The Antlers - Kettering
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La marche est lourde. Je sens mon poids s’enfoncer dans la neige. Je trébuche. Les larmes commencent à geler sur mes joues. Chaque pas est un effort insurmontable. Les mèches de mes cheveux bleus me fouettent le visage avec ténacité. Je n’ai même plus la force de les repousser. J’apprécie presque cette violence, preuve que je suis encore en vie, que j’avance, que j’agis. Je ne sens plus grand-chose de mon corps, à part l’intense douleur qui me porte de l’intérieur. Je lève les yeux. J’ai du mal à distinguer quelque chose dans le tourbillon de flocons qui me rend invisible. Le faible reflet sombre des rochers me permet de suivre un semblant de route. Parfois, des phares au loin traversent furtivement le noir dans lequel je suis plongée.
Je bouge mes doigts à l’intérieur de mes mitaines. Ils sont engourdis et s’agitent difficilement. Le courage qui me tenait debout commence doucement à s’effriter et mes genoux tremblent. Encore un pas. Encore un autre. Je dois le faire. Je n’ai pas d’autres choix. Le choix n’est pas une option. Sous l’immense poncho qui garde mes épaules au chaud, l’air glacé traverse la douleur lancinante de mon ventre. Je peine à avancer. Je crie. Aucun son ne sort de ma bouche. Je ne sais plus comment respirer. Mais j’avance. C’est la seule issue. Ne pas me retourner.
Je me laisse porter par la douleur insupportable. Le ciel s’éclaircit doucement sur les montagnes blanches de Finlande. Je dois avancer. Avoir le courage de faire quelque chose d’insurmontable. Cette épreuve lourde, faramineuse, indécente. Cette douleur qui ne devrait pas exister. Celle qui fait mal. Qui détruit. Que rien ne pourrait apaiser. Je n’arrive pas à détourner mes pensées de la douleur fulgurante qui fuse à l’intérieur de moi. Je ne sais plus si c’est le froid polaire ou le supplice qui anesthésie tous mes membres. Mais il faut. Il faut avancer. Il faut trouver quelqu’un. Quelque chose pour me sortir de là.
Je m’effondre. À bout de forces. Je ne sortirai jamais d’ici. Jamais. Tout sombre autour de moi. Alors que je pensais que le soleil se levait, ma vue s’assombrit. Je dois être en train de m’évanouir. La masse de mon corps s’enfonce dans la neige. Je ne sens plus le froid. Je ne sens plus la douleur. Je ne sens plus rien. Je me laisse porter.
Après ce qui me semble être une éternité, une lumière m’éblouit. Alors c’est ça la mort ? Je pensais que la mort était violente, douloureuse, difficile. Elle est douce, apaisante, libératrice. J’entends de faibles sons, comme des voix très éloignées. Les anges ont-ils des voix ? Est-ce sa voix qui m’appelle ? J’essaie de bouger, mais rien ne se passe. À nouveau tout s’assombrit et je crie. Arrêtez ce supplice. Je n’en peux plus. Je suis fatiguée. Je sens une main, puis deux, me saisir sous le dos. Des voix fortes, de plus en plus fortes, de plus en plus près. Quelqu’un s’agite autour de moi. Ils sont plusieurs. Je sens mon corps se soulever doucement de terre. Je me laisse porter. J’ouvre les yeux. Quelqu’un m’a trouvé. Quelqu’un me sauve. Quelqu'un m'enlève à cette terre blanche. Quelqu'un m'arrache au dernier lien qui me rattache aux âmes que je laisse derrière moi.
Je ne verrai plus jamais mon fiancé, perdu dans les plaines neigeuses de Finlande.
Je ne verrai plus jamais mon enfant juste né, petite boule de tissu abandonnée dans le drap blanc de la neige.
Je ne verrai plus jamais mes parents, dont le corps jonche les crevasses formant la toundra estivale.
Je vois le jour se lever.
Un nouvel espoir.
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