« Est-ce qu’il vous est arrivé quelque-chose ? »

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Depuis peu, les arbres et l’herbe blanchissaient la nuit. Au matin, les gouttelettes disséminées sur les végétations reflétaient les premiers rayons du soleil. Maï avait conservé les peaux des bêtes tuées pour leur servir de couverture ou de surcouche. Sa grand-mère lui avait enseigné à travailler les cuirs alors qu’elle tenait un magasin dédié après leur arrivée à Minespoir. C'était avec nostalgie qu'il avait reproduit ses gestes. Il regrettait le jour où, devenu assez fort pour travailler au sein des mines, il fût recruté sans que l’on ne lui laisse le choix. Maï avait dû laisser ses grands-parents à leur tâche difficile jusqu’à ce qu’ils ne fussent plus capable de tenir sur leurs deux jambes. Combien il regrettait de ne pas s'être dressé contre ce recrutement.

Au moins, Ayanna n’aurait pas à connaître ce milieu. Même s’il ne fût pas certain que celui de la forêt serait plus facile à vivre, il la voyait chaque jour s’y épanouir. D'ailleurs, c'était maintenant à son tour d'apprendre de la fillette.

En parlant du loup, il pouvait l’entendre au loin fredonner la berceuse de sa mère sur l’esprit roi de la forêt. Maï sortit du chalet avec une flûte en bois, sculptée par ses soins. Alors qu’il pouvait désormais distinguer la silhouette de son enfant parmi les arbres, il porta l’instrument à sa bouche et l'accompagna.

Ayanna se précipita hors de la forêt, chanta de plus belle, tout en dansant et courant dans la clairière. Mais leur partage s'arrêta net lorsqu'Idama sortit des bois. Seul le bout de l'ongle de sa patte arrière droite effleurait le sol, signe indéniable d'une blessure. Son père accoura pour vérifier que sa fille était saine et sauve.

« Est-ce qu’il vous est arrivé quelque-chose ? »

Ayanna baissa le regard, certaine que son père n’apprécierait pas ce qu’elle avait à lui raconter.

« Il y avait un petit marcassin qui avait l'air d'avoir très mal à une patte… Sa maman n’était pas là et il avait l’air paniqué. Alors je me suis approchée pour l’apaiser je lui ai chanté notre berceuse. »

Elle lui raconta que le marcassin s’était tout à coup remis à courir comme s’il n’avait jamais été blessé. Toutefois, la laie était revenue chercher son petit et, à peine eut-elle aperçu la fillette, qu’elle l’avait chargée. Idama avait exécuté une ruade parfaite pour la protéger et s'était déchiré la patte contre la défense de la mère, qui s'enfuit avec son petit. Ils s’étaient de suite redirigés vers la clairière et Ayanna avait continué à chanter pour réitirer ses soins sur Idama.

Maï ne put que la croire à la vue de la cicatrice imparfaite et grossière laissée par la guérison accélérée de sa blessure. Rivière avait un don similaire à celui d’Ayanna, mais jamais il ne s’était prononcé avec une telle force.

Le lien d'Ayanna au monde spirituel semblait s’épaissir à mesure que les jours passaient et lui offrait aujourd'hui un don de guérison. Maï n'était pas même certain qu'elle se rendait bien compte de sa faculté.

Le lendemain, le père et sa fille retournèrent sur les lieux et laissèrent quelques offrandes à la laie et ses petits afin d’honorer leur esprit. Ils se cachèrent derrière d’épais buissons et se couvrirent de peaux pour tromper l’odorat de la femelle. Cette dernière ne tarda pas à se présenter, car elle avait senti le duo pénétrer son territoire. Elle ne les décela pas et s'intéressa alors au sanglier sculpté, aux fruits secs — très précieux car énergétiques — et aux quelques herbes médicinales fortifiantes. La laie tenta de repérer ses bienfaiteurs, en vain, grommela en guise de remerciement puis s'enfonça dans les profondeurs de la forêt. Maï signala à Ayanna, qui avait rassemblé ses poings devant son visage, qu’elle pouvait retirer sa peau et ils reprirent le chemin de leur foyer.

« Tu penses qu’on pourra revenir, Papa ?

— Cela me rassurerait si tu trouvais un autre coin de la forêt à explorer. Et, qui sait, peut-être feras-tu de nouvelles rencontres ? Moins hostiles...

— Il y a d’autres animaux à respecter ?

— Tous sont à respecter.

— Dis, Papa… Et le loup de la chanson, où peut-on lui déposer des offrandes ?

— Sur une terre lointaine.

— On pourra y aller ?

— Peut-être un jour. »

Cette terre le rendait nostalgique, bien qu’il ne l’eût visitée qu’une seule fois : lorsqu’il avait demandé la main de sa femme au chef de sa tribu.

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