2 - Chatoiement argenté

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43e jour de la saison du marteau 2449 – PDV Azéna

La fin de la deuxième année d'entraînement d'Azéna approchait et encore une fois, la demie-elfe devait se réduire à l'acceptation de passer la saison du soleil à Nothar. Avec Argent qui habitait maintenant à Elthen, il ne lui restait plus que son petit frère Gendrel là-bas qui lui apportait du bonheur. Sa véritablement maison était ici à l'académie avec les autres dragonniers qu'elle considérait comme sa famille. Certes elle en appréciait certains plus que d'autres, mais c'était tout-à-fait normal.

D'ailleurs, elle devait se préparer pour le retour au bercail qui était dans deux jours. L'examen final était le lendemain et aujourd'hui, les apprentis étaient en période d'études libres. Ils pouvaient en sorte pratiquer ce qu'ils désiraient et profiter de ce temps pour raffermir leurs faiblesses.

Azéna était en compagnie de Teriondil. Les deux bons amis se rendaient à la pigeonnerie qui se trouvait au cœur de la cité afin d'envoyer un message à leurs parents qui devaient se présenter à l'académie pour la fin de l'année scolaire. Qu'importe où ces derniers se trouvaient, le pigeon voyageur, avec l'aide d'un peu de magie, pouvaient les localiser. Normalement, le mage en charge de l'établissement se chargeait d'enchanter les oiseaux, mais cette année, Teriondil avait appris le sortilège sous la tutelle de Maîtresse Mana.

— Mon assistance n'est pas requise j'imagine, dit le mage au comptoir alors qu'ils pénétrèrent dans la modeste boutique bondée d'accessoires servant à l'écriture.

— Précisément, répliqua Teriondil avec un sourire chaleureux. Merci quand-même.

— C'est pour le mieux que tu te pratiques de toute façon.

L'elfe des bois fit un petit hochement de tête et détourna son attention de son interlocuteur. Il monta, suivit d'Azéna, les escaliers en colimaçon qui menait au sommet d'une tour dans laquelle se trouvait les oiseaux.

— Fayne désirait du temps au solitaire pour étudier, mentionna Teriondil.

— Ah... Tu sais... Elle est plus que prête pour les examens, dit Azéna avec un petit sourire mesquin aux lèvres.

— Peut-être pour méditer un peu alors...

L'innocence de Teriondil fit rigoler la jeune demie-elfe. Il n'avait aucune idée que l'herboriste était au bord de perdre la raison à chaque fois qu'il faisait usage de sa magie. Ainsi, elle évitait ce genre de situations, expliquant son absence à ce moment.

— Oh, tu sais...

— Mmmm? marmonna le dragonnier vert.

— Peut-être est-elle occupée avec ses recherches pour aider Umah.

— Elle y travaille toujours? questionna Teriondil en haussant les sourcils.

— Elle n'en parle tout simplement pas... Je crois qu'elle a du mal... La pauvre. Je la vois de temps en temps fouillée dans des bouquins à la recherche d'information sur les chamans.

— Je ne la vois pas interagir avec Umah.

— Peut-être en secret... Umah est notre frère dragonnier, mais bon, il me donne toujours un pressentiment qui m'exhorte de me méfier.

Au sommet des marches, le garçon posa sa main sur la poignée de la porte en bois, mais n'en fit rien de plus. Il mit un moment à réagir, laissant Azéna dans la confusion.

— Laissons la, dit-il enfin avec douceur. Elle ne fait point de mal.

Un roucoulement choqué retentit, comme si on venait d'éveiller l'un des oiseaux de son sommeil. Peut-être que quelqu'un était à l'intérieur. Il ouvrit la porte, révélant une grande salle étrangement ovale avec rien que des modestes perchoirs aviaires qui longeaient les murs. De larges fenêtres laissaient la lumière des deux soleils pénétrer à l'intérieur.

— Ça ne m'empêche pas d'être soucieuse, grommela Azéna qui entra à son tour.

L'odeur légèrement nauséabonde, sûrement présente en raison des multiples pigeons, chatouilla son nez, mais celle-ci cessa de l'affecter lorsqu'elle aperçut une adolescente de son âge qui caressait l'un d'eux en s'assurant de bien suivre la direction du plumage. Elle paraissait joyeuse, rayonnante dans toute sa splendeur. C'était une vision de beauté qu'Azéna n'avait pas envisager de rencontrer dans un tel environnement. Elle voulut la saluée, mais les mots restèrent coincés dans sa gorge. Et soudainement, elle prit consciente de sa gêne et enveloppa sa main de son autre dans une tentative de garder le peu de dignité qui lui restait. La teinte sombre et anormale de son bras n'aida pas sa situation; elle voulut le dissimuler, mais elle ne désirait pas paraître nerveuse. Elle jura en silence et se répéta sans cesse qu'elle surréagissait. Clairement, une personne telle que Naëshirie n'allait pas réagir à sa malédiction qui était d'ailleurs scellée et donc, impuissante. Elle n'était pas un fléau ambulant quand-même.

