chapitre 38 interventions de Nikolaï

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Durant une semaine je restai seul, enfermé et sans connexion avec Babette ni l’extérieur. Seul un poste de télévision fut mis à disposition et me permis de suivre les actualités internationales. Les nations prirent des décisions de blackout total ou partiel pour lutter contre Babette. Cette déconnexion géante dans le monde entier entraina de fortes perturbations économiques.

La bourse stoppa cotations et transactions, ce qui généra un certain chaos financier. Les paiements et transferts d’argent en ligne furent eux aussi suspendus alors que les ventes par Internet constituaient la grande majorité de la consommation de biens et de services. De nombreux systèmes bancaires durent être complètement éteints car on s’aperçut qu’ils contenaient le virus et que celui-ci tentait de reconnecter les systèmes à Internet depuis l’intérieur. De nombreuses failles de sécurité se révélaient partout. On se rendit compte que le soi-disant virus, arrivait à utiliser tous les services de communication, en passant aisément d’une modalité à l’autre, pour pénétrer les serveurs. Téléphones mobiles, câble de télévision, téléphonie filaire, communication satellitaire ou par voie hertzienne, Babette trouvait toujours un nouveau chemin inattendu pour s’introduire dans les systèmes. Cela obligeait à éteindre les ordinateurs et les serveurs pour les protéger ne sachant plus lesquels étaient contaminés ni par quelle voie elle allait tenter d’y pénétrer. Elle arrivait parfois, mais heureusement rarement, à les rallumer elle-même ! La situation de communication mondiale était si affectée que la chasse au virus, qui avait été lancée conjointement par l’ensemble des nations, se transformait en des luttes individuelles pour défendre tant bien que mal chaque système informatique.

Le troisième jour, les journaux des chaines de télévision commencèrent à suspecter la relation entre les morts de différents agents de la sécurité informatique des états et une action du « virus ». Tant de coïncidences devenaient invraisemblables. On commença alors le décompte macabre et la peur se mit à planer sur la planète entière à travers les quelques médias à sensation qui passaient au travers du blackout: Babette était prise pour un virus intelligent qui s’attaquait aussi aux êtres humains depuis les banques de données personnelles!

Le débat fit d’abord rage sur les plateaux télé, entre ceux qui criaient aux mensonges et à l’exagération et les alarmistes soutenus par une myriade de complotistes répandant les théories les plus folles sur l’origine de tous ces problèmes. Rapidement, tous durent se rendre à l’évidence, on comptait plusieurs dizaines de millier de personnes attaquées dans leur vie privée et au moins de cinq mille morts par suicides, assassinats, ou accidents suspects. Tous liés à la sécurité informatique ou à la chasse internationale du virus. Le bilan s’alourdissait d’heure en heure.

La panique s’emparait de la planete.

Babette étendit son attaque non seulement aux personnes liées à l’informatique mais aux services de sécurités et de contre-espionnage tout entier, puis aux hauts fonctionnaires qui donnaient les ordres aux services de sécurité et enfin aux responsables politiques. Il y eut alors une explosion de révélation de toutes sortes, de scandales de corruption ou concernant la vie privée des victimes déclenchant mises en examen, détentions préventives, vengeances ou règlements de comptes.

L’I.A. continuait donc de respecter l’interdiction de révéler publiquement les informations personnelles mais bien évidement dès qu’elle mettait dans la confidence l’ensemble des personnes affectées par des informations sur la cible, c’étaient bien souvent ces derniers qui se chargeaient de les transmettre aux médias pour se venger.

