Chapitre 2

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Les prénoms continuent de défiler sur les lèvres de madame Xaire, mais le temps s’est complètement figé autour de moi. Je ne peux rien faire, ni rien dire, puisque c’est mon intervention qui est à l’origine de ce vacarme. Si seulement j’avais fermé ma bouche.

Je lève les yeux en direction de Ben pour voir s’il semble aussi dégoûté que moi. Avec un peu de chance, si nous insistons auprès de la professeure, elle pourrait de nouveau plancher sur ses groupes. Mais manque de bol, Ben n’a pas l’air contrarié. Au contraire, j’aperçois un sourire narquois se dessiner sur son visage.

« Ben, murmure Lola en lui caressant l’épaule, tu sais si tu veux vraiment changer de groupe, tu n’as qu’à aller voir la prof. Je suis sûre qu’elle comprendra !

-Merci, mais ne t’en fais pas pour moi, répond-il avec un clin d’œil. »

Il a l’air de tirer profit de la situation. En même temps, il va se tirer une bonne note facilement avec moi à ses côtés.

Madame Xaire finit enfin d’énoncer les prénoms de la liste. Elle commence alors à nous présenter les modalités du TPE. Deux matières sont choisies (ici la physique-chimie et la SVT) et nous devons choisir un sujet à partir de ces dernières. Pour nous aider à la tâche, la professeure n’a pas hésité à nous conseiller quelques thèmes : corps humain et santé, géologie… J’aimerais vraiment pouvoir choisir, mais j’imagine que Ben a déjà une idée, alors s’il pouvait être ne serait-ce qu’un minimum motivé par le projet, je ne l’en priverai pas.

« Bien, termine madame Xaire, la date d’échéance du choix du sujet est d’un mois. Mais je préfère vous mettre en garde, plus vous attendrez et moins vous aurez de temps pour réaliser votre travail. Alors ne traînez pas ! »

La sonnerie retentit au moment même où elle achève sa phrase. Je m’empresse de ramasser mes affaires et d’ôter ma blouse (qui ne m’aura absolument pas servie en cette matinée) et je me lève afin de quitter la salle et me diriger vers le réfectoire. A midi, c’est une véritable guerre qui se déclenche au lycée pour pouvoir déjeuner en premier.

Voyant les élèves tous plus déterminés les uns que les autres, je tente de me hâter. Mais à peine ai-je le temps d’effectuer un pas plus long que je sens une main agripper mon bras. Je me retourne instantanément, surprise, avant de regretter mon geste. Ben se tient devant moi, haletant.

« Qu’est-ce que tu veux ?! demandé-je en retirant vivement mon bras de sa main.

-J’arrête pas de t’appeler depuis tout à l’heure, t’es sourde ou quoi ? rétorque-t-il en fronçant les sourcils.

-Hein ? Je n’ai pas entendu, désolée. »

Pour le coup, je ne mens pas, je ne l’ai vraiment pas entendu. Par-contre je ne sais pas pourquoi je viens de m’excuser devant cet énergumène !

« Bref, reprend-il en se passant la main dans les cheveux, je dois te parler…

-Tu veux me parler de quoi ? (Je hausse le ton pour lui tenir tête malgré ma petite taille.) Le cours de ce matin ne t’a pas suffi ? Tu veux m’humilier une seconde fois dans les couloirs ? »

J’entends les gens autour de nous se retourner.

« Calme-toi, reprend-il. Déjà, c’est toi qui l’as cherché en me lançant des reproches implicites !

-Parce que je suis en tort, peut-être ? Qui est celui qui n’a pas arrêté d’interrompre le cours et qui nous a fait perdre un précieux temps ?

-Wow, s’exclame-t-il, accompagné d’un sifflement. Elle avait raison la vieille peau en disant que tu étais complètement paumée. »

Dîtes moi que je rêve.

« Elle n’a jamais dit ça ! Et puis, tu te prends pour qui pour lui manquer de respect comme ça ?!

-Décompresse, c’est une vanne. (Il croise les bras.) Bref, là n’est pas le sujet. Je pense que, comme moi, t’as dû entendre qu’on allait devoir collaborer ensemble pour les TPE. (Il se met à ricaner dans son coin.) Si seulement t’avais vu ta tête, c’était mortel ! »

Je suis à bout. Tant pis pour l’attraction que je vais sûrement créer.

« Je crois que t’as pas bien cerné, Ben. Je n’ai nullement l’intention d’échanger ne serait-ce qu’une discussion de plus avec toi ! Alors collaborer ? Mais laisse-moi rire ! Mortel, ma tête ? Mais tu t’attendais à quoi, en fait ? A ce que j’explose de joie et que je vienne t’enlacer ?