— Naëshirie, appela Teriondil, son langage corporel entier hurlait nonchalance. Quel beau vent t'apportes ici?

Azéna voulu dissimuler son visage rougit par la honte, mais elle opta pour l'immobilité, incapable de franchir le seuil de la porte.

— Pour envoyer un message évidemment, murmura-t-elle tout bas.

La dragonnière aux yeux d'un liquide céladon posa son attention sur Teriondil et lui fit un petit signe de la main en guise de salutation.

— Nûyrhin, dit-elle avec un sourire en coin.

Azéna sentit son cœur sauter un battement et une vague de panique s'empara de son corps. Il fallait qu'elle bouge, qu'elle parle, qu'elle agisse normalement. Elle tenta la seconde option, mais ses lèvres ne firent que trembler. Elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait; elle qui normalement était si fière.

— Nûyrhin, répondit l'elfe des bois avec gaieté.

— Qu'est-ce que « nûyrhin » signifie? demanda Azéna en regagnant un peu de son sang-froid.

Naëshirie se tourna en sa direction; sa chevelure blanche, réminiscente d'une pureté absolue, dansait dans son mouvement gracieux.

— C'est une simple courtoisie, une salutation décontractée.

Elle continua de gentiment caresser le crâne du petit oiseau gris alors que celui-ci clignait lentement des yeux, semblant envoûté par la jeune dragonnière.

— Oh, dit l'archère alors que la réalisation que son elfique était moins que rudimentaire vint la frapper en plein fouet. Je ne suis pas familière avec votre langue.

— C'est ce que j'ai entendu. Alors, je suppose que tu n'as jamais visité Nadalé? Même pas en ayant un elfe des bois comme ami proche?

Teriondil et Azéna rougirent silmunatément. L'archère fut prise au dépourvue. Elle ne soupçonnait pas que Naëshirie puisse porter un tel intérêt à son égard.

— Cela aurait été une belle aventure, avoua l'élémentaliste.

— Invite-là à visiter bientôt, suggéra Naëshirie sur un ton qui suggéra l'espièglerie ce qui était assez étrange pour elle. Je pourrai t'aider avec la tournée.

Bien sûr, Azéna avait complètement oubliée qu'elle aussi venait du royaume du Saule Pleureur. Elle ne connaissait pas grand-chose à propos d'elle, mais elle avait entendu quelques petites informations ici et là au cours des années passées à l'académie. C'était sûrement aussi le cas pour elle à son égard, particulièrement depuis qu'elle s'était méritée le surnom « la fille qui a tenue tête à un dieu ». Un peu d'attention de la dérangeait pas, mais pas de cette façon, pas en raison de cela.

— Peut-être durant la saison du soleil, proposa Teriondil avec un sourire.

— Je ne vis pas très près de toi, mais laisse-moi savoir ce qui se passe à ce propos, requêta Naëshirie.

— Mais certainement.

— Attendez un instant! s'exclama Azéna en agitant les bras. Je n'ais jamais donner mon accord et de plus, il faut que j'aille visiter mon petit frère Gendrel. Il doit m'attendre.

L'elfe hybride à la crinière neige fixait l'archère avec intérêt. Une subtile lueur illuminait ses grands yeux qui étaient déjà brillants au naturel. Ce genre d'attention n'était pas inconnu d'Azéna; elle qui se mettait les pieds là où il ne fallait pas bien trop souvent. Néanmoins, elle sentit ses oreilles surchauffées. Elle devait avouer qu'elle était curieuse quant à la culture des elfes sylvains. D'après les dires de Teriondil, ils semblaient très différents des humains. Elle se demandait s'ils étaient semblables physiquement à lui, Èrionda et Naëshirie, quoique cette-dernière était unique en son genre. D'ailleurs, elle n'avait jamais eu la chance de voir la petite elfe combattre. Que pouvait bien être son style? Était-elle une mage aussi? Quel était son élément? Quelle arme préférait-elle? Était-elle plutôt défensive ou offensive, peut-être même plus sur le côté support? Azéna l'imaginait bien mage avec une spécialité en guérison. On dirait qu'elle chatoyait d'une lumière bienveillante.