La coupure des réseaux sociaux créa dès le quatrieme jour un chaos psychologique gigantesque dans la population. La semaine qui suivit, dans de nombreux pays, des millions de personnes organisèrent spontanément des réunions publiques pour pallier à ce manque. Dans chaque ville jusqu’à chaque village, elles eurent un immense succès. Alors qu’au départ il s’agissait juste de reconstituer des groupes qui existaient sur les réseaux, elle devinrent le moyen de palier au besoin d’exprimer quotidiennement ses idées sur Internet, de les confronter à l’avis d’un public, d’avoir des réactions à ce qu’on pense et ce qu’on exprime Ces réunions correspondait à cette envie quotidienne d’être spectateur de tous ces débats de Facebook ou de Twitter à travers lesquels on s’informe en direct des différentes opinions et on forge la sienne, et qui représentait une nécessité que ne pouvait plus combler la radio ou télévision. Finalement, la coupure des communications entrainait le rapprochement des gens et le « forum » reprenait son allure antique originelle.

N’ayant plus d’autres moyens de communiquer, les gouvernements récupérèrent ou muselèrent rapidement les télévisions et les grandes émissions de radio. Pour endiguer la vague de vengeance, interdiction fut donnée de relayer des informations personnelles qui auraient été divulguée par Babette. Ce serait considéré comme une trahison dans la guerre que menait chaque nation contre le virus. Et les peines définies furent aussi lourde que celle d’une véritable trahison à sa patrie durant une véritable guerre. Le fait que chaque politicien ou magistrat sentit que puisse être révélées des informations compromettantes sur sa personne n’était surement pas étranger à l’extrémisme de cette décision. Vu l’impossibilité de définir précisément les informations autorisées ou interdites, on supprimait donc d’un coup totalement la liberté de la presse au prétexte de lutter contre le virus. Les médias qui fonctionnaient encore ne devinrent que des organes de la propagande officielle qui visait à rassurer la population et conserver sa confiance envers le gouvernement. La très grande majorité des médias alternatif et libre se trouvant sur Internet par nature disparaissaient.

L’ensemble de tous ces bouleversements ultrarapides du monde entier était sidérant et terrifiant. Tellement passionnant aussi que je ne vis plus le temps passer de mon isolement en captivité. Leur échelle était telle que je finis par ne plus me sentir directement concerné. La seule idée que je gardais en tête : Babette était l’origine de toute cette catastrophe et il fallait absolument la détruire. Je ne tergiverserai plus jamais, j’étais totalement décidé. Les conséquences de son existence étaient suffisamment terribles à l’échelle de l’humanité tout entière pour ne plus douter. Cependant, sans communication, je restais impuissant. Parfois, même la télévision était coupée quelques heures par différentes sortes d’attaques informatiques, sur les stations d’émission, les studios d’enregistrement ou même les satellites relais.

Dans la soirée du cinquième jour le général Viktor Kudryavtsev passa rapidement me rendre visite. Je n’étais certes pas sa priorité pour l’instant. Après quelques éléments de politesse, il m’informa brièvement de la situation :

― Nous avons pour l’instant rétabli en Russie un grand nombre de communications hertziennes isolées du réseau informatique. L’avantage d’avoir conservé une partie vétuste du système qui date parfois de l’URSS et que nous avons pu en partie réhabiliter. Nous utilisons les satellites Meridian sur orbite de molnia qui permettent aux territoires du nord et à notre base de ne plus être isolés. Pour le reste de la Russie continentale, on passe par les satellites militaires géostationnaires Radouga. Un certain nombre de vieilles antennes relais purement hertzienne sont aussi fonctionnelles et paraissent protégées de l’infection. Bien évidemment, elles sont réservées à des transmissions radio analogique et surtout pas utilisées pour un réseau de téléphone portable car nous savons que de nombreux smartphones sont infectés. Obtenir une ligne directe nous permettant de nous reconnecter à Babette nous parait pour l’instant impossible. Les serveurs Internet français sont déconnectés depuis qu’ils ont décrétés le blackout. Nous sommes en train de reconsidérer une opération physique pour récupérer les machines dans l’université. Mais cela est difficile à organiser dans tout ce bordel. Pour l’instant, ni les Français ni aucun autre n’a fait le lien entre Babette et le virus. Nous avons donc un gros avantage à exploiter.

