Épître II : L'illusion du répit.
Ah, cher lecteur indulgent,
Te voici encore à me suivre dans les couloirs sinueux de cette fresque démesurée qu’est le Palais Palladium. Oui, toi, courageux découvreur de destins fracassés, prêts-tu l’oreille à une nuit où le repos se mêle à l’éphémère absurdité des survivants… ou peut-être à leur obstination à dénier l’ampleur de ce qu’ils viennent d’affronter. Il est doux, n’est-ce pas, de croire que l’épuisement règle tous les comptes ?
Ainsi, imagine-les. Trois figures usées par la lutte, mais pas assez brisées pour renoncer à la quête d’un simple confort. Enlil, Kieran et Warren — frères, héritiers, orphelins du destin —, errant parmi les dédales infinies du Palladium. La tâche ? Trouver leurs appartements. Oh, quelle noble et ridicule entreprise, quand chaque porte s’ouvre sur un fragment d’un rêve oublié. Il leur fallut vingt tentatives — vingt ! — avant que l’évidence ne jaillisse : les appartements de Kieran suffiraient bien. Après tout, salir les quartiers d’Enlil aurait été un crime digne d’un bannissement familial.
Alors, à l’ombre des façons trop précises d’un aîné obsédé par l’ordre, ils s’installèrent dans l’antre d’un cadet au pragmatisme insolent. Canapé, kebabs et vodka furent convoqués comme une armée résolue à chasser l’angoisse. Mais, cher lecteur, l’esprit a cette manie de s’attarder sur les ombres qui échappent à la lumière : aucun d’eux n’avait le cœur à parler, encore moins à fêter leur fragile victoire. Alors, après ce maigre simulacre de réconfort, chacun s’enferma dans sa solitude.
Enlil, toujours rongé par les braises d’une culpabilité qu’il ne nomme jamais, se fit couler un bain. Un bain d’un luxe ostentatoire, agrémenté de chandelles et de notes de Marvin Gaye — car même dans l’orage, le raffinement reste son étendard. Mais ne te laisse pas berner, ami lecteur : ce rituel n’était qu’une mascarade, un écran de fumée masquant un esprit incapable de trouver le repos.
Kieran, en revanche, s’abandonna aux plaisirs douteux d’un service de streaming intemporel. Une mer infinie de contenus, couvrant toutes les époques, toutes les réalités. Une découverte qui arracha même un sourire à ce cynique invétéré : « De quoi m’occuper pour les prochaines décennies,» murmura-t-il en explorant les trésors d’une culture universelle.
Et Warren… Ah, le benjamin. Une âme douce, mais écorchée, qui s’allongea dans son lit comme on s’écroule sur un champ de bataille. Les larmes coulèrent longtemps, répandant une peine qu’il n’osait partager. Puis, l’épuisement, cet anesthésique cruel mais nécessaire, l’emporta.
Et le lendemain ? Une nouvelle scène de cet opéra absurde. Dans l’une des innombrables cuisines du Palais, le soleil artificiel baignait Enlil, déjà aux fourneaux. Ses mains, aussi habiles pour manier la magie que la spatule, préparaient un petit-déjeuner de titan. Chaque plat était un remède silencieux destiné à apaiser leur petit frère, dont les tourments lui étaient aussi visibles qu’une cicatrice ouverte. Kieran, étirant ses muscles encore engourdis, jetait des plaisanteries à demi-teintes, ajoutant un peu de légèreté à cette matiée lourde de sous-entendus.
Puis, entra Zargua. Ah, Zargua. Fraîche comme une rose, flamboyante comme un opéra baroque, elle s’annonça avec son habituelle démesure : « Mes chers, dix minutes. Centre de contrôle. Warren, mon agneau sacrificiel préféré, il est temps pour toi d’accomplir ta mission. » Ainsi, cher lecteur, la réécriture du l’histoire allait vivre son second acte.
Indiscretement tien, Le Scribe de l’Obscur
Post-scriptum : Un dernier mot, pour toi qui observes ces frères à travers le prisme de leur grandeur et de leurs failles : sache que les émotions refoulées n’en sont que plus puissantes. Chacun porte son chaos à sa manière, et le respect de ces différences est le plus noble des égards. Peut-être qu’en les voyant, tu apprendras aussi à apprivoiser le tien.
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