-Attends… »

Je sens qu’il veut rétorquer quelque chose, mais je ne lui en laisse pas le temps.

« Ecoute, Ben. J’imagine que de ton côté, tu dois être satisfait de te retrouver avec une élève sérieuse comme moi, surtout vu comment tu prends au sérieux les TPE. Eh bien tu sais quoi ? Je suis ravie pour toi. Oui, tu as de la chance puisque tu vas bénéficier d’une excellente note sans en foutre une seule ! Je vais même aller jusqu’au bout de ma bonté et te laisser entamer le projet. Fais ce que tu veux Ben, choisis la problématique, le sujet, la production, mais je t’en supplie, laisse-moi tranquille. Je n’ai besoin de personne, et encore moins de toi pour travailler ! »

Sur ces paroles, je tourne les talons à Ben qui semble totalement offusqué par mes propos.

« Elle est complètement dingue… s’exprime-t-il. »

Je me précipite vers le réfectoire avant de comprendre qu’il est complètement bondé. Je vais devoir manger autre part si je veux arriver à l’heure en cours cet après-midi. Décidément, il est très doué pour faire perdre du temps aux gens !

Après être allée me chercher un petit sandwich au thon au casino du coin, je retourne au lycée. Cet après-midi, nous avons cours de français. Je monte alors à l’étage pour rejoindre la salle de classe. J’y aperçois les élèves, tous plus agités les uns que les autres. C’est sûrement l’effet de la digestion.

Madame Lyre, notre professeure, arrive enfin.

« Rangez-vous correctement ! Et jetez vos chewing-gums s’il-vous-plaît ! » demande-t-elle, de sa douce voix.

Les élèves peinent à s’exécuter. Contrairement à madame Xaire, madame Lyre est très jeune et manque cruellement d’autorité. D’autant plus qu’avec ses longs cheveux dorés bouclés et ses yeux couleur jade, elle passe très facilement pour une lycéenne elle-même et perd en conséquence sa crédibilité.

« Allez tout le monde on rentre !

-Purée j’ai la flemme… murmure un élève.

-On est des scientifiques, ça va m’apporter quoi de lire toutes ces vieilles œuvres de littérature ? »

De la culture, j’avais envie de répondre, mais je me suis retenue. Je crois que j’en ai suffisamment fait pour aujourd’hui.

Comme à mon habitude, je me place au premier rang pour ne rien manquer du cours. Par curiosité, je lève un regard dans toute la salle et c’est à ma grande surprise que j’y aperçois Ben et son ami, dont je ne connais toujours pas le nom, en train de discuter tout au fond. Je me demande comment il a fait pour arriver à l’heure… Si ça se trouve, il n’a pas mangé ? Au pire, ce n’est pas comme si c’était mon problème !

Après avoir attendu les retardataires, madame Lyre reprend :

« Aujourd’hui, nous allons étudier la méthode du commentaire de texte.

-Super…

-Pour cela, je vous propose un extrait d’un texte de Victor Hugo. »

Contrairement à mes compagnons, je reste attentive pour ne pas manquer la moindre note. Je ne veux pas juste exceller en sciences, je préfère avoir un profil complet.

La première heure de français (sur les deux auxquelles nous avons droit en ce jour) passe relativement vite.

« Je vous laisse dix minutes de pause, mais pas plus ! » termine la professeure en buvant une gorgée d’eau, déjà exténuée.

Ce temps de pause est plus communément surnommé « pause clope » par la majorité des étudiants.

Personnellement, j’ai l’habitude de l’utiliser pour relire mes cours ou simplement avancer un exercice donné en devoir dans la journée même. Cependant, aujourd’hui, je vais faire une petite exception à la règle. A cause du détour que j’ai dû effectuer ce midi, je n’ai pas pu passer aux toilettes. Il faut absolument que j’y aille !

Comme la pause est collective à plusieurs classes, un attroupement est inévitable. Tout en envoyant un texto à ma mère pour la prévenir que j’irai chercher sa baguette de pain, j’essaie tant bien que mal de me frayer un chemin face à l’immense foule qui me côtoie dans le couloir. Malgré mon air nonchalant, j’ai l’oreille attentive, ce qui me permet d’épier toute sorte de conversation :

« Mec, tu réalises pas à quel point on est chanceux d’être des gars.

-Ah ouais, pourquoi ?

