Balade matinale

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Au loin, dans la campagne, une lueur éclaire l'horizon. Il est tôt ; l'aurore nous a trouvés éveillés. La clarté enfle et se colore peu à peu, tentant de repousser la nébulosité qui embrume le paysage. Timides, des rayons s'immiscent partant de la forme arrondie orangée qui peine à émerger. Le jour tente de se lever. Les rais de lumière s'élancent à la conquête du ciel. Un coq se fait entendre. L'assaut se transforme maintenant en brasier. Des oiseaux pressés s'activent d'un arbre à l'autre. Comme des doigts dans une chevelure, le soleil darde ses rayons entre les branches. À travers les hautes herbes, on aperçoit un chien qui parcourt les champs. La lumière se fait plus vive.

Après notre petit-déjeuner, comme tous les jours, nous sommes sortis ; serrés l'un contre l'autre, nous progressons vers le fond du jardin. La fraîcheur est encore présente. Notre chienne nous suit, puis court vers un bruissement. Un arbuste à fleurs blanches nous offre son parfum délicat, celui d'à côté dresse ses rameaux rouges vers le ciel, un bouquet d'ostéospermums déploie ses pétales colorés. La nature s'éveille.

Perdue dans mes songes, je reviens sur le passé, toutes ces années qui sont derrière moi.

Et puis non, je chasse ces idées, je profite de l'instant. Le soleil, ton épaule contre la mienne.

Notre promenade du matin représente une source de joie et de découverte. Aux quelques plantes présentes à notre arrivée, nous avons ajouté des végétaux divers et surveillons leurs progrès. Leur entretien requiert un art délicat, il faut apprendre à connaître chaque variété et lui apporter ce dont elle a besoin, la protéger du vent, du froid ou de la chaleur, l'arroser plus ou moins, selon ses caractéristiques. Des tiges fragiles dépassent de terre, parviendront-elles à s'épanouir ? Parviendront-elles à prendre le pas sur les espèces rustiques, quelque peu agressives et envahissantes ?

Gaïa saute à pattes jointes sur une motte de terre, elle a dû sentir un mulot et son instinct de chasseuse s'est réveillé.

Peu à peu, le soleil réchauffe le petit matin lumineux.

Nos mains sont enlacées dans la poche de veste de mon mari.

Un bouquet de verveine odorante a fait son nid contre une barrière. Ses branches anciennes se tordent pour se faufiler vers la lumière. Ses feuilles minces et allongées embaument nos infusions d'un arôme puissant et fin à la fois. Mes doigts glissent le long d'une ramille, je cueille son parfum et le tends à mon mari qui ferme les yeux, charmé par la senteur citronnée.

À ses côtés, un framboisier lance ses pousses hérissées de fines épines serrées dont la piqure insidieuse nous blesse trop souvent. Toutefois, même si la cueillette s'avère périlleuse, des fruits délicats nous régalent en été.

Non, je ne veux penser à aucune douleur, aucune souffrance.

Nos efforts se conjuguent pour garder à distance tout ce qui fait mal. Les ronciers, malgré leurs mûres savoureuses, sont maintenus à l'extérieur de notre terrain ; ils envahissent peu à peu le pré laissé à l'abandon qui longe notre enclos. Malgré nos efforts, des rejets surgissent de façon inattendue, nous rappelant que nous devons toujours rester sur nos gardes.

Ses yeux bleus se posent sur moi et me caressent tendrement.

En lisière, là où le terrain remonte, le rocher affleure. Sa surface rugueuse et accidentée forme un promontoire discret. Parfois, je ne peux m'empêcher de faire glisser ma paume sur ce dos courbé, j'en apprécie les aspérités et la persévérance. Des veines blanches sur fond gris parcourent sa masse. Leurs méandres expriment leur peine à tracer une route, des lignes s'interrompent, d'autres bifurquent. Le dôme de roc hésite à émerger, entouré de courtes herbes jaunies, puis il se fond dans le sol et cède la place aux arbustes les plus résistants.


