Chapitre unique

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Mille ans qu’Avalia existe. Mille ans de contes et légendes, d’idoles louées, bénies de vœux et de prières. De toutes les histoires narrées par les pontes, il en est une qui reste en mémoire du peuple. Beaucoup en font une leçon de vie. L’on raconte parfois qu’elle permet de garder courage, de retrouver la foi en son savoir-faire et en l’intelligence de l’Homme. Il est une femme qui la dicte par cœur à ses disciples. Probablement garde-t-elle l’espoir que le monde peut changer...

Seules quelques personnes connaissent son vrai prénom. À sa naissance, son père la nomma Fíriel : femme mortelle. Fille de forgeron et d’une dame décédée en couche, elle entendit pour la première fois à dix ans que les hommes faisaient la loi dans son monde. Ils décidaient de l’avenir de Caleah, de son bien-être, de sa perte et du traitement infligé à leurs semblables. Avant cela, son père lui donna l’affection et l’attention dont elle avait besoin, à la manière d’un forgeron bien rôdé. Derrière les voiles séparant son atelier et sa boutique, il dissimula sa fille et lui enseigna l’art de forger à coup d’une rude tendresse. Dans la Première Ville, là où les hommes apprenaient la guerre ou le service au Roi, les femmes apprenaient la mise au monde et le service aux hommes. Les conventions auraient dû inciter Calion : Le Lumineux à confier sa progéniture à un établissement. Mais dans les si jolis yeux de son héritière, il ne put se résoudre à voir naître des larmes.

Fíriel comprit et s’inclina face aux décisions de son père, par respect pour lui et son esprit de protection. Malheureusement, à l’âge irraisonnable de douze ans, la jeune fille rencontra un garçon. Leur relation amicale ne dura pas longtemps. Cependant, toute naïve qu’elle fut, l’innocente lui confia tous ses secrets. Fou d’une impulsion colérique, le jeune adolescent s’empressa d’aller le répéter à son géniteur Conseiller Royal. Apprenant qu’une femme savait forger, on punit Calion au fouet plusieurs jours durant pour avoir offensé le Roi et ses coutumes. Le sourire du forgeron ne disparut pas, mais l’indignation grandit en Fíriel, tout comme son corps et sa conscience.

Bientôt, elle tenta d’amadouer tous ceux qui voudraient blesser son père. Incapable encore de se défendre physiquement, elle préféra torturer les affreux en cherchant dans leur passé ce qui pourrait compromettre leur honneur. Pour prévenir la reproduction d’injustices, elle dut quitter la forge. À quatorze ans, elle avait trouvé de quoi châtier chaque soldat du royaume ; elle revint fière auprès de son père, satisfaite d’avoir trouvé tant de points faibles. Néanmoins, elle avait perdu du temps et elle s’en rendit compte à son retour : ses pensées centrées sur Fíriel, Calion avait chu, son cœur s’étant arrêté d’inquiétude. Rongée par la culpabilité, la jeune fille devint d’abord folle de chagrin et s’enferma dans la boutique à côté du corps. Après plusieurs jours, l’odeur attira des bras vaillants, qui s’occupèrent d’offrir une sépulture au bougre, tout de même admiré pour son travail de qualité. Cachée, Fíriel resta introuvable et erra deux années sans but, orpheline de père et d’amour. Seule et jeune femme, elle courrait beaucoup de risques à mendier et manqua plusieurs fois de tomber dans les pièges d’hommes vils et séducteurs, malgré son état déplorable.

C’est en assistant à une agression que les racines de la hargne provoquèrent un déclic en elle. Puisque les hommes étaient si forts, elle en deviendrait un et imposerait son savoir à tous ! L’adolescente eut toutes les peines du monde à cacher ses formes sous des bandages serrés, mais le manque d’air porta ses fruits ; sa voix se transformait d’entente avec son apparence. Fíriel rouvrit la forge sous le nom de Cuthalion : Arc De Fer, créa de nouvelles relations et appliqua son nouveau concept : la vente directe aux Soldats. La personnalité dépréciée de ce personnage n’empêcha pas le profit, d’un côté comme de l’autre. La jeune femme aurait pu être heureuse de valoriser ce que son père lui avait légué. Mais ses remords revinrent au galop à dix-huit ans, car elle réalisa rendre service aux bourreaux contre lesquels elle voulut toujours lutter.

Le jour où elle décida de réfléchir à une autre solution, un homme à la prestance impressionnante pénétra dans l’échoppe. Les yeux pleins de larmes, Cuthalion tenta de servir son client au mieux. Mais Ohtar Le Guerrier ne l’entendait pas ainsi. Il s’approcha de Fíriel, au point de presque s’allonger sur le comptoir et porta vers ses yeux océans une main réconfortante.

