La chose dans les ténèbres

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  Les anges, les démons et autres esprits n'existent pas ! Les chasseurs de fantômes ne sont que des farfelus qui prétendent s'appuyer sur la science pour justifier l'injustifiable ! C'est pathétique ! Voilà ce que vous dirait quelqu'un de rationnel. Quelqu'un qui n'a pas vécu l'horreur à l'état pur, invisible et pourtant tangible, sa réalité manifestée avec tant de force qu'elle menace de vous briser corps et esprit. Cette expérience de terreur insondable, je l'ai vécue dans la demeure de mes parents. Voici mon histoire.

***

  La nuit était si noire que j'étais incapable de distinguer les lattes du lit posé un mètre au-dessus de moi. Je savais mon imagination prolifique et ma peur des ténèbres ancrée depuis mon plus jeune âge. Aussi, en étudiant avisé, je m'arrangeais toujours pour m'éviter une envie pressante en pleine nuit, priant pour que mon réveil ne se fasse qu'au petit matin, avec tous les membres de ma famille. Cependant, mes précautions ne pouvaient lutter contre les caprices de mon corps, et il me fallait alors affronter l'obscurité.

  Les yeux grands ouverts et pourtant aveugles, je me représentais le long parcours qu'il me fallait suivre pour atteindre les toilettes. Traverser ma chambre, le dégagement du premier étage, une série interminable de marches descendant au rez-de-chaussée, les quelques mètres me séparant de la lumière, et enfin la porte des toilettes. Quand mon envie se fit si pressante que j'en eus mal au ventre, je me décidai à me lever. Le cœur battant la chamade et un bruit sourd dans le crâne, je m'engageai sur le chemin des WC. Les ténèbres m'enveloppaient et m'écrasaient à en suffoquer, mais je parvins à atteindre l'interrupteur de la lumière des escaliers.

  Le grincement des marches, qui gémissaient sous ma masse, était horrible, et à mi parcours, alors que je voyais les dalles froides du rez-de-chaussée qui disparaissaient dans le noir, je sentis une présence. Pas celle d'un homme ou d'une femme, ni même celle d'un animal. Plutôt celle de quelque chose. Quelque chose de massif, d'informe mais dont je pouvais sentir le regard posé sur moi. Un regard pénétrant. Dérangeant. Qui fit se hérisser les petits poils de ma nuque. Je dévalai les dernières marches, me ruant sur l'interrupteur du séjour que je pressai fébrilement. L'éclat chaud d'une lumière salvatrice se répandit dans toute la pièce, chassant la chose pour m'ouvrir une voie sûre vers ma délivrance.

  Mes besoins satisfaits, je quittai les WC et m'arrêtai devant le bouton de la lumière du séjour. J'allais éteindre, être de nouveau plongé dans les ténèbres. Même approximatives, la lumière des escaliers étant allumée, elles suffiraient pour ramener ce qui se tapissait dans la nuit. Je le sentais. Je le savais. J'appuyai malgré moi sur le va-et-vient et me figeai. Rien. Juste moi, le silence et l'obscurité. La gorge nouée, je m'avancais vers les escaliers et montais une, puis deux, puis cinq marches. C'est alors que mon monde bascula de l'angoisse à l'horreur la plus pure.

  Je sentis de nouveau la présence, titanesque, dans mon dos. Elle se saisit de moi. Pas comme le ferai une main, plutôt comme une enveloppe me vidant de toute énergie pour m'attirer à elle. Son attraction était d'une force implacable. Je luttais pour continuer à monter, pour rejoindre la lumière. En vain. Je me rapprochais inexorablement des ténèbres, et quoique dos à cette chose, je pouvais sentir son regard brûlant posé sur moi. Un regard effrayant qui était habité par bien pire que la violence, la haine ou la cruauté. Il en émanait quelque chose d'hideux, de froid, de fondamentalement mauvais. Je me mis à prier de toutes mes forces, renouvelant désespérément mes efforts pour arracher mon corps à l'emprise de l'entité infernale. Je suppliais le ciel, alors que je descendais une à une les marches, à reculons, approchant un peu plus de l'obscur sans pouvoir me retourner. Le temps me paraissait s'écouler avec une lenteur épouvantable, mon cœur menaçait de sortir de ma poitrine, et je perdais la bataille. Ma rage de vivre ne s'éteignit pourtant pas. Ma gorge était si serrée que pas un son ne pouvait en sortir, mais des mots déchirants jaillissaient de mon âme pour rejoindre le Très-Haut. Après une lutte interminable, je sentis l'attraction de la chose dans les ténèbres faiblir. Je priai avec plus de ferveur encore, mes jambes résistèrent, m'obéirent enfin, faisant leurs premiers pas en avant. Pas à pas, je regagnai l'escalier, montai, montai, jusqu'à éprouver la sensation chaleureuse dispensée par l'ampoule accrochée au premier étage. Épuisé, terrifié, reconnaissant d'être à nouveau maître de mon corps, j'allai retrouver le contact rassurant des draps sur ma peau. Mes yeux se fermèrent et, une fois le galop de mon cœur passé, je sombrai dans un sommeil sans rêve.

  Ainsi s'acheva ma première rencontre avec l'autre, terreur insondable tapie dans le noir. Car oui, je devais recroiser sa route. Suffisamment de fois pour que jamais je n'oublie l'horreur éprouvée à chacune de ses visites.

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