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Le cœur de la nuit, éclairé par une Lune d'argent. Sa main, les doigts enroulés autour du pied de la coupe de vin blanc se leva vers la voûte céleste en offrande. Elle porta un toast solitaire en l'honneur de son 25 éme anniversaire. Ensuite, Lola dégusta quelques gouttes du breuvage liquoreux. Son regard se perdit au loin, peiné, esseulé, ainsi que sa posture, mélancolique et apathique, elle se questionnait. Où se trouvaient ses amis ? Pourquoi ne l'entouraient-ils pas de leur compagnie, de leur chaleur ? Pour la simple et bonne raison que leurs présences s'apparentaient à une plaine désertée, abandonnée, vide d'essence.

Sa famille ? Oui… sa famille… une famille fragmentée, qui se composait de plusieurs demi-frères et demi-sœurs issues d'un premier mariage. Lola ne les avait pas revus depuis cinq ans. Pourquoi ? La clef de l’énigme provenait sûrement du manque d'interactions entre eux, ou peut-être, se cachait-elle dans leur différence d'âge. Qui sait...

Cependant, dans ce monde existait une personne, une personne qui occupait une grande partie de son cœur, Line, sa jumelle. Une douce chaleur la réconfortait alors qu’elle songeait à sa moitié, deux sœurs fusionnelles, indivisibles, et pourtant séparées par les chemins et méandres de la vie ; chacune vivait celle choisie ou laissait celle-ci la mener à son destin. Par fierté ou pudeur, l'amour qu'elles se portaient l’une envers l’autre restait tut. Mais, si un problème, peu importe lequel, survenait à l'une, l'autre laisserait tout tomber dans la minute pour être auprès d'elle. Et Lola laissa tout tomber dans la minute pour être auprès de sa sœur à la mort de leur mère, survenue des années auparavant. Souhaitant que cette dernière brûlait en enfer, elle avait assisté à l’enterrement, pour sa sœur. Lola ne comprenait pas comment sa jumelle pouvait être affligée par son décès au vu de tout le mal qu’elle leur avait infligé. Elle ne le pouvait pas.

Une bouffée de haine la submergea en repensant à cette mégère qui maltraitait ses filles, cela allait des coups, à la torture mentale. Peu importait la raison, elle ne supportait pas de se voir vieillir alors que ses benjamines allaient grandir et devenir de jeunes femmes. Il lui avait fallu beaucoup de temps pour comprendre ses motivations et ne plus culpabiliser en croyant que la faute leur incombait. Quant à leur père, les humiliations subit constituait son quotidien. La méchanceté de leur mère, sans limites, laissa de profondes cicatrices, dont les sillons affleuraient encore sous sa peau.

Lola cligna des yeux, s’ébroua, redressa le buste et la tête pour s’extraire de ces réminiscences amères, et laissa son regard dériver alentour avant de se poser sur son refuge, son foyer, son chalet. Elle l’avait acheté trois mois auparavant, un véritable coup de cœur. Personne d'autre ne s'y était intéressé, ce qui bien sûr lui convint. Elle recherchait une maison par le biais d'internet, lorsqu'elle reçut un mail avec des photos et une proposition.

Une femme lui servit de guide pour la visite, mais elle ne se rappelait que très peu de cette dernière. Tombant sous le charme du lieu et du bien, le compromis de vente fut signé dans la foulée.

La jeune femme avait emménagé trois jours plus tôt pour son plus grand bonheur. Elle profitait de la terrasse de sa petite maison, de la brise légère qui caressait sa peau, des senteurs de sous-bois et de fleurs sauvages infusant ses sens de bien-être. Posé au cœur de deux vallées luxuriantes dominées principalement par des châtaigniers et des chênes, son nid se situait à cinq kilomètres de son premier voisin, étonnant non ?

Elle observa son chalet à un étage, un doux soupir s'exhalant de ses lèvres. Construit avec des rondins d’épicéas, des fenêtres à croisillons perçaient les façades, la même essence façonnait la porte d'entrée, magnifiée par des arabesques en fer forgé. Une terrasse en bois encerclait l'habitation, surplombée par une avancée judicieusement intégrée à la toiture en lauze. Une prairie d'herbe tendre descendait en pente subtile jusqu’au bord d'un cours d’eau, dont elle entendait le clapotis serpenter au travers d'arbres disséminés tout le long du ruisseau.

La nuit, baignée par les rayons clairs-obscurs de la Lune, reprenait ses droits. Une chouette commença à ululer près de là alors qu'une autre lui répondait. Un renard glapissait non loin. Lola aimait ses sons nocturnes, qui lui donnaient une sensation de bien-être, de quiétude, de paix. Sa solitude ne lui pesait pas, bien au contraire, elle se sentait à sa place.

Elle se versait un nouveau verre de vin lorsqu'elle capta un mouvement du coin de l'œil. Elle tourna la tête et vit une ombre se déplacer à trois mètres de ses pieds, mais n'y prêta pas attention sachant qu'il s'agissait d'une illusion. Ces visions arrivaient souvent à la jeune femme, depuis toujours en fait. Personne ne trouvant l'origine de cette bizarrerie, elle avait apprit à vivre avec.

La douceur de la nuit, le ciel dégagé, la coruscance de son tapis d'étoile lui soutira un sourire. Ici, la pollution lumineuse ne ternissait pas ce fabuleux tableau.