Le chemin a été long pour parvenir à une vie calme, à un jardin gai, coloré où chacun trouve la possibilité de s'épanouir. Certains épisodes furent angoissants, pénibles mais nous avons fait face l'un et l'autre, étudiant les situations, serrant les poings et nous exhortant au courage.


À mi-parcours, un banc en fer forgé attend les promeneurs. Nos pas s'y arrêtent. Serrés l'un contre l'autre, nos yeux se cherchent, nos bouches s'attirent, le temps s'estompe l'espace d'un tendre oubli. Quand soudain, le vent nous rappelle et dirige notre observation vers les parterres tout proches.

Les pavots de Californie affirment leur couleur safran qui tranche et vient raviver le violet profond des ostéospermums au cœur sombre parsemé d'étincelles pétillantes. Nichées près de la porte, un massif de marguerites offre ses cœurs tendres et jaunes entourés de pétales immaculés, au bout de ses baguettes vertes, enguirlandées de dentelles oblongues.

Au cours de notre déambulation, chacun nous salue à sa façon : le callistemon recourbe ses branches filiformes avec élégance et lance ses goupillons rouges ; les lauriers étirent leur feuillage fourni, alternant leurs tons nuancés ; les branches des oliviers se fraient un chemin à la recherche de la clarté ; les fleurs blanches du citronnier nous envoûtent de leur senteur subtile et raffinée ; la bignone et ses trompettes orange claironnent leur joie de vivre.

Blotti contre le mur de la dépendance, bien exposé au soleil, un pied de vigne italien, au goût si particulier, dresse fièrement ses sarments. Cette année, il est enfin parvenu à développer branches et feuilles et de minuscules grappes se sont formées.

Deux rosiers encadrent le haut de l'allée, leurs pieds noueux témoignent de leur âge. Pourtant, de nombreux boutons affirment leur vigueur sur des tiges aux épines effilées. Les fleurs, dès leur début, dispensent une senteur délicate et mesurée, délivrée à l'approche. La brise se charge de hâter la fanaison, les laissant décoiffées mais dignes.

Je les regarde, ces roses flétries, en souriant, avec beaucoup d'affection. D'un geste attentionné et tendre, je les relève un instant pour les humer encore. Elles me ressemblent, fatiguées d'avoir lutté dans les bourrasques, asséchées mais heureuses du soleil reçu. Elles sont mes sœurs ; avec attendrissement, je constate leur déclin. Du bout des doigts, je parcours mes rides et mesure le chemin traversé.


Soudain, des éclats de voix nous parviennent des habitations voisines. On aime vivre dehors dans le Sud et certains ont tendance à s'exprimer de façon exubérante. Des rires fusent sans retenue et franchissent les palissades quand le vent les emporte.


Dans l'atelier de Federico, les sculptures s'alignent sur les étagères. Des souches et pièces diverses attendent leur tour dans un coin. Les ciseaux, gouges, maillets, broches, fraises, soigneusement rangés par taille, se tiennent prêts à remplir leur office. Les essences de bois libèrent leurs arômes divers, épicés, caramel, vanille ou clou de girofle ; les teintes se répondent : le doré du merisier, le beige du tilleul, le noir de l'ébène, le brun du noyer, le fauve veiné du chêne, le roux de l'acajou. Les rondeurs des statues et représentations abstraites rivalisent d'arabesques : l'ondulation d'une chevelure, la courbe délicate d'une joue, le tomber majestueux d'une robe, voyages de la nature vers l'imaginaire.


Déjà, la façade miroite sous le soleil, ses teintes ocres révèlent une tonalité adoucie, quelques pierres plus sombres en modèrent le scintillement. Elles sont vivantes et nous content leur histoire, toutes ces années qu'elles ont vu défiler, toutes ces paroles qu'elles taisent, tous ces rires qu'elles gardent en réserve. Les rideaux, comme des paupières, protègent de l'ardeur des journées d'été.


Nous rentrons.

À l'abri de nos murs, nos mains toujours unies, nous regardons au loin. Dans le pays de nos cœurs, nos enfants sont là, bien présents. Souvent les silences parlent bien mieux que des mots impudiques. Le cocon sera toujours accueillant, à leurs tristesses, à leurs projets, à leur envie de chanter.

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