Chapitre 26 cela empire...

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Michelle vivait dans une cité pour les classes moyennes. D’anciens appartements HLM peu à peu rachetés par des particuliers, et transformés en appartements d’étudiants à cause de la proximité de l’université. Le quartier était bien placé et avait pris de la valeur, mais il avait gardé un certain aspect glauque du temps où il était malfamé.

Je me garais au bas de son immeuble et je remarquai immédiatement une voiture de marque inhabituelle sur le parking. Une grosse berline Dongfeng noire, aux vitres teintées. Lorsque je passais devant, une portière s’ouvrit, et un homme asiatique en sortit pour me regarder par-dessus la portière, sans bouger, juste en suivant mon déplacement du regard. Je le regardai un instant, puis continuai en direction de l’entrée de la tour. En pénétrant dans le hall, je jetai un dernier regard par-dessus mon épaule à travers les portes vitrées, et je constatai que l’homme n’avait pas bougé et continuait de m’observer avec insistance.

J’avais déjà accumulé tellement d’angoisse à ce moment-là que c’est à peine si cela me préoccupa. Je me fis simplement la remarque que les ennuis commençaient à atteindre jusqu’à ma vie privée, un constat juste empreint de lassitude.

Après avoir laissé mon pardessus dans l’entrée, appelant Michelle pour m’annoncer, je pénétrai dans le salon et constatai avec surprise la présence de trois individus qui l’accompagnaient, partageant un café et quelques biscuits assis dans les canapés. J’en ressentis la frustration de ne pouvoir me jeter dans ses bras puis je m’interrogeai sur l’identité de ces visiteurs.

Michelle me les présenta, il s’agissait d’universitaires américains. Elle les avait invités au salon sous prétexte qu’ils avaient rendez-vous avec moi.

― Je ne pouvais tout de même pas les laisser attendre sur le pas de la porte, se justifia-t-elle, fière de son initiative.

Tous trois arboraient les cheveux coupés courts et en brosse. Le plus grand, musculeux au visage strict, était assis entre les deux autres, l’un plus petit légèrement enrobé, à la tête de boxeur au nez cassé plusieurs fois et l’autre avec des lunettes rectangulaires donnant l’illusion d’un coté à peine plus intellectuel que ses collègues. Leur carrure et leur gestuelle faussement empruntée, parasitée par une rudesse virile caractéristique, montraient qu’ils n’avaient pas la moindre idée d’un comportement d’universitaires à l’heure du thé.

Mon esprit resta froid, imperméable à ces nouvelles difficultés. Je réagis en mode automatique, sans plus réfléchir, et je rentrai dans leur jeu pour que Michelle ne s’aperçoive de rien.

― Bonsoir Messieurs, désolé pour ce retard, mais vous savez ce que c’est ! Les aléas du laboratoire !

― Tout à fait, ne vous inquiétez pas, me répondit en se levant avec un fort accent anglophone le plus grand des trois. Nous ne sommes pas là depuis longtemps. À peine suffisamment pour faire connaissance avec votre… amie, c’est comme cela qu’on dit, non ?

― Oui, tout à fait, répondis-je sans avoir prêté attention à sa question. Mais, que je suis bête ! J’ai laissé les documents que je dois vous remettre dans la voiture ! Descendons ensemble, je ne veux pas vous faire perdre plus de temps, je suis garé devant la porte.

Comprenant instantanément où je voulais en venir, et habitués à ce genre de situation, les trois hommes se levèrent immédiatement pour me suivre en prenant cela de façon tout à fait naturelle.

Nous prîmes l’escalier en descendant lentement pour avoir le temps de discuter. Il s’agissait de trois agents du gouvernement américain. Je n’en étais pas plus surpris qu’autre chose, je me fis la remarque qu’il ne manquait plus qu’eux après les Russes et les Chinois. Au moins, les ennuis étaient complets maintenant ! Ils jouèrent franc jeu d’emblée ; ils sont très directs, les espions américains ! Sur un ton neutre, ils m’annoncèrent savoir que je négociais actuellement avec les Chinois et les Russes. Il était hors de question pour eux de rester en dehors du projet. Ils me resituèrent la France sur l’échiquier de la diplomatie mondiale pour me rappeler que nous étions du même côté et que les méchants, c’étaient les autres. Ils me parlèrent un peu de trahison au plus haut niveau, de délit passible de prison, quinze ans me dirent-ils. Ils terminèrent par la sempiternelle allusion aux menaces qui pesaient aussi sur ma famille. Ils m’offraient eux aussi leur protection et me garantissaient une totale sécurité. Contrairement aux Chinois, ils n’évoquèrent pas de compensation financière à ma collaboration. Ils se présentaient surtout comme mes sauveurs qui allaient permettre de résoudre tous mes problèmes grâce à leur grande expérience et l’énorme puissance logistique étasunienne. Si j’en avais besoin, ils m’intègreraient dans un programme de protection de témoin, grâce à quoi ils me feraient disparaitre et me rendraient totalement introuvable. Se rendaient-ils compte de la merveilleuse perspective d’avenir qu’ils m’offraient ?

J’en avais assez, j’étais las de tous ces problèmes, de toutes ces menaces. J’étais maintenant totalement dépassé et je me refusais à chercher une nouvelle porte de sortie. Quand ils eurent fini leur discours, je restai muet, insensible et sans réaction. Nous étions arrivés dans le hall, ils me regardaient, sans comprendre mon absence de réponse. Ils me redemandèrent si j’avais compris, je le leur confirmai. Je n’en pouvais plus et je me mis à dire la première chose qui me passait par la tête, n’importe quoi…

― C’est vous ou c’est moi qu’ils ont suivi jusqu’ici ? demandai-je.

― De qui parlez-vous ?

― Des Chinois dans la voiture noire sur le parking…

Ils se regardèrent, l’un d’entre eux jeta un œil et confirma aux deux autres d’un geste de la tête.

― Je pense que c’est vous, ils n’étaient pas là lorsque nous sommes arrivés.

― Mais ils étaient là quand moi je suis arrivé. Et ils se sont bien montrés pour que je le sache. Comme pour me dire de faire attention à ce que j’allais dire aux Amerloques qui m’attendaient dans l’appartement…

Le plus grand en costume cravate s’approcha du plus jeune au léger embonpoint pour lui chuchoter un ordre à l’oreille. Ce dernier sortit alors sur le parking. Le plus grand me salua en me promettant de me revoir d’ici peu pour connaitre ma réponse, et me conseilla de ne pas m’occuper de ce qui allait se passer sur ce parking, de remonter directement chez moi par l’ascenseur. Il sortit ensuite accompagné de son autre collègue. Je rentrai dans l’ascenseur, réfléchissant déjà aux explications que j’allais donner à Michelle. Pour ce qui est des Américains, j’avais apparemment trouvé le moyen de les occuper, mais je supposai qu’ils allaient rapidement revenir vers moi pour obtenir une réponse. Je n’avais pas la moindre idée de ce qu’il fallait faire de tout cela.

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