L'amnésique

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Quand je me suis réveillé,  la première chose que j'aperçu ce sont de longues jambes gainés de noir. Dans un fauteuil au pied du lit, une femme était assise, assoupie et belle, oui vraiment belle. Je ne pouvais détacher mon regard de son visage triangulaire au teint parfait. Et puis elle bougea, un peu. Je retenais mon souffle de peur qu’elle ne soit qu’un rêve. Une aide–soignante entra sans frapper, poussant un chariot  qui couinait,  ma visiteuse ouvrit un œil, puis le deuxième. Ils étaient d’une couleur noisette et éclairaient de lumière la pièce aseptisée. Elle me regardait d’un air surpris et d’une voix rendue grave par le sommeil s’écria

- Oh Charles !

L’aide-soignante aussitôt ouvrit la porte et cria dans le couloir 

- Vite le monsieur de la 215 est sorti du coma . 

Quoi ? Qu’est-ce qu’elle a dit ? Ai-je pensé.  Ma visiteuse s’était approchée du lit doucement comme si elle me craignait, mais elle m’a pris la main avec douceur et m’a caressé la joue. Ce geste maternel m’a rassuré sur le moment, pourtant très vite les questions ont affluées dans mon cerveau. Je me rendais compte que je ne savais pas qui était Charles pas plus que le monsieur de la 215, ni cette jeune femme à mon chevet dont la lèvre tremblait. Un silence s’ installa que j’essayai de couper en voulant parler, mais les mots restaient coincés dans ma gorge.

- Oh Charles.

- Encore ! Ai-je pensé.

- J’ai eu tellement peur tu sais.

- Hen, hen. Ai-je réussi à articuler.

Mon air ahuri l’alerta car s’adressant à  l’infirmière qui venait de faire irruption dans la pièce.

- Il ne peut pas parler, est-ce normal ? Et avez-vous averti le docteur Rondeau ?

- Oui madame, il est  en consultation mais il arrive.    

Sur la table de chevet, un carnet dépassait d’un sac à main grand ouvert, je m’en emparai et pour réclamer un stylo, je fis mine d'écrire. L’infirmière m’en tendit un et j’écrivis péniblement : Qui êtes vous ? Que se passe-t’il ? Qui suis–je ? 

- Oh Charles

Encore ! Franchement ça devenait lassant à la fin ! 

- Tu as eu un accident de voiture la semaine dernière et depuis tu es resté dans le coma.

Je tapotais irrité sur le carnet pour avoir les autres réponses. 

- Tu t’appelles Charles Dupré et je suis ta femme Élizabeth.

Je commençais  à m’inquiéter de cette perte de mémoire. Comment était–il possible d’oublier une femme pareille et de surcroît si c'était la mienne.

- Ah docteur, monsieur Dupré  vient juste de se réveiller, il n’arrive pas à parler et semble aussi avoir perdu la mémoire.  

A peine arrivé le médecin me pris le pouls, regarda mes yeux avec une petite lampe me demandant de regarder à droite puis à gauche. Il fit un signe à l’infirmière qui apporta une languette en bois. J’ouvris la bouche, j’avais envie de vomir.

- Bon apparemment tout va bien, la parole va revenir, ne vous inquiétez pas monsieur Dupré, vous êtes un peu déshydraté, quant à la perte de mémoire, c’est juste temporaire, il vous faut juste un peu de repos.   


Elizabeth venait tous le jours, elle me parlait de tout, de rien. Je ne l’écoutais pas souvent, mais je la regardai toujours, un vrai régal pour les yeux ! Élégante, souriante, pourtant sont regard restait triste. Elle m’apportait des photos de notre vie d’avant, d’avant ce foutu accident. Elle m’expliquait les visages de ces inconnus, des voyages que nous avions fait, les réunions de famille, de notre mariage et de notre vie bien planifiée. Elle posait sur la table des romans que j’avais lu. Mais le seul roman qui m’intéressait c’était celui de ma propre vie. 



                                                                     *



Mais il avait tort ce bon docteur, quinze jours plus tard toujours rien, nada ! Grâce à  des séances de rééducation de la parole et  de kinésithérapie je suis retourné chez moi, enfin chez nous. Il m’arrive encore de chercher mes mots et physiquement je me sens assez en forme, pourtant  sur ordre de la médecine pas question de reprendre le travail.

Je suis éducateur,  j’habite un joli pavillon dans la banlieue lyonnaise, mes parents sont décédés et nous n’avons pas d’enfant. Pourquoi ? Je ne le sais pas et je n’ose pas aborder ce sujet délicat à la femme qui vis avec moi. Je comprends pourquoi je l’ai épousé, elle me répond toujours patiemment quand me viennent de nouvelles questions, je vois aussi qu’elle s’inquiète. Elle pose à ma portée un tas de choses, comme des photos,  du parfum, celui qu’elle portait au début de notre relation, des cartes de collègues et d’ados dont je m’occupe. D’ailleurs  demain certains viendront me voir. Je redoute cette rencontre car je prédis que leurs visages ne me diront rien.       

Pour parler de ma relation avec mon épouse on peut dire qu’elles sont tendues,  le lien qui nous unissait n’existe plus je le sens bien. Pourtant je vois tous ses efforts pour m’apprivoiser mais nous restons deux colocataires dans la même maison. Pas de geste équivoque ou de tendresse entre nous, je me ferme et repousse toutes ses tentatives. Je me sens diminué, la moitié d’un homme sans souvenirs, sans passé et dont l’avenir est incertain dans ce flou qui m’en m’environne.  


                                                                         *


Demain quand les gamins seront partis, je dirai à cette femme adorable, qu’il serait sage que je m’éloigne d’elle un certain temps. J’ai appris que je possède un appartement dans le centre de Lyon, un héritage de mes parents. Je compte m’y installé pour faire le deuil de ces années oubliées.  Il me faut me reconstruire, reprendre le boulot et surtout reconquérir Élizabeth. Retomber amoureux comme au premier jour me semble évident. Me retrouver, la retrouver, reformer ce couple heureux aperçu sur les photos. De tous mes vœux je souhaite que des sentiments nous lient. Je voudrais  écrire une nouvelle page, premier jour de ma nouvelle vie avec celle que j’ai épousé et  faire des projets d’avenir. Pourvu qu’elle m’aime ! 


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