête aux pieds.
Karine avait escaladé la falaise pour se repérer. Elle en descendit quelques minutes après en effectuant quelques acrobaties que même Galata n’oserait faire.
Cette dernière s’apprêtait à se lever lorsque Karine l’en empêcha d’un geste, sa main sur l’un de ses bâtons de combat. Un bruit sourd se faisait entendre à rythme régulier, comme un pas lourd, suivit après d’un fort bruissement de feuillage.
— Ne bouge pas…, souffla Karine.
Galata n’osait pas demander ce qu’il se passait mais elle eut sa réponse assez vite : une sorte de monstre géant venait de sortir d’un bosquet d’arbre. C’était une créature à quatre pattes, massive et dont le museau était surmonté d’une corne osseuse en Y. La bestiole faisait dans les quatre ou cinq mètres de hauteur malgré la petitesse de ses pattes.
— Ce… c’est… c’est… c’est…, balbutia Galata, effrayée.
— Chuuuuuuuuuuut ! souffla Karine. C’est un rinodoton. Il n’est pas dangereux tant qu’il n’est pas apeuré, mais il peut t’écraser comme un insecte si tu es sur son chemin. Il n’a pas une très bonne vue…
La créature s’était approchée de l’eau, humant l’air en soufflant comme un bœuf. Puis, elle baissa la tête pour laper la surface de la rivière.
— On va s’éclipser doucement, viens avec moi…
Karine prit Galata par le bras et elles s’éloignèrent en catimini, laissant à ses affaires l’immense bête.
— C’est la première fois que tu en vois un ? demanda Karine à la pauvre Galata, encore sous le choc.
— O… oui… Il n’y a pas d’aussi gros monstres à Energy City… la seule terreur dans mon quartier est un petit chat enrobé qui n’aime pas être dérangé. Mais là…
— Ne t’en fais pas, dans la zone d’exercice, il n’y en a pas d’aussi gros, ni de vraiment dangereux. Il faudra que tu fasses attention quand même à l’un d’entre eux.
— Lequel ?
— Je vais te montrer…
Elle sortit une petite tablette de son gilet. Elle l’alluma et parcouru une liste illustrée par les images des différents animaux.
— Ah ! C’est lui…
Elle tendit la tablette à la jeune scout. Celle-ci ne fut guère rassurée en voyant l’espèce de félin couché sur une branche d’arbre. Il arborait une fourrure noire avec une rayure blanche sur le dos, une petite crinière à la base du cou et une longue queue touffue à son bout.
— C’est le jaggopard des arbres. C’est un prédateur agile et redoutable. Généralement, il ne s’attaque pas aux humains, mais un animal vit par l’instinct et peut être imprévisible. S’il a envie de croquer une jolie petite pomme comme toi, il ne va pas s’en priver…
— Ah… ah bon ?
Décidément, elle se demandait si ce stage était une bonne idée. Jamais maître Rayzen ne lui avait parlé de telles épreuves…
— On est bientôt arrivé vers la zone, décréta Karine. Encore une bonne heure de marche…
Elles se remirent en route à travers l’océan de feuillage touffu. Galata ne put s’empêcher de regarder régulièrement derrière elle pour vérifier qu’aucun monstre ne s’apprêtait à surgir dans son dos.
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