— L'an prochain dans ce cas, conclua Naëshirie dans un petit rire.

Elle se tourna pour accrocher un minuscule parchemin roulé à la patte de l'oiseau qui s'était comporté à la perfection. Encore une fois, le pigeon ne broncha pas. Il resta aussi calme qu'un enfant somnolent alors que Naëshirie l'invita à se percher sur son bras. Tout ce qu'elle entreprenait éveillait une curiosité en Azéna, comme une envie de se rapprocher d'elle. Elle donnait une impression de tendresse et d'innocence. D'ailleurs, la demi-elfe se surprit à éprouver le désir de la serrer dans ses bras. Sur le coup, elle sentit ses joues rougir et serra les dents, incapable d'amadouer sa gêne.

— Tu es prêt, susurra Naëshirie comme une mère à son enfant. Va. Envole-toi.

L'oiseau poussa un roucoulement et prit son essor. Un scintillement trahit la véritable nature du parchemin qui lui était attaché. Le message avait été enchanté, sûrement pour guider son porteur à sa destination.

L'archère oublia la présence du mage, hypnotisée par la magnificence des longs cheveux raides de la dragonnière délicate. Vrai, Azéna n'était pas très imposante non plus, mais c'était moins pire que Naëshirie. Au moins, elle s'était bâtit une musculature moyenne depuis le début de l'année.

— À ton tour, dit Teriondil. J'ai enchanté ton parchemin.

En effet, l'objet chatoyait subtilement comme celui de Naëshirie. La Kindirah n'avait même pas entendu son ami prononcer les mots pour lancer son enchantement. C'est alors qu'elle reprit conscience de sa situation et détourna son regard en direction de la voix rêveuse de l'elfe sylvain. Ce dernier était à l'entrée, observait son pigeon qui montait gracieusement vers les cieux et s'apprêtait à sortir.

— À bientôt, dit-elle avec un faible sourire.

— Q-quoi? Teri! Hé! Attends-moi! s'exclama l'archère alors que la panique lui monta à la gorge. Reviens ici!

— Je t'offre une belle opportunité! Saisis-là!

Puis, il disparut derrière la porte qu'il ferma avec extrême douceur.

La réalité frappa l'archère droit au cœur: Teriondil avait compris qu'elle éprouvait de l'attirance pour Naëshirie et il avait fait exprès pour la laisser seule avec elle. À l'occasion, la vivacité de l'esprit de ce perdu la prenait par surprise. Et maintenant, elle était comme un rat sans issu de secours. Elle devait envoyer ce message à ses parents adoptifs et pour ce faire, elle devait interagir avec Naëshirie.

Elle grommela faiblement, maudissant ses émotions turbulentes.

— Tout va bien? demanda l'elfe hybride avec une touche d'inquiétude dans sa voix angélique.

Son attention était fixée sur Azéna. Cette dernière faillit perdre connaissance alors qu'elle sentit une vague de chaleur lui traverser le corps entier.

— Ah... B-bah... Tout va... très bien même, répliqua-t-elle en s'efforçant de sourire.

Elle croisa les doigts et se dirigea promptement vers l'un des pigeons. Elle attacha maladroitement son parchemin à la patte d'un oiseau qu'elle choisit aléatoirement. Son esprit n'était qu'un maelstrom de pensées incohérentes.

Après trois tentatives ratées, elle soupira longuement et repoussa l'envie de se tirer en bas du bâtiment pour échapper à sa misère.

Un petit rire emplit la pièce et une main à la peau cuivrée avec un étrange teint bleuté et aux traits presque enfantins se posa sur la sienne. Azéna sentit son cœur s'arrêter momentanément. Elle avait l'impression que son visage avait viré au violet, même si c'était probablement impossible. Naëshirie était si proche d'elle qu'elle pouvait confirmer qu'elle était la plus grande des deux, quoiqu'elle fût toujours courte et ce même pour une fille, et que son aide portait un parfum sucré, peut-être un mélange de sirop d'érable et de forêt. Elle retira sa main et Azéna recommença à respirer.

— Comme ça, vois-tu? dit l'elfe métisse.

Elle venait d'attacher le parchemin à la patte de l'oiseau pour son interlocutrice. L'archère au bord de la crise cardiaque n'avait pas remarquée jusqu'à ce qu'on lui pointe.

— M-merci, balbutie-t-elle.

