Chapitre 2 La requête du Doyen p2
Chez le Doyen ? Mais par le Néant Glacial, pourquoi intervient-il à une simple réunion ?
De multiples questions se bousculèrent dans la tête de Vellin alors qu’il montait doucement les marches conduisant à l’appartement du Doyen. La présence du chef des Magistères signifiait que la réunion était d’une importance capitale et dépassait les simple prérogatives d’une unique Maison. Vellin n’avait vu cet homme jusqu’à présent qu’à une seule occasion, lors de sa cérémonie d’intronisation à la Maison du Savoir. C’était également pour lui une chance unique de se faire remarquer. Vellin venait de terminer ses huit années d’enseignement mais comme le voulait la coutume au sein de la Maison du Savoir, il resterait au rang d’apprenti tant qu’il n’apporterait pas de nouvelles connaissances. Nombreux restaient ainsi apprenti des dizaines d’années durant, et finissaient par tomber dans l’oubli. Ils préféraient alors quitter l’ordre plutôt que de continuer à se couvrir de honte.
Vellin ne serait pas de ceux-là ! Son esprit était plus affûté qu’une lame de couteau et sa curiosité insatiable ! Lui, surement le meilleur de sa promotion, disciple de Maitre Lunepâle, ne pouvait prétendre qu’à un grand destin ! C’était sa chance, et il allait la saisir.
Arrivé à la lourde porte cerclée de bronze, il s’arrêta et tendit l’oreille. De l’autre coté des planches de bois épaisses, lui parvient des bruits de voix étouffées. Le jeune homme se maudit d’être une nouvelle fois en retard. Mais il ne pouvait plus faire marche arrière.
Il retint son souffle, prit son courage à deux main et ouvrit la porte.
- Ce qui vous conduira à Drull, à la frontière des Terres Sauvages….
Le vieil homme s’interrompit et fronça ses sourcils gris et broussailleux en voyant la porte s’ouvrir. Une demi-douzaine d’hommes et de femmes étaient assis autour d’une grande table en bois, au milieu du salon richement décoré. En tête de table se trouvait le vieil homme que Vellin venait d’interrompre, qu’il reconnut comme étant le Doyen. Visiblement en pleine conversation, tous se retournèrent et Vellin reçut une pluie de regards courroucés lorsqu’il pénétra dans la pièce. Maitre Lunepâle, qui se trouvait à la gauche du Doyen, lui fit signe de s’assoir promptement le long du mur.
Vellin s’installa dans un silence pesant sur l’une des chaises vacantes. La pièce, suffisamment vaste pour accueillir une trentaine de personnes, débordait de meubles, de tables et de coffres, eux-mêmes encombraient par une multitude objets incongrus, si bien qu’elle ressemblait davantage à un musée qu’à un salon. Même les murs étaient recouverts de cartes, certaines anciennes et usées, d’autres récentes et colorées représentant des régions et des lieux dont Vellin ignorait même l’existence. Le désordre se poursuivait jusqu’au sol, où de curieuses peaux de bêtes tantôt velus, tantôt écailleuses, venaient masquer le plancher en bois massif.
Vellin compta douze autres personnes dans le salon.
Par les Abysses Glacés, que font-ils donc tous ici ?
Le Doyen présidait la réunion, placé en tête de table. À son sujet, Vellin ne connaissait que les histoires colportées entre élèves. Il dirigeait depuis toujours l’ordre des Magistères. En tant que sorcier de très haut niveau il était en réalité beaucoup plus âgé qu’il ne le semblait et certaines rumeurs lui donnaient même plus de trois cents ans. On disait également qu’il était originaire de l’une des rares tribus humaines autochtones autrefois présentes aux abords du désert, et qu’en cela il devait au désert sa peau cuivré et ses cheveux auparavant noir comme le jais et bouclés. Cette rumeur s’avérait probable puisque le vieux sorcier portait toujours les tenues traditionnelles du désert, à savoir une longue robe ample et un turban sur le haut de la tête.
Cinq Hauts Magistères appartenant aux cinq Maisons siégeaient autour de la table centrale. Vellin n’en connaissait que trois d’entre eux.