-T’as pas vu la queue de dingue pour les toilettes des filles ? Ma copine m’a dit que ses potes se réunissaient là-bas juste pour commérer ! »

J’espère que c’est une blague.

Sans m’en rendre compte, je me suis vivement retournée vers les garçons. Ces derniers me scrutent de haut en bas, sûrement étonnés de ma réaction. Le rouge me monte aux joues et je décide d’émettre un signe en guise d’excuse. Ils reprennent alors leur discussion :

« J’assumerais pas de devoir grappiller du temps de récré aux toilettes !

-C’est clair, surtout avec madame Xaire dans les parages. »

Un léger sourire se dessine sur mes lèvres. Madame Xaire a souvent tendance à effrayer les secondes.

C’est alors qu’une idée me vient en tête. Lorsque l’on se retrouve face à un obstacle, on peut tenter de l’affronter, mais on peut aussi le contourner.

Je décide alors de faire demi-tour, fière de mon plan (un sentiment qui ne risque pas de durer longtemps), afin de me diriger vers le fond du couloir et atteindre l’escalier qui mène au sous-sol. Inquiète du temps qu’il me reste, je précipite le pas. Mais sportive comme je suis, je loupe une marche et m’empresse de m’écrouler sur le sol.

« Aïe ! Je suis pas douée, me dis-je, en observant l’égratignure que je me suis faite sur le genou droit. »

Mais je n’ai pas le temps de me préoccuper de la douleur (qui est, je l’admets, quasiment inexistante), puisque je suis enfin arrivée. En levant la tête, j’aperçois en effet l’endroit qui m’a valu de dépenser tant d’efforts en seulement quelques secondes, comme si je faisais face au Saint Graal : les toilettes des garçons !

Je me relève tant bien que mal et m’adosse contre un mur, tout en lançant de légers coups d’œil.

« La voie semble libre. De toute façon je ne serai pas longue ! »

Je me hâte vers une des cabines et je referme la porte aussi vite que possible. Rassurée par mon exploit, j’use alors de ces toilettes qui ne me sont normalement pas destinées, avant d’entendre des voix plutôt graves faire surface.

« Tyee ! Qu’est-ce que tu fais ?

-Vous avez pas l’impression d’avoir vu quelqu’un passer ? questionne-t-il. »

C’est la voix de l’ami de Ben. Son nom est donc Tyee…

« -Euh, nan, rétorque un de ses amis. Et puis, même si c’était le cas, on s’en fout ! Allez viens.

-Ouais, sauf que moi c’est pas des cheveux courts que j’ai vu passés, si tu vois ce que je veux dire…

-Quoi ? Y aurait une fille ici ? »

Je sens mon cœur s’accélérer. Il m’aurait aperçue ? Quand ? J’ai pourtant vérifié chacun de mes angles morts !

« Eh, regardez, y a le seau d’eau de la femme de ménage à côté du lavabo !

-On a qu’à le remplir d’eau et le balancer dans chaque cabine, on verra bien le genre de cri qui sort !

-Bonne idée Henri haha ! ricane un autre garçon dont je n’arrive pas à discerner la voix. »

Ils n’oseraient pas…

Mon cœur s’accélère davantage et mes membres tremblent de stupeur. Des gouttes de sueur perlent aussi sur mon visage.

Alors que je tente d’étouffer ma respiration en pressant mes mains contre mes lèvres, Tyee prend une profonde inspiration, tout en haussant les épaules, avant de déclarer :

« Mouais, nan, laissez tomber. On se casse.

-Quoi, pourquoi ?

-On va être en retard. J’ai pas envie de me prendre une heure de colle dès septembre.

-Comme tu voudras ! »

Quelques secondes s’écoulent avant que je ne me décide à poser ma main, encore tremblante, sur la poignée de la porte. Mes ongles en sont presque devenus bleus. C’est en fermant les yeux que je tourne la poignée et que j’ouvre, tout en espérant aussi fort que possible qu’ils n’aient pas décidé de rebrousser chemin.

En ouvrant les yeux, il n’y a rien, la salle est vide. Je pousse un soupir de joie extrême avant de me diriger vers le lavabo pour me laver les mains. Il y avait vraiment un seau.

« Mais bon, finalement, ils ne sont pas si irresponsables que ça ! murmuré-je, sereine.

-Tu entres dans les toilettes des garçons et tu oses parler de responsabilité ? »

Oh non.

« Bah alors, on croyait pouvoir filer en douce ? »

Tyee se tient là, juste devant moi. Et je regrette d'avoir souhaité connaître son prénom.

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