Le cadenas que j'avais oublié

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Il y avait ce cadenas sur la porte. Celui que je regardais quand j'étais gosse. Sauf qu'à l'époque, c'est lui qui me regardait de haut, fier avec sa chaîne. Il me narguait, parce qu'il m'empêchait d'accéder à cette foutue cave. Pas que ça m'intéressait particulièrement d'y aller, mais les gamins sont toujours curieux. Une porte fermée, c'est un mystère à élucider. Pendant des années, je me suis demandé ce qu'elle pouvait bien avoir de si important à cacher.

Jusqu'à ce qu'on déménage, et que mes parents soient obligés de payer une nounou pour me garder. J'avais fini par oublier son existence. Mais voilà. Mamie a fini par mourir. J'étais juste venu pour débarrasser la maison avant de la mettre en vente, et je me retrouvais devant le cadenas. Même que j'en avais la clé. Elle allait avec le trousseau de Mamie. Je ne savais pas ce que j'espérais trouver derrière cette porte, mais je vais vous dire une bonne chose : les cadenas sont là pour une raison.

Je l'ai ouvert, pour laisser tomber la chaîne sur le carrelage.


Maintenant tu fais moins le malin, je me souviens avoir pensé.


Pas de lumière. Ampoule grillée. Évidemment. J'ai sorti le téléphone de ma poche, pour m'en servir comme d'une lampe. C'était mieux que rien. J'ai commencé à descendre les marches en bois, qui craquaient sous mes chaussures.

Fais toucher le bout de tous tes doigts ! Allez, magne-toi ou j'en rajoute dix de plus !

Elle en avait rien à foutre, de mes larmes.

Je répéterai pas deux fois, je suis pas comme ton père moi ! Même pas capable de se faire respecter par sa bonne femme !

Elle n'aimait pas que je tourne autour de la cave. Elle avait encore moins aimé, quand j'avais essayé de forcer le cadenas avec une épingle à nourrice.


C'EST
coup de règle

LA
coup de règle

DER
coup de règle

NIÈRE
coup de règle

FOIS
coup de règle

QUE
coup de règle

TU
coup de règle

T'A
coup de règle

PPROCHES
coup de règle

DE
coup de règle

MA
coup de règle

CAVE
coup de règle

Ça fait beaucoup de coups de règles, quand on a huit ans. Elle a frappé tellement fort que j'avais le bout des doigts en sang, et qu'un ongle avait sauté de mon pouce. Le pire, c'est qu'elle en était contente.

Dernière marche. J'étais arrivé dans une cave noyée de pénombre, avec mon seul téléphone pour me défendre contre le noir. J'avais la chair de poule. De toute ma vie, je n'ai jamais rencontré quelqu'un d'aussi terrifiant que Mamie. Et je crois que ma mère non plus.

De ce qu'elle dit, c'est à cause d'elle que Papi est parti.

Qu'est-ce que t'as encore fait ? Pourquoi mon saladier est par terre ? Regarde-moi ça ! Il y a du verre partout ! Tu le ramasses ! Vite ou je vais chercher la ceinture à Papi !

Elle en avait rien à foutre, de mes larmes.

Non, tu prends pas le balai ! Tu ramasses avec tes doigts ! Et je veux plus un morceau par terre ! Ça t'apprendra à casser mes bibelots !

Sept coupures. Je m'en souviens encore. Elle a attendu que j'aie tout ramassé, pour me désinfecter et panser mes plaies. Après, elle m'a fait nettoyer le sang sur le carrelage du salon.

La lumière de mon téléphone éclaboussait les ombres, pour dévoiler une table de travail où gisaient des lames de scalpel, des scies de toutes les tailles, des clous et des vis.

Il y avait aussi des peaux.

ARRETE DE TOUCHER A MON RENARD ! Tu les aimes les animaux morts ? Attends, bouge pas de là !

Elle est partie, pendant une bonne demi-heure, pour revenir avec un oiseau entre les mains. Elle était forte pour capturer les oiseaux. Une cagette de bois, soulevée par un baton relié à une ficelle, et un peu de bouffe dessous. Ça marchait à tous les coups.

Tu les aimes les animaux morts, hein ? Je vais te passer l'envie de toucher aux miens !

Elle a tordu le cou de l'oiseau, et m'a forcé à le prendre.

Va dans la chambre, tu vas dormir avec ! Je viendrai vérifier que tu l'as dans ton lit ! Que je le surprenne pas ailleurs que sur ton oreiller !

Elle en avait rien à foutre, de mes larmes.

Je savais qu'elle aimait les animaux empaillés, mais je ne savais pas qu'elle les faisait elle-même. Je continuais de balader la lumière du portable dans la pièce, jusqu'à tomber sur le mur du fond, pour découvrir le secret de Mamie.

Elle avait fabriqué une chimère.

La bête était plus grande que moi, et je suis bien incapable de vous dire combien d'animaux différents il y avait. J'ai reconnu des sabots, des cornes de taureau, des oreilles de chat et de lapin, une queue de renard. Une tête de veau, et une autre de bouc. Un torse de grand singe. Mais ce que j'ai surtout reconnu, c'est un sexe humain. Tendu droit devant le monstre, des bourses pendues à sa base.

La police est venue, et ils ont retrouvé Papi. Il n'était pas du tout parti, juste enterré dans le jardin, sous le potager en friche. Elle l'a tué d'un coup de hachette dans la nuque. Elle a frappé quatre fois pour le décapiter. Et puis elle l'a émasculé pour garnir sa chimère d'une queue bien dure.

J'aurais dû laisser ma curiosité s'en aller avec mon enfance, ne jamais entrer dans cette cave.

Si vous aussi vous trouvez un jour une porte fermée, je vous déconseille de l'ouvrir.

Les cadenas sont là pour une bonne raison.

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