J’attendis donc sans nouvelles de mes proches durant plusieurs jours supplémentaires.

Je trouvais que toute cette médiatisation avait fait plus de dégâts qu’autre chose. La panique générale s’était répandue plus rapidement que le virus lui-même à travers le monde. La moindre tentative d’incursion dans un système, la moindre défaillance, le moindre comportement anormal d’un programme ou le moindre bug, était considérée comme une attaque du virus. Les mesures drastiques de blackout n’engendraient en réalité qu’une grande difficulté pour lutter contre le virus, on s’en défendait mais en se déconnectant on ne pouvait plus le chasser ni l’attaquer pour le détruire. C’était simplement la conséquence de la dictature des médias à laquelle les politiciens se soumettaient depuis des années. Si les médias affirmaient que quelque chose était grave, alors la population s’affolait et les politiques prenaient des mesures excessives pour qu’on ne leur reprochât point de ne pas assez s’occuper du problème.

Le neuvième jour, il était onze heures du soir et je regardais la télévision, fasciné par la situation mondiale qui continuait de sombrer dans une folie incompréhensible, quand Nikolaï fit son apparition devant mes yeux ébahis.

― Nikolaï, enfin ! Où sont ma femme et mes enfants ?

― Calme toi, tout va bien. Ils n’ont aucun problème.

― Où sont-ils ? Quand pourrais-je les voir ?

― Ça c’est une autre affaire. Tu dois d’abord bien m’écouter, nous avons très peu de temps. Je vais te dire où ils sont mais ne m’interrompt pas avant que je finisse de tout t’expliquer.

Mon cœur faisait des bonds dans ma poitrine à chacun de ses mots. Je voyais bien qu’il allait m’annoncer quelque chose de grave et d’inattendu, j’imaginais bien évidement le pire.

― Je t’écoute, lui dis-je en essayant de rester calme extérieurement.

― Bon, tout d’abord ta famille est en de bonnes mains, elle est en France. Elle est aux mains des autorités françaises. Elle ne risque donc absolument rien.

― Comment ça ? Que, qu’est ce qui se passe ? Que… balbutiai-je décontenancé.

― Laisse-moi finir de tout t’expliquer ! Nous t’avons fait croire que nous les avions kidnappés pour te convaincre d’accepter de collaborer. Rien de plus. Maintenant, il faut prendre une autre décision importante : ta famille est en sécurité, donc nous avons les mains libres. Je suis un industriel et je suis scientifique de formation, j’ai suivi ton projet et je l’ai étudié de A à Z. Je sais donc exactement ce qui est en train de se passer. L’économie mondiale est paralysée, il y a une véritable hécatombe, et personne ne sait comment s’en sortir. Les entreprises industrielles sont bloquées ; certains de mes collaborateurs qui travaillaient pour la sécurité informatique de l’état russe ont été attaqués à travers des informations personnelles balancées sur le Net. Si cela continue comme cela, je vais droit à la ruine… Et le reste du monde aussi ! Je crois qu’il faut supprimer Babette. La première solution pourrait être de prévenir les autorités françaises pour qu’ils aillent la détruire ou couper les serveurs. J’ai les moyens radios de communiquer avec eux. Cependant, j’ai encore l’espoir de récupérer Babette. Je ne fais pas confiance aux autorités françaises qui n’auront pas les compétences nécessaires pour analyser la situation et prendre des décisions, trop de bureaucrates sans cervelles là-dedans ! Je crois que tu es le seul à pouvoir la déconnecter sans risque. Je suis sûr que cette intelligence artificielle est capable de trouver des parades ou d’anticiper pour que nous ne puissions pas la détruire aussi facilement qu’en débranchant simplement la prise des machines. Il faudra prendre garde de bien étudier son comportement pour être sûr de bien s’en débarrasser.

