Prologue :

5 minutes de lecture

En ce Sultanat cosmique, du passé, des pulsars illuminaient le cosmos tandis que des comètes fendaient sa toile d’ébène infinie. À l’épicentre du domaine, le Palais Palladium dormait sur son nuage nacré. Enfin plus pour longtemps, car en réponse aux évènements du futur, une lueur carmin s’éleva des profondeurs du cumulonimbus jusqu’au sommet du Minaret de la tour principal. Sous sa garde, l’Arche temporelle, cette fois taillée dans un rubis colossal, absorba l’éclat ardent et s’attisa. Un à un, de droite à gauche, des glyphes exaltés se révélèrent :

ل – ب – ق – ت – س – م – ل – ا… et en son centre s’aménagea un vortex d’argent.

Provenant de l’autre côté, l’attaque déviée par Darrius se fracassa sur le dallage, provoquant une explosion de fragments de pierre. Sous l’influence oppressante de l’essence funeste, les glyphes se mirent à clignoter. Le maelstrom, vibrant de tensions irréconciliables, prêt à exploser ou à s’apaiser définitivement, lorsqu’une surtension expulsa Warren, qui se fracassa le dos contre une colonne.

Dans la foulée, Kieran rebondit sur les pierres, jusqu’à ce qu’il se paralyse contre un amas de gravats. Une plaie causée par un éclat de marbre sépara son visage en deux. De longue minute s’égrainèrent durant lequel le passage se parasita. Si le dernier de la fratrie avait été conscient, il aurait probablement tenté de le stabiliser. Enlil finit par rouler bouler jusqu’à un pilier. Son épaule flancha, et le tourment se propagea en une vague brûlante. À bout de forces, il rampa dans la poussière, laissant dans son sillage une traînée d’hémoglobine. Se déplacer le torturait, mais la vision de ses frères agonisants le terrorisait. L’un gisait, inerte, dans une mare sombre ; l’autre respirait avec peine.

— Non… non, non, non…

S’appuyant sur une vitalité qui vacillait, il planta son pied au sol et, se brisant sous l’emprise du chagrin, il les invectiva :

— Kieran ! Warren… Non ! Vous ne pouvez pas… J’ai déjà trop perdu !

Il fit un pas, puis un second, arrachant un grognement. Sa rage montait. Brûlait. Pressait son cœur dans un étau.

— Pas comme ça. On s’était juré de tenir bon. Jusqu’au bout, ensemble !

Déformée par une souffrance indicible, sa plainte s’éleva à travers l’immensité comme un appel désespéré. Le Palais frémit sous cette lamentation. Sa paume glissa contre la colonne fissurée. Abattu, il vacillait entre l’envie d’abdiquer et l’instinct de protéger ce qui restait.

Des cendres lui râpaient la gorge, déchirant ses poumons. « Ce n’est pas censé finir ainsi. » L’Arche menaçait de capituler. Une magie colossale s’échappait en particules exotiques. Sur le qui-vive, pas prêt à faire face à l’ennemi, il ajusta tant bien que mal sa posture. Mais, soudain, l’artefact s’éteignit, laissant planer l’incertitude. Ce n’est qu’alors qu’il comprit : Néant ne se manifesterait pas.

Rasséréné, il se dirigea vers Kieran et Warren afin de les soigner. Ses pieds nus craquèrent ; ses muscles protestèrent ; pourtant titubant, il persévéra. « Pas maintenant. Pas ici. »

Résolu à tout tenter, il pointa un doigt vacillant vers ses frères. Dès lors, le lien trinitaire, bien que frêle, se manifesta. Le froid glacé de l’un s’unifia avec la nature curative de l’autre. Ses veines s’échauffèrent sous cette fusion, entraînant un cri guttural qui fragilisa ses cordes vocales. Et malgré l’effort sur-sorcier, il retomba sur ses genoux, son Mana le désertant. Alors, il revit les visages de sa famille, les épreuves traversées, et les moments de bonheur partagé.

