« Un lapin des neiges ! »

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Motivé par la mauvaise humeur de sa fille, Maï dompta ses peurs en un peu moins d'une semaine. Dès lors, il s'entêta à débusquer l'objet qui lui accorderait le pardon d'Ayanna. Enfin, après plusieurs jours de traque, il réussit à l'attraper.

Des nuages gris s’abattaient sur les cimes quand il rentra au chalet et Ayanna était toujours en vadrouille. Maï souffla dans sa flûte qui résonna jusqu’au cœur de la forêt, se réjouissant de pouvoir offrir sa chasse à sa fille.

La silhouette de cette dernière et celle d'Idama tardèrent à se dessiner parmi les troncs. Et ce n’était pas seulement du fait de ses jambes alourdies par ses bottes de peau, elles-mêmes attachées à ses raquettes. Depuis l'attaque, elle s'obstinait à lui faire remarquer combien son mensonge l'avait blessée.

Toutefois, l'air réjoui de Maï ne manqua pas d'interloquer sa fille.

« Arrête de te moquer ! »

Il fallait dire que la démarche que lui conféraient les raquettes était bien particulière. Aussi, son manteau était couvert de neige et du givre s’était accroché à ses mèches ; signe qu'elle était tombée à plusieurs reprises là où la neige ne s'était pas tassée. Maï s'excusa et lui ouvrit la porte sans plus attendre.

À peine déchaussée et un pied posé sur le parquet qu’elle lança ses moufles d’un côté, son manteau de l’autre. Maï suivit le tracé habituel, ramassant ses vêtements au passage. Il se réjouit de la savoir si pleine d’énergie malgré le brusque changement de saison. Sa préparation minutieuse à l'hiver portait bien ses fruits.

Ayanna s'était réfugiée près du poêle et s’était enroulée sous une peau de bête jetée sur le canapé. Les fins rayons de lumière braisée que la petite fenêtre laissait passer semblaient l'avoir hypnotisée.

« Ayanna, viens me voir s’il te plaît. »

Son père s’accroupit pour se mettre à sa hauteur et elle posa ses mains dans les siennes.

« J’ai quelque-chose pour toi. Je reviens.»

Ayanna acquiesça et se perdit dans ses pensées. La fillette aimait leur nouvel habitat de tout son cœur, particulièrement les poutres qui sortaient du toit et la toisaient à la manière d'une toile d'araignée. Elle adorait s’imaginer en train de les parcourir, sauter de l’une à l’autre, jusqu’à couvrir tout le plafond. En vérité, c’était plutôt son père qui grimpait pour y accrocher des vêtements ou de la viande à sécher.

Son retour la ramena à la réalité. Il portait une petite boîte en bois dans ses bras, qu’il posa devant elle, non sans précaution. Ayanna se leva et l’observa avec curiosité. Une seule ouverture laissait passer la lumière et une petite porte était fermée par un loquet sur l'une des faces.

Un sursaut brusque fit bouger, presque reculer, la cage. D’abord surprise, Ayanna se ressaisit et posa ses mains sur chacun des côtés pour la maîtriser. Elle épia au travers de l’aération et y perçut un grand œil, vif et à la pupille dilatée. La fillette se sentit naturellement attirée par l’animal, comme elle l’avait été vers Idama.

« Je peux l’ouvrir ? »

Il l’approuva, le sourire aux lèvres. Elle leva le loquet, tira la petite porte puis recula.

Un nez blanc, triangulaire et remuant vivement de haut en bas s’aventura en dehors de la cage. Il devait faire la taille d’un petit pois. Puis ce furent deux incisives, des moustaches et de longues oreilles de la même couleur qui se dévoilèrent.

Ayanna mit ses poings devant son visage.

Maï ne connaissait ce réflexe que trop bien : le signe qu’elle ne souhaitait pas se laisser aller à ses émotions. Cette habitude lui était venue peu après la disparition de sa mère. Rivière... une femme tellement extraordinaire que les pleurs de ceux qu’elle avait aidés devaient encore résonner quelque-part dans les vieilles montagnes de Minespoir.

Le jour de son enterrement, la petite fille avait déclaré à son père qu’elle non plus ne devait pas pleurer car :

« Je suis sûre que maman m’a aidée au moins autant que tous les autres qui retiennent leurs larmes aujourd’hui. »

Des mots qui lui avaient arraché le cœur. Ayanna avait alors caché sa bouche et son nez avec ses petits poings, serrant ses dents aussi fort qu’elle le pouvait afin de retenir ses sanglots. Pour souligner son grand effort, Maï n’avait pu que la serrer contre lui. Tout le long de la cérémonie, il évita son regard afin de ne pas déclencher une crise de pleurs. Sûrement la sienne plutôt que celle de sa fille. Ces souvenirs le peinaient encore au point de le hanter.

Mais, aujourd’hui, c’était un grand sourire qu’il devinait derrière ses poings.

« Un lapin des neiges ! » murmura la fillette, afin de ne pas effrayer le petit être à la robe immaculée.

Ayanna s’approcha du lapin qui, au même rythme, commença à reculer dans sa cage. En réponse à sa réaction, son père lui rapporta des fanes de carottes. Il s’agissait à peu près du seul légume qu’ils consommaient avec les pommes de terre : les tubercules poussaient et se conservaient facilement.

Déterminée, la fillette tenta une nouvelle approche, toujours accroupie, les deux mains tendues vers le petit mammifère. Intrigué par l’odeur, il s’avança d'abord vers celle qui tenait l’appât... et s'en détourna aussitôt pour s’intéresser à sa paume tendue vers le ciel. Ayanna se réjouit et retourna sa main afin d’y accueillir la tête du lapin, lequel réclama la caresse de sa nouvelle maîtresse.

Maï ne s’était pas imaginé qu’une telle relation naîtrait de leur rencontre. Ce dont il était certain, c’était que sa mission personnelle était accomplie : il était pardonné.

Ayanna prit le lapin dans ses bras, s’assit en tailleur puis le posa dans le creux de ses jambes. De nouveau, elle plaça ses poings devant son visage.

« Tu veux lui donner un nom ? »

Elle réfléchit un instant, fixant les yeux du lapin, comme pour se mettre d’accord avec lui.

« Amisa ! »

L’esprit des compagnons. Le choix du prénom n'était pas dû hasard. Ce qui liait sa fille à l’animal était sans doute bien plus profond que ce que lui pouvait comprendre. Peut-être était-elle promise à un destin bien plus grand que tout ce qu’il avait pu imaginer pour son futur – le meilleur comme le pire. D'un côté, Maï espéra, du plus profond de son cœur, qu'il lui serait positif. De l'autre, savoir qu’Ayanna n’était encore qu’une enfant le réconfortait : nul grand destin ne se réalise à cet âge-là.

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