Le Poids des Mots
- Écoute, ma jolie, je voudrais que tu m'écoutes quelques instants, rien de plus. Tu comprends ?
Aux cris de femme en gésine (héhéhé...) qui couvrirent vite sa voix, Raymond comprit qu'il n'était pas sorti de l'auberge.
- Putain, ce qu'elle peut être con quand elle s'y met, celle-la aussi ! pesta-t-il, à court d'arguments.
Cela faisait des heures qu'il tentait de la persuader de ne pas trembler comme une feuille. C'est vrai qu'elle n'était pas encore habituée à voir une pierre lui adresser la parole. L'idée était un peu con, faut admettre, de vouloir parler avec une gonzesse en se faisant passer pour un pavé. Mais comment faire autrement, aussi ? Dieu n'était pas de chair et d'os, quoique ses créations s'en inspiraient pas mal.
Il avait d'abord tenté de lui parler directement, d'esprit à esprit mais la malheureuse cherchait autour d'elle, comme un clébard à la recherche de sa pitance. Et c'était bien parce qu'elle s'entêtait à soulever toutes les pierres autour d'elle que l'idée de se transformer un instant en pierre lui était venue.
Mais la première réaction d'Eve, plutôt que de se prosterner parce qu'elle aurait compris que son Créateur lui adressait la parole, fut de se jeter contre un tronc d'arbre, juste avant de l'escalader aussi haut qu'elle put.
Heureusement, Raymond avait plus d'un tour dans son sac et, surtout, il était d'une patience infinie. Certains, d'ailleurs, n'hésiteraient pas à parler de patience d'ange. Enfin, il n'avait pas encore testé ses compétences auprès de la première femme, le pauvre...
En attendant, il s'évertuait à calmer Eve qui n'était pas loin de se pisser dessus tellement elle chocottait. Mais comment lui faire comprendre qu'elle devait seulement écouter la voix ?
- Eve, ma petite Eve... reprit-il avec douceur. Je voudrais te faire comprendre certaines choses importantes, tu comprends ? Je ne suis pas cette pierre, en fait. Je suis Dieu. Tu me dois la vie. Je suis celui qui t'a conçue. Certes, pas avec ma bite parce que j'en ai pas mais, ça, je pense que tu dois t'en foutre un peu. Quoique, en ce qui concerne le foutre, tu ne devrais pas négliger l'affaire plus longtemps. Si je te parle de ça, tu vois, c'est un peu parce que c'est en rapport avec mon propos.
Le pauvre mec n'était pas près de la convaincre, hein ? Mais, rien à faire. Maintenant que l'aventure était en route, plus moyen de faire machine arrière. Il devait, coûte que coute, lui faire entraver la vérité. Elle devait se faire baiser par cet abruti d'Adam qui n'avait pas seulement découvert les joies intimes de la masturbation. A ce sujet, et pardon pour ce petit aparté, Dieu se morfondit de désespoir quand il découvrit que son rejeton s'amusait à pendre quelques pierres, de plus en plus lourdes, au bout de son appendice sexuel. Ce truc qui devait par la suite occuper la plupart des pensées de ses descendants n'avait pas plus d'importance qu'un record à battre. Raymond dut lui recoudre à plusieurs reprises, suite à quelques pierres vraiment trop lourdes, d'ailleurs. Mais, fin de l'aparté, Dieu en était encore à vouloir persuader Eve de se faire composter pour la pérennité de la race mais celle-ci, sans comprendre de quoi lui parlait cette voix venue de nulle part, continuait de hurler comme une conne. Et ceci dura quelques heures. Jusqu'au moment où...
- Oh, et puis, merde ! explosa enfin Raymond-Prométhée-Dieu, arrivé soudain aux limites de son calme divin. T'es trop con, toi aussi ! Mais, bordel de merde, qui c'est qui m'a foutu des abrutis de ce genre dans mon jardin ! Mériteraient tout juste de passer à la gamelle entre deux tranches de bacon, et encore !
Au loin, Mister U rigolait comme un tordu... Après tout, Raymond se trouvait face à ses échecs, pile en face de sa propre connerie. N'était-il pas à l'origine de ses propres déconvenues ?
Aussi, perdu dans les limbes obscures de sa colère céleste, Dieu décida de laisser tomber définitivement.
- Qu'ils se démerdent, ces foireux ! Entre un pédé trompe-la-mort et une connasse qu'est pas foutue de maitriser ses sphincters, je jette l'éponge, moi ! Je vais m'occuper des fraises et des poireaux, de la météo et de mon cul ! ragea-t-il, déclenchant un des plus gros orages vus depuis la Création.
Puis il retourna dormir dans les nuages. Là, au moins, pensa-t-il, personne ne viendrait le faire chier.
Le moins qu'on pourrait dire de la situation, c'est qu'il avait encore quelques problèmes de communication avec ses sujets. C'est ainsi qu'Adam et Eve se retrouvèrent laissés à l'abandon dans un Paradis dont ils ne savaient rien, si ce n'est qu'ils pouvaient y faire tout ce qu'ils voulaient.
Chacun de leur côté. Parce qu'à ce moment-là, ils ne s'étaient pas encore croisés, ces deux couillons. La faute à Raymond qui, égaré dans ses prétentions de gérer les jours de ses créations, avait veillé à les éloigner l'un de l'autre, le plus loin possible, en attendant de pouvoir les présenter pour organiser de belles noces...
Depuis, solitaire et silencieux, il méditait. Comment atteindre son objectif sans se prendre la tête en s'adressant à deux blaireaux ? Simple, pensa-t-il un peu plus tard... Il devait les laisser développer leur propre langage. Il fit donc en sorte de les rapprocher, pour les obliger à fonder l'Humanité.
Ensuite...foi de Dieu, ils baiseront !
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