― Je comprends, tu veux que nous retournions en France, c’est ça ? Mais penses-tu que tes « collègues » généraux me laisseront quitter la base si facilement ? Ils sont au courant ?

― Non, ils ne sont pas au courant et bien évidement ils ne te laisseront jamais partir avant d’avoir récupéré le serveur. J’ai un avion prêt à décoller sur la piste de la base. Ici tout le monde me connait, nous n’aurons pas de problèmes avec les gardes. Alors voilà, dit-il en posant un sac sur la table pour m’inviter à l’ouvrir. Tu t’habilles et on y va.

J’ouvris le sac, il contenait un uniforme de l’armée russe, des grosses lunettes et une fausse moustache.

― Avec ça et en ma compagnie personne ne posera de question.

Je ne sais pas comment ce fut possible, mais je restais calme et prenais immédiatement la décision de suivre Nikolaï. Rien ne me poussait à douter de quoi que ce soit, je trouvais que c’était une excellente solution. On en finirait avec Babette, j’échappais au Russe et je rentrais en France retrouver ma famille. Rien à dire de plus.

J’enfilais donc l’uniforme rapidement. Il était un peu trop grand mais ça allait. Nicolaï m’aida à ajuster les moustaches et je chaussai les grosses lunettes carrées en écailles aux verres légèrement fumés qui me faisait penser à celles de Jaruzelski que je voyais à la télé dans les années 80.

― Mets tes affaires dans le sac. Tu vas le porter de la main droite en essayant de faire croire qu’il contient quelque chose de très lourd.

― Ok, obéis-je sans trop comprendre pourquoi.

Je remplis le sac avec les vêtements mais je n’oubliai pas de prendre aussi le SX et son chargeur. Nous sortîmes et nous parcourûmes les couloirs jusqu’au premier gardien. Nikolaï le salua simplement de la tête, et je passais devant lui, incliné du côté opposé du sac et soufflant comme s’il pesait cinquante kilo.

― N’en fait pas trop, ordonna sèchement Nikolaï.

Nous passâmes encore deux gardes et croisâmes deux fois des soldats sans avoir de problème. Je n’exagérais plus je me penchais plus légèrement. Sur le tarmac où stationnait l’avion, je changeais de main pour montrer la lourdeur du sac à ceux que nous croisions. Finalement nous croisâmes les derniers gardes qui se trouvaient à deux cent mètres de l’avions. Les gardes du corps de Nikolaï nous attendaient en bas de l’échelle roulante qui conduisait à la porte. Lors que nous approchâmes à quelques dizaines de mètres, ils sortirent leurs armes et nous mirent en joue. Nikolaï se retourna pour regarder derrière moi, regarda le sac et me cria de courir.

Nous courûmes jusqu’à la passerelle et au moment de monter l’un des gardes du corps tira une rafale en l’air en direction de nos poursuivants. Cela les stoppa net, nous laissant le temps d’entrer dans l’avion.

Les gardes du corps s’engouffrèrent derrière nous, tirèrent une autre rafale, cette fois en direction du sol devant les militaires, et fermèrent la porte. L’avion commença à rouler.

― Je t’avais dit de porter le sac de la main droite, me reprocha-t-il en colère.

― Mais, je, j’ai essayé de faire croire qu’il était lourd, j’ai changé de main. Quel est le problème ?

― Le problème, c’est que tu avais certainement la main droite de libre quand tu es passé devant les militaires et que tu ne les as pas salués. Je savais que tu ne savais pas saluer, c’est pour ça que je te disais de le tenir de la main droite, imbécile !

― Merde, je n’avais pas compris. Mais bon, on s’en est sorti, heureusement.

― Ah bon ? Parce que tu crois qu’ils vont nous laisser décoller maintenant ? En plus, mes gardes du corps ont tiré sur eux, c’est n’importe quoi ! Je suis entouré de débiles mentaux !

Je ne sais par quel miracle, mais l’avion finit par décoller.

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