Monologue de la cruche
Tu me demandes pourquoi je porte une cruche, gentilhomme. Regarde la. Tu ne vois rien à l'intérieur ? Regarde mieux. C'est pour pisser dedans. Comment, tu recules ? Mais imbécile, quand les dieux étaient encore dans la poussière primordiale, avec quoi crois-tu qu'ils t'ont fait ? Quand ils n'avaient que de la poussière tourbillonant dans leurs yeux et aucune lumière, avec quoi ? Avec leur pisse ils ont fait de la boue et ils t'ont modelé comme un vase. Et pour faire ton âme claire, ils ont pissé dedans jusqu'au bord.
Tu recules imbécile ? Sans doute que tu aurais préféré être façonné de choses nobles. Es-tu un oiseau ? Es-tu une montagne ? Les choses nobles on les a gardées pour ces fins. Et de toute façon, la salive et la semence te feraient reculer de même. Pour toi, la pisse.
Tu ris maintenant ? Tu me défies ? Tu veux que je prédise l'avenir, la date de ta mort ? Mais pour mourir, il faut encore avoir vécu. Qu'as tu fait jusqu'ici qui soit de la vie ? Ton travail, c'est de détruire. Ton repos d'entasser. Et quand tu dors dans ton trou chauffé, c'est encore la terre que tu brûles. Tu veux que je te parle de la mort ? On meurt à l'image de sa vie.
Quand je mourrai, moi, je rejoindrai les grands singes dans la haute forêt. J'y serai avec les miens libre et bruyant, priapique. Je suis seul ici, et c'est pourquoi je te parle. Quand je serai libre, ceux qui s'approchent, je leur lancerai mes excréments, et c'est ce que je fais déjà. Toi, qui veux savoir, tu ne penses qu'à toi et tu veux déjà mourir ?
Quand tu mourras, tu resteras ici. Comme un rat. Et les excréments, tu les mangeras. Comment tu en as assez ? De l'argent pour mon silence ? Moi aussi j'en ai assez. Cette pièce, je vais la boire et la pisser. Et peut être qu'elle en deviendra meilleure que ce que tu étais.
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