Un souvenir de ses huit ans remonta dans sa mémoire. Son père emmenait ses petites jumelles par la main traverser des prairies près de chez eux. Ils s'allongeaient sur l'herbe et selon l'heure, suivaient des yeux les nuages vaporeux dans l’intention d'y distinguer des formes d'animaux, observaient le firmament à l'affût d'une étoile filante ou tentaient de reconnaître des constellations. D’instinct Lola chercha la Grande Ourse. Dès qu'elle voyait le ciel piqueté de diamants chatoyants, elle le sondait afin de la trouver et pensait à lui. Sa mort, survenue cinq ans auparavant, l’avait plongée dans le désespoir. Ses yeux s’embuèrent, sa disparition encore douloureuse.

À la lisière des bois non loin du chalet, à l'abri du regard de la jeune femme, un chat au pelage beige à poils longs marchait avec nonchalance, la queue bien droite, avec cet air hautain commun à tous les félins. Une main sortit de l'ombre et attrapa l'animal par la peau du cou pour l’amener à hauteur des yeux de l’homme tapi là. Le chat feula et gronda.

L'inconnu gronda à son tour en secouant la pauvre bête comme une poupée de chiffon.

— Tobias ! Mais qu’est-ce que tu fous bordel de merde ! Qu’est-ce que tu fais ici ?

— Lâche-moi, Aaron ! Je me promenais, ça te pose un problème ?

— Réponds-moi ! qu’est-ce que tu fais ici ? grogna l'homme en montrant les dents.

— D'accord, je te suivais.

— Je te demande pardon ?

— Je te suivais. Écoute, je te vois partir en catimini du village pour aller je ne sais où depuis quatre jours. Les autres commencent à se poser des questions. Bientôt, tu vas te retrouver avec les Protecteurs sur le dos. Malgré ta discrétion, ils vont s’apercevoir que tu traverses tous les soirs.

— Merde ! Tu ne leur as rien dit j’espère ?

Tobias se renfrogna et lui jeta une œillade mauvaise.

— Tu doutes de ma loyauté ?

— Désolé. Mais pourquoi t’être approché de cette femme en prenant le risque qu'elle te voie imbécile !

Le chat lui lança un regard condescendant.

— Pas sous ma forme éthérée ! Maintenant, lâche-moi crétin !

— Mouais. Mais je crois qu’elle t’a remarqué, argua-t-il en le laissant tomber.

Tobias cracha en se réceptionnant tant bien que mal.

— Impossible, sous cette forme nous sommes invisibles aux yeux des humains, de plus elle n’aurait vu qu’un chat. Et toi ? Pourquoi viens-tu ici ?

— J’ai appris que le Gardien devait céder sa place à un nouveau, je voulais donc lui faire mes adieux, mais il est déjà parti, sans aucun remplaçant. Eux seuls peuvent accéder au chalet. Je voudrais savoir pourquoi et de quelle façon cette femme se retrouve ici, ainsi que la raison pour laquelle personne ne semble au courant de l’absence de Marc. Quelque chose cloche, et j'ai l'intention de découvrir quoi.

— Euh… il s'agit plutôt du boulot des Protecteurs, tu aurais dû les alerter dès le début, non ?

Aaron secoua la tête. Il savait que les Protecteurs devaient être avertis, mais quelque chose le retenait, il devait en savoir plus. La jeune femme l'intriguait. Trois jours plus tôt, lorsqu'il l'aperçut pour la première fois, il s'était figé à la vue d'un camion de déménagement devant le chalet.

De temps à autre, il rendait visite à Marc, aimant discuter avec lui du monde des humains, curieux et avide d'entendre les histoires passionnantes qu'il lui contait. Cette maison se transmettait de Gardien en Gardien depuis des générations. Ceux-ci étaient choisis et préparés pour empêcher quiconque de s'approcher du passage. En aucune façon, un humain lambda ne pouvait l’habiter. Aaron allait partir lorsqu'une jeune femme sortant d’un fourgon garé derrière le camion de déménagement avait attiré son attention.

Curieux, il l’avait détaillé d’un regard qui lui dévoilait une silhouette gracieuse et svelte, une taille moyenne, ainsi que des cheveux courts d’un brun lumineux. Son port de tête était altier. Sa posture indiquait de l’assurance, mais en même temps une certaine retenue. Il se tenait alors trop loin pour voir ses yeux et son visage mais il fut intrigué par son aura. Elle affichait des couleurs flamboyantes, un véritable arc-en-ciel, il n’avait jamais vu une énergie pareille, mais elle contenait aussi des ombres grises. Et ça, ça ne lui paraissait pas normal. Pas normal du tout. D’où sa décision de rester pour l’observer.

— Oui, je sais. D’ailleurs, je me demande pourquoi personne ne semble s'interroger sur cette présence et l'absence de Gardien. Pourquoi le Meneur n'a dépêché aucun Protecteur pour savoir ce qu'il se passe ?

D'accord, c'est étrange, mais que comptes-tu faire ?

— Pour l’instant, attendre, j’aviserai ensuite.

Très bien, je vais rentrer et essayer d'en apprendre plus.

— Tiens-moi au courant.

Tobias s’enfonça dans les bois et disparut.

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