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Ainsi, je retrouvais quelques jours de calme et de normalité dans mon travail de laboratoire. De mon côté, je testais les progrès de Babette dont les performances augmentaient à grande vitesse et approchaient la limite supérieure de ses capacités théoriques. En dehors des mesures formelles de son intelligence, il me plaisait chaque matin d’aborder avec la machine un sujet de discussion intéressant, différent tous les jours. Diane et Nicolas effectuaient un travail régulier de contrôle, ils m’en livraient leurs conclusions quotidiennement lors d’une petite réunion vers quatre heures de l’après-midi, sorte de petit cérémonial autour d’un café et quelques biscuits présentés dans une assiette sur mon bureau. Ces rituels et cette routine ne durèrent pas longtemps, mais elle permit de me rassurer, de me calmer, comme une façon de faire le break, de se mettre dans de meilleures conditions avant d’affronter le pire.
Et le pire surgit sous la forme ressuscitée de Dalembert. Je n’avais pas entendu parler de lui depuis très longtemps, mais Nicolas m’informa qu’il allait faire une déclaration fracassante lors d’une réunion plénière du conseil d’université ; c’est du moins Dalembert qui l’avait affirmé devant plusieurs chercheurs présents dans la cafétéria de l’étage entre midi et deux, quelques heures à peine avant la plénière.
Nous nous précipitâmes donc tous les deux pour y assister comme spectateurs. Darley, qui participait au conseil, parut surpris et ne cessa de lancer vers nous des regards suspicieux. Vers la fin de cette interminable réunion, dans laquelle chaque laboratoire présentait des bilans et des orientations stratégiques, face au directoire qui de son côté exposait les dernières nouvelles règles comptables et procédures budgétaires contraignantes venues du ministère, Dalembert prit finalement la parole.
― Je dois maintenant aborder un sujet resté en second plan malgré son importance. Un audit vient d’être mené et a rendu ses conclusions. À l’évidence, d’importants crédits vont être débloqués pour redimensionner le réseau en fonction des besoins. Ces crédits ne tombent pas du ciel, ils seront bien sûr ponctionnés sur d’autres lignes du budget, en particulier sur les crédits de fonctionnement des laboratoires. Mais puisque le réseau est utilisé par tous, il n’y a donc rien à redire sur le fait que tous mettent la main à la poche. Sauf si l’on regarde un petit détail. Si tous les budgets vont être coupés pour participer à la construction d’un nouveau réseau, il faut d’une part qu’il soit réellement nécessaire, et d’autre part qu’il profite à tous de la même façon. Or, je vous l’affirme, ce n’est pas du tout le cas. Je me suis rendu compte d’une anomalie qui gonfle énormément le fonctionnement du réseau. Un laboratoire qui ne fait plus de recherche depuis quelques mois se trouve être un de ceux qui consomment le plus de ressources ! Il y a donc là une surévaluation évidente et inexplicable des besoins.
Darley se tourna de nouveau vers moi, et je compris alors que j’avais commis une grossière erreur en assistant au conseil. À l’évidence, ma présence allait donner l’occasion aux membres présents de m’interroger et me demander des comptes et des explications en direct. J’allais me retrouver dans le plus grand des embarras, et j’en avais déjà les mains moites.
― D’autre part, poursuivit Dalembert, qui paraissait au sommet de sa gloire, il se trouve que ce même laboratoire n’ayant plus de projet de recherche en cours, n’a par conséquent qu’un budget réduit au strict minimum. On ne va donc pas lui demander de participer à l’effort financier général. Finalement, je dois clairement attirer votre attention sur cette grave anomalie, nous allons financer un réseau dont l’augmentation de taille est liée à l’activité d’un laboratoire aux activités fantomatiques et qui ne va lui-même rien débourser. Ce n’est pas acceptable !
J’avais eu la présence d’esprit de me lever le plus discrètement possible durant la dernière partie de son discours, et je refermai la porte en sortant, au moment même de son point final. Il ne me restait que peu de temps avant que tous les regards ne se focalisent sur le fonctionnement de mon laboratoire. Tout devait donc prendre fin rapidement, avant que quelqu’un ne puisse découvrir la vérité sur nos activités secrètes. Mes idées tournaient à cent à l’heure : que pouvions-nous faire pour nous en sortir ? Me revenaient en tête toutes les autres contraintes qui allaient elles aussi resurgir, les Russes, les Chinois, les Américains. La seule solution aurait été de détruire Babette et toutes les preuves, mais je ne pouvais me résoudre à une telle extrémité.
Alors me vint l’idée géniale qui me soulagea de toute inquiétude. Lorsqu’on a une question, mieux vaut s’adresser à Dieu qu’à ses Saints. J’avais un problème qui paraissait insoluble d’un côté et une machine censée avoir des solutions à tous les problèmes de l’autre. Il n’y avait à l’évidence qu’une seule décision à prendre, le soumettre à Babette et voir ce qu’elle serait capable de proposer.
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