— Maintenant, indique-lui tout simplement qu'il est temps qu'il débute son voyage, continua la petite elfe.

Azéna acquiesça d'un lent hochement de tête, incertaine de comment s'y prendre. Elle opta pour l'imitation et répéta les mêmes mouvements et paroles que Naëshirie avait utilisée avec son pigeon.

— Argenté, chuchota une voix tordue par ce qui semblait être du chagrin. Le chatoiement argenté de cette chevelure... Maudit sois-tu, elfe lunaire! aboya ce même homme, maintenant pris d'une rage soudaine. Je ne peux endurer cette beauté!

Cette nouvelle présence... Azéna ne l'avait pas entendu ni ressenti. Qui était-ce? Ces mots envoyèrent un frisson glacial au travers de son épine. Son cerveau se mit en mode alerte et rapidement, chaque poil de son corps se hérissa. Elle entendit Naëshirie pousser un hoquètement; elle était aussi choquée qu'elle.

À peine eut-elle la chance de tourner les talons qu'on l'agrippa fermement à la gorge. Sous la pression, elle perdit son souffle et sa vision s'embrouilla momentanément. Lorsque cette-dernière se stabilisa, elle reconnut l'homme immonde au dos voûté et au regard assoiffé de sang: Vyrius.

— N-nrh....non.

Sa gorge lui faisait affreusement mal; elle était à peine capable de prononcer un mot. Pourquoi était-il si fort? Elle avait l'impression que son cou allait bientôt exploser.

— Non? Non!?! C'est ce que Dehirä avait dit aussi...

Il sera un peu plus. Azéna se tortilla sous l'atroce douleur. Elle balança ses jambes en espérant atteindre son assaillant au tibia, mais il ne réagissait pas. La panique bouillonnait en elle. Elle ne voulait que crier, mais c'était déjà un travail énorme pour à peine respirer.

— Vilaine, j'ai aperçu ton ami qui descendait, continua le maître. Il ne m'intéresse pas... Du vert... C'est comme du vomit. Mais, ce chatoiement argenté! Oh, l'argent... Quelle couleur envoûtante! N'es-tu pas d'accord?

L'emprise de l'elfe dément perdit beaucoup de force alors que celui-ci reçut une roche en pleine gueule. Une roche?

Azéna fut relâché. Elle tomba lourdement au sol et se mit à tousser. Alors qu'elle se rétablissait peu à peu, elle entendit des roucoulements apeurés, des grognements de frustration, des gémissements de douleur et enfin, un BANG sourd. Lorsqu'elle leva les yeux, elle aperçut le dos de Vyrius. Le maître fou faisait face à un mur. Où était Naëshirie? Azéna balaya frénétiquement la salle du regard à sa recherche. Elle voulut hurler son nom, mais sa voix était brisée.

— Tu te penses plus jolie qu'elle, c'est ça? dit l'elfe des bois. T'es blanche, pas argenté! Tu n'es qu'une imitation, une sœur jalouse de la vraie fleur de la famille!

Ce que disait Vyrius ne faisait aucun bon sens, mais il semblait qu'il tenait la petite elfe au-dessus du sol. Peut-être était-il en train de l'étrangler à son tour.

— Tu vas me laisser m'amuser avec Dehirä! Ce n'est pas l'originale, mais ça ira! beugla Vyrius en agrippant de sa main libre sa dague crochue qui pendait de sa ceinture.

Il avait enfin perdu la raison. Azéna s'y attendait, mais pas en ce jour. C'était contre la loi de l'ordre des Gardiens d'Aerinda d'attaquer un maître, mais il n'y avait pas d'autre choix. La Kindirah se leva avec difficulté, son corps refusant de complètement trouver son équilibre. Elle frappa en plein centre du dos de Vyrius, là où son dos semblait être le plus courbé, mais à l'impact, elle fut repoussée. Par quoi? Sa cible ne l'avait pourtant pas vu.

Un deuxième homme avait pris sa place dans le décor. Son habit sombre, sa longue cape qui traînait au sol, sa longue chevelure ébène attachée en queue-de-cheval. On ne pouvait pas se tromper: c'était Reaginn Ruvior.

Dans un silence mortel, il frappa de son coude son collègue au sommet de la colonne vertébrale. Ce cou envoya Vyrius dans une frénésie: il hurlait comme un esprit maudit, agitait les bras dans tous les sens comme pour se débarrasser d'insectes puis, il sembla complètement oublier Naëshirie.

L'elfe métisse était tombée au sol et cherchait son souffle. Sa peau était couverte de sueur et son expression autrefois angélique était maintenant corrompu par la peur. Elle avait été étranglée elle aussi.