– Je suis un imposteur inutile, dit-elle d’une voix grave.
– Vous avez certainement d’autres talents que celui de comédienne, la consola-t-il.

Il était passé à côté du problème, n’avait pas saisit les sentiments tiraillant Fíriel. Mais il semblait prêt à l’écouter. Alors elle ferma la vente pour la journée, entraîna l’inconnu dans l’atelier et lui révéla sa nature en lui racontant son histoire, car elle n’avait plus grand-chose à perdre. À aucun moment elle n’aurait pensé pouvoir se confier à un homme ainsi, un homme si doux et bienveillant. Il recouvrit les épaules nues de la jeune femme et la prit dans ses bras.

– Un Héros, c’est quelqu’un qui se bat pour faire passer un message, réveiller les consciences par des actes, sauver des vies sur des convictions. Si votre but est d’en devenir un, vous pouvez mentir aux autres, mais pas à vous-mêmes. Je suis là pour vous apprendre le combat, si c’est ce qui vous manque pour avancer.

Par le hochement de tête de la jeune femme magnifique qu’il enlaçait, il comprit que le courage de cette dernière était revenu. Surtout, il sut qu’il ne serait plus jamais le même.

***

Les entraînements furent nécessaires, intenses et secrets. Le sérieux des techniques contrastait avec leur complicité. Elle devint confortable, inaltérable, émotionnelle... inévitablement charnelle. Leur but commun devint d’atteindre le titre de Chevalier, ensemble, unis. Le jour de leur mariage, après avoir forgé deux équipements complets, Cuthalion : Arc De Fer cessa d’exister. Grâce à ces nouvelles aptitudes et pendant encore deux ans, Fíriel put défendre la population des dangers, aider les enfants à retrouver leur chemin, faire entendre aux dames qu’elles étaient des combattantes, même si elles ne portaient pas d’armes d’acier. Elle profita de chaque instant pour répandre un message d’espoir dans la Capitale, dans les villages alentours. Évidemment, tous ne portaient pas cette demoiselle en estime et, rapidement, on parla d’un couple de traîtres. Malgré leurs maîtrises, Ohtar et Fíriel furent pris en embuscade. Le conte le plus populaire traduit que leur amour ne suffit pas à sauver leurs peaux ; Le Guerrier se sacrifia pour sauver La Femme Mortelle, qui mourut de chagrin dans sa cellule.

La véritable histoire explique qu’Ohtar périt en Héros en se dressant entre les flèches d’argent et son aimée. Fíriel, enlaidie de fureur, décima le bataillon venu l’anéantir. Il est certain qu’elle pleura celui qui la comprit mieux que personne et qu’après deux jours à se vider de sa peine, elle remit en question la légitimité de leur promesse. Mais elle retrouva sa vaillance, par cette force qu’il lui avait laissée. Elle s’adressa aux Six et leur jura qu’elle enverrait son message coûte que coûte.

***

De retour à son atelier, Cuthalion : Arc De Fer revécut. Son idée lui vint de ces alliances fines, aux reflets dorés et argentés, mélange de deux matériaux uniques et précieux. Le cœur brisé, il en fit une seule et même bague, qu’il cacha dans un coffre solide et scellé. Puis il reproduit sa technique, en y mettant toute sa foi, son savoir-faire et la puissance de son message. Le forgeron en fabriqua une collection entière, selon les souhaits de ses clients. Au fil du temps, ses bijoux se répandirent dans le royaume et les plus apprêtés franchirent même les frontières. Il fallut quelques années pour que tous les anneaux reconnaissables par leur forme et leur valeur s’installent autour des doigts des dirigeants. On leur prêta même des pouvoirs. À Tyre, le don de divination. À Bamor, celui de persuasion. Dans sa ville, celui de la connaissance. Dans les Clans Keelu des Montagnes et Nekhem du Désert, le don de puissance et d’indépendance. Même à Dytea, cité maudite et exclue, les gouverneurs successifs pensèrent avoir gagné l’immortalité et pouvoir s’élever au niveau des Dieux.

D’abord sans dénomination, le nom du propre anneau du créateur se répandit par la bouche du peuple d’abord, puis par celle des puissants qui les portaient fièrement dans tout Avalia. Elle baptisa cette bague par le dernier mot qu’Ohtar avait soufflé avant sa mort : La Chevalière. Parce que pour Fíriel, une Chevalière, c’est une femme qui se bat pour faire passer un message, réveiller les consciences par des actes, sauver des vies sur des convictions. En agissant ainsi, elle ne s’était pas menti à elle-même. Et elle serait là, même après sa mort, pour apprendre aux autres ce qui leur manquait pour avancer.

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