Assis à la gauche du Doyen se trouvait son mentor, Maitre Lunepâle un homme d’une cinquantaine d’années, visage rond, cheveux long et gras, petites besicles glissants sur un nez aquilin, et dont la tunique bleu menaçait à chaque instant de céder sous la pression terrible de son embonpoint. Vellin appréciait Maitre Lunepâle, pour son insatiable curiosité et sa sympathie, quelque fut son interlocuteur.
Lui faisait face Maître Abthonas, dans son armure d’écailles pourpre et avec son épée longue imprégnée glissée à la ceinture. Le mage au regard froid et calculateur excellait dans l’art de la guerre et comptait parmi les plus jeunes magistères à avoir obtenu le rang de Maitre. Il le devait à ses exploits sanglants lors de la campagne de conquête des Cités Libres, et avait activement pris part à la chute de Z’inthra et Senett. De nature cruel, il se plaisait aussi à brimer les premières années lors des enseignements d’initiation au combat magique. Vellin n’en faisait pas exception. En piètre manieur du fluide, il gardait un souvenir cuisant ainsi qu’une vilaine cicatrice à la cuisse de sa rencontre avec le Maitre, huit années plus tôt.
Les deux autres hommes, inconnus aux yeux de Vellin, s’opposaient totalement par leurs attitudes. Le Maitre des Découvertes était un petit homme entre deux âge, aux cheveux gris ébouriffés et à la tenue émeraude complètement dépenaillée. À l’inverse, le Maitre de la Maison du Peuple restait dévoué à son rôle de diplomate, tout en sourire étincelant et tunique cintrée ivoire tirée à quatre épingles.
L’unique femme à la table des Maitres se nommait Auren Aseph et servait la Maison des Cultes. Elle incarnait toute la rigueur de sa Maison à travers sa physionomie longue et sèche, son port rigide et ses cheveux sombre tombant en un carré droit. La Maison des Cultes, contrairement à son nom servait principalement la Reine, et était réputée comme étant la Maison la plus stricte de l’ordre. Dame Aseph ne dérogeait pas à la règle et on la disait intransigeante. La grande dame écoutait consciencieusement les paroles des uns et des autres et nul doute que la Reine bénéficierait plus tard d’un compte-rendu fort détaillé. La présence de la Maison des Cultes prévalait du caractère officiel d’une mission. Mais si Vellin connaissait sa réputation, il connaissait encore mieux sa disciple, Nemeth Keto.
Car les Maitres n’étaient pas venus seuls et cette seule observation blessa cruellement l’égo de Vellin.
Je ne suis donc pas le seul apprenti à être convié…
Cinq autres apprentis se tenaient déjà sur les petites chaises installées le long du mur recouvert de cartes. L’apprentie la plus proche de Vellin était une femme ravissante. De quelques années son ainé, elle disposait d’un visage dépourvu de la moindre imperfection et dont les yeux turquoise et le sourire radieux rayonnaient, véritable phare de beauté dans la salle. Vellin ne douta point que la jeune femme aux formes généreuses dans sa robe blanche gracieusement moulante ferait une excellente diplomate auprès des nombreux hommes de sa profession.
Suivait un gamin rondouillard à l’air ahuri engoncé comme baudruche dans ses vêtements verts. De loin le plus jeune de la salle, il observait le désordre ambiant avec le regard pétillant d’un enfant dans un magasin de jouets. Vellin supposa que le gosse devait pourtant être particulièrement doué pour être déjà l’apprenti d’un Maitre.
Un peu plus en retrait, les jumeaux écarlates observaient froidement Vellin. Issu de la même promotion, il connaissait bien leur sinistre réputation et ne fut guère étonné qu’ils aient trouvé en Maître Abthonas un mentor aussi cruel qu’eux. Le frère et sa sœur descendaient d’une branche de la famille du Roi Darius. En tant que cousins éloignées du Roi, ils jouissaient d’une certaine impunité dans leur comportement et plusieurs apprentis rivaux ou tout simplement étrangers avaient connu d’étranges accidents en leur compagnie.
Et puis venait Nemeth Keto.
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