Azéna s'approche d'elle, rampant à quatre pattes pour éviter d'attirer l'attention de leur attaquant. De la malice... Un nuage lourd de malice dominait la salle. Son centre était en Vyrius. L'archère l'ignora en se concentrant sur sa nouvelle mission. C'était tout ce qui l'empêchait de ne pas craquer sous la pression. Que se passait-il? Tout est arrivé si soudainement... Ses souvenirs étaient flous. Mais Naëshirie souffrait et elle la réconforterait. Elle s'en approcha, incertaine de quoi faire. La petite elfe toussait toujours, sa voix rauque. Elle avait peut-être souffert plus de dommage. Par réflexe, Azéna lui frotta le dos comme sa propre mère lui faisait lorsqu'elle attrapait un rhume. Naëshirie lui accorda un regard rempli de reconnaissance et s'en fut assez pour lui enflammer le visage entier. Elle sourit puis, elle détourna son attention vers l'agitation à proximité.

De son côté, Reaginn venait de donner un coup de pied au torse du deuxième dragonnier. Lorsque ce dernier s'écrasa péniblement, l'assassin fronça les sourcils et posa sa botte sur son collègue essoufflé.

— Qu'est-ce qui te prend? grogna faiblement Vyrius. Est-ce que... tu m'observes? Tu me prends pour un de ces enfants?

Le rôdeur ne réagit pas. Il était aussi froid que le roc. Et cela empira l'état mental de Vyrius qui se déchaîna:

— Tu réalises que tu es l'un de ces enfants, pas vrai? J'ai des centaines d'années de plus que toi! Tu ne connais rien! Tu n'as pas d'expérience de vie! Tu ne sais pas ce qu'est la souffrance!

Pour l'espace d'un instant, les yeux de Reaginn s'adoucirent. Avait-il ressenti de l'empathie pour l'elfe dément ou s'était-il souvenu de quelque chose de douloureux? Quoi qu'il en fût, il était revenu à son état de bloc de glace. Il dégaina une dague bien grasse de sa manche et fixa l'elfe.

— Non! J'ai besoin de Dehirä! Je ne partirais pas sans elle ni sans vous ravager comme je le suis! Vous allez comprendre!

Le rôdeur ferma les yeux brièvement, expira timidement puis, il plongea l'acier dans le cœur de Vyrius. Le dément tonitrua, incapable de contenir sa haine. Avec les derniers moments de sa vie, il poussa sauvagement son supérieur et s'élança vers les deux adolescentes terrifiées.

— Non! hurla Azéna.

Elle cramponna Naëshirie d'une main, la serrant contre elle puis, elle leva son autre en direction de leur assaillant. C'était une tentative futile, mais c'était la seule chose à laquelle elle avait pu songer en cette demi-seconde.

Elle ne pouvait pas l'arrêter; elle était épuisée, faible, hors d'elle. Elle était complètement épouvantée par le monstre qui s'approchait à vive allure.

Les traits de Vyrius étaient déformés par le venin qui corrompait son âme, son esprit et son être. Il n'avait plus l'allure d'un homme et encore moins d'un elfe. Il montrait ses dents jaunies; celles-ci étaient si serrées que certaines fendirent sous la pression. Un coulis à base d'un mélange de sang et de bave pendait du coin de sa bouche. Il était à la merci de sa folie.

La Kindirah ne savait pas ce qu'il allait faire, mais elle en était certaine: il n'allait pas gaspiller les derniers instants de sa vie. Il n'avait désormais plus rien à perdre. C'était un état d'âme des plus dangereux. Son cœur battait la chamade. Elle avait envie de déguerpir, mais elle ne pouvait pas abandonnée Naëshirie qui étaient encore à la recherche de son souffle et trop désorientée pour réagir assez rapidement. Non, elle devait restée là, le bras tendu comme le bouclier inutile qu'il était devenu.

Vyrius atteignit enfin ses victimes. Heureusement, il était d'origine elfique et ainsi, léger à comparer à un homme adulte. Cette chance épargna les deux adolescentes qui hurlèrent durant l'impact. Azéna le repoussa comme s'il était atteint de la peste. À sa grande surprise, il ne se débattit pas. Son corps roula tout simplement au sol pour s'arrêter sur son dos. Les traits de son visage étaient immobiles, blafards et atteint d'une profonde désolation. Une unique larme coula le long de sa joue.

Étrangement, Azéna ressenti un mélange de soulagement ainsi que de tristesse. