Chapitre 7
J’observe mon interlocuteur avec insistance, attendant patiemment sa réponse.
« Les sables mouvants… reprend-il, je crois que ce serait un super thème ! »
Je fronce légèrement les sourcils pour démontrer mon mécontentement.
« Tu veux faire exprès de choisir un sujet avec lequel je suis pas à l’aise pour me déstabiliser ? »
Il pouffe de rire.
« Ouah, décidément t’en rates pas une pour tenter de me blâmer. »
Même si ma méfiance est légitime à priori, j’avoue que je deviens insupportable, là.
« Non t’as raison, excuse-moi de t’avoir coupé la parole. Tu peux continuer.
-Bon, hormis le fait que ça puisse parfaitement concorder avec nos matières, je trouve que ça peut être super intéressant. »
J’acquiesce afin de le laisser poursuivre.
« On pourrait parler de géologie avec les roches, réaliser notre propre sable mouvant au labo… On pourrait aussi faire de la prévention dans le lycée et si notre projet suscite suffisamment d’intérêt on pourrait peut-être même aller au Mont Saint Michel !
-Oh ! »
Il poursuit en prenant mes mains dans les siennes :
« Et puis Ana, ce serait sûrement une occasion en or pour essayer de combattre tes peurs, tu crois pas ? »
Son geste ne me laisse pas de marbre et me fait bafouer :
« Euh, je… Ouais vu comme ça, je pense que c’est une bonne idée… »
Il relâche alors vivement mes mains avant de sursauter de joie :
« Supeeeer ! »
Je dois l’admettre, Ben a une élocution incroyable. Il arrive à me transmettre ses idées et me persuader de lui accorder une partie, aussi infime soit-elle, de ma confiance.
Ben se met à soupirer de soulagement.
« Franchement, je pensais qu’on n’allait jamais réussir à se mettre d’accord sur un truc.
-C’est vrai que moi aussi, je pensais que c’était peine perdue… »
Alors que je scrute mon téléphone pour vérifier mes appels, je remarque l’heure tardive.
« Oh mon dieu ! m’exclamé-je.
-Qu’est-ce qu’il y a ?
-Il est super tard Ben ! »
A son tour, il remarque l’heure qu’il est avant de rétorquer :
« Ah ouais… T’habites loin ?
-Moi ? Ah non ça va, une fois retournée devant le lycée je pourrai rentrer à pied.
-Parfait, j’te raccompagne alors. »
Je réponds aux messages inquiets de ma mère avant de prendre conscience de ce que Ben vient de dire.
« Hein ?! Euh, tu peux répéter ta dernière phrase ? Je crois que j’étais pas très concentrée.
-J’ai dit : j’te raccompagne. »
Les yeux écarquillés, je lui réponds :
« Quoi ?! Mais pourquoi tu ferais ça ?!
-T’as vu l’heure qu’il est ? La nuit est déjà tombée, c’est dangereux de marcher seul ici.
-T’inquiète pas pour moi, je suis assez responsable pour gérer ça, insisté-je. »
Ben ne me laisse pas le temps de me justifier qu’il m’entraîne déjà vers la sortie du musée pour aller au RER. De mon côté, je crois que je ne réalise pas encore ce qu’il se passe. Pourquoi est-ce qu’il s’inquiéterait pour moi ?
« T’es vraiment pas obligé, tu sais.
-Je sais. »
Il semble néanmoins déterminé dans sa décision. Je finis par me résigner.
Nous nous dirigeons rapidement vers le quai, lorsque je m’aperçois qu’il est bondé.
« Evidemment, c’est l’heure de pointe… dis-je, lassée.
-Ecoute, on va se frayer un chemin. »
Ben ne me laisse même pas le temps de répondre qu’il prend ma main et s’agrippe à la barre du RER à la seconde où ce dernier ouvre ses portières. Bien entendu, la foule exaspérée ne manque pas de se fourrer brutalement dans le train de peur de le manquer. On se retrouve alors complètement projeté à l’arrière du compartiment, plaqué contre la vitre.
Alors que je tente de rouvrir partiellement les yeux après cette collision, je prends conscience de la situation dans laquelle je suis. Ben est littéralement collé à moi, une main contre le mur pour tenter de garder un semblant de stabilité. De mon côté, mes mains effleurent son torse : mes bras sont pliés et je suis incapable de les bouger, un mouvement que j’ai sûrement dû effectuer par instinct pour me protéger. Je suis à la fois pétrifiée et extrêmement embarrassée par ma position, si bien que je sens les larmes me monter aux yeux.
« Ca va ? me demande-t-il. »
La simple sonorité de sa voix réussit à m’apaiser.
« Ah, oui merci !
-T’es toute rouge, t’as de la fièvre ?
-Hein ? Ah non, j’ai juste super chaud ! »
Je suis la seule à trouver la situation embarrassante ou quoi ?!
En le scrutant, je m’aperçois que Ben reste totalement stoïque. On dirait qu’il a vraiment l’habitude d’être proche des filles… Je me demande s’il a une petite amie.
Malgré mes efforts pour me contenir, je ne peux empêcher mes joues de bouillonner. Il est beaucoup trop proche de moi !
« On est bientôt arrivé. » affirme-t-il.
Je sens mon cœur se décélérer petit à petit.
Nous finissons tant bien que mal par descendre du train. Je m’affale sur le sol, exténuée de cet épisode.
« Plus jamais je refais ça ! m’exclamé-je, essoufflée.
-Haha, tu préfères ça ou attendre un quart d’heure le prochain ?
-Je préfère rentrer avant l’heure de pointe ! »
Ben châtie gentiment mon état, ce qui ne me déplaît pas au fond.
Après s’être reposés quelques minutes, nous reprenons notre chemin. Je réalise alors que je n’ai toujours pas eu l’occasion d’aborder le sujet délicat de Tyee avec lui…
« Dis-moi, Ben… questionné-je, spontanément.
-Ouais ?
-Tu t’es toujours pas réconcilié avec Tyee ? »
Il s’arrête un instant, un peu surpris de la question, avant de hausser les épaules.
« Bah, ça viendra avec le temps. C’est pas comme si c’était la première fois… »
Son expression semble légèrement morose. Visiblement, il n’est pas resté insensible à cette dispute. J’aimerais pouvoir le consoler un tant soit peu…
« De toute façon, t’as rien à te reprocher ! repris-je.
-C’est clair… Le comportement de Tyee était complètement irresponsable…»
Oh, serais-je en train d’atteindre mon objectif ?
« Totalement. Franchement si j’étais toi, je chercherais même pas à recoller les morceaux. De toute façon, ce n’est qu’un idiot sans avenir, tu mérites mieux comme fréquentation ! »
Ben s’arrête alors net. Il me fixe d’un regard que je n’avais encore jamais vu, un regard animé de dédain.
« Tu le connais pour dire ça ? »
Je rate un battement. Est-ce que je suis allée trop loin ?
« Euh, non mais pas besoin d’être un génie pour cerner son personnage… »
Il passe sa main dans sa chevelure brune, avant de reprendre :
« Ana, tu sais que je t’aime bien et que je suis pas en train de justifier le comportement qu’il a eu envers toi…
-Euh, oui…
-Je suis super tolérant avec toi malgré tes paroles parfois agressives et tes jugements de valeur… ».
Je continue d’acquiescer.
« Par contre s’il y a bien une chose que je tolère pas, c’est de descendre ouvertement un de mes amis… Alors ne t’avise plus jamais de traiter Tyee d’idiot sans avenir devant moi.
-Quoi ?
-Crois-moi, tu serais incapable d’endurer le quart de ce qu’il a pu traverser dans sa vie. »
Je reste plantée là, déconcertée, regrettant de ne pas avoir tourné sept fois ma langue dans ma bouche avant de l’ouvrir.
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