Ses paupières lourdes se fermaient malgré lui. À chaque battement, sa vision s’embrumait un peu plus. Entre deux, il aperçut une brèche, crue, austère ; de laquelle s’échappa une brume rasant les décombres.

— Non… pas ça…, gémit-il.

Il avait fui, sacrifiant tout pour s’arracher à son emprise. Pourtant, cette brèche – abomination vivante et hurlante – prouvait que Néant l’avait retrouvé. Les souvenirs refluèrent à une vitesse insupportable : son armée anéantie, la Terre dévorée, des vies effacées sans un bruit. Comment avait-il pu être aussi naïf ? Avait-il vraiment cru qu’on pouvait s’en libérer ?

« Nous devions réécrire l’histoire. »

À l’intérieur de ce passage, quelque chose bougeait. Flou. Instable. Les contours se déformaient. Son ultime sourire, amer et fugace, était pour Kieran et Warren. Mieux valait qu’ils soient morts, libérés de ce fardeau, que de vivre sous le joug de la Mortifère Créature.

— Nous crèverons unis !

Puis, le noir se fit et le périple vers la mort s’amorça. Contrairement à ce qu’Enlil avait imaginé, ne surgit pas Néant, mais le Seigneur des Djinns, vêtu d’un col roulé en cachemire sable harmonieusement accordé à un pantalon anthracite. Un démon d’une beauté troublante, qui en constatant les dégâts, esquissa un rictus ensorceleur.

Ibliss. Une légende, un nom murmuré dans l’obscurité des âges. Pourtant, ce n’était pas sa blonde chevelure, ses iris azur, sa perfection physique ou son atour chic qui frappait. C’était ce poids sacral, prêt à éclater si on venait à l’irriter. À ceux qui osaient le convoquer, il offrait des vœux, mais toujours à un prix cruel : des années de vie volées. Nul ne pouvait prétendre connaître ses intentions, car chacune de ses apparitions déchirait le voile du tangible pour révéler un dessein incompréhensible pour les mortels. Ainsi, le Seigneur des Djinns n’était pas une force que l’on pouvait contenir. Ni un roi qui réclamait un trône : il était une composante de l’équilibre de la Création. Un dieu, dont la seule trace concrète était cette terreur viscérale laissée dans son sillage. Et néanmoins, ce nom qui faisait trembler, n’était qu’un vulgaire sobriquet. Parvenu au centre du carnage, il se figea… se baissa ; et, après une hésitation, caressa sa joue :

— Pourquoi est-ce toi, encore et toujours ? Toujours à te relever, à t’accrocher, même après la chute. Mon cher Enlil… Est-ce de la résilience ou une sorte d’arrogance masochiste ?

La phrase trahissait une fébrilité sourde, teintée d’une culpabilité qu’il peinait à masquer. Mais il détourna son attention vers les frères. L’un, transpercé par une tige métallique, l’autre, recouvert par des gravats. Ibliss leva une main et replia les doigts. S’incarna une spirale cobalt qui s’enroula autour des moribonds, les enveloppant d’un cocon translucide :

— Dans quelques heures, vous ouvrirez les yeux, prêts à modeler le monde selon vos désirs. Cette fois, rien ni personne ne viendra briser votre ascension… pas même moi. 

Il recula de quelques pas. Ses traits restèrent fermés, durs, mais quelque chose dans ses prunelles s’adoucit fugacement. À quoi pensait-il ? Un souvenir ? Un regret ? À contrecœur, il fit demi-tour et se dirigea vers la faille conduisant à son domaine. Avant d’en franchir le seuil, il souffla la longue mèche blonde recouvrant son œil et ajouta :

— J’ai hâte que tu vives notre premier tête-à-tête.

Puis, il s’engouffra.

Alors que le passage s’estompait et qu’un calme bienvenu s’installait, l’enchantement propre au lieu s’anima. Lentement, l’arche récupéra sa beauté. Les murs se recomposèrent, et vigne et Fontaine retrouvèrent leur pureté.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Le Scribe de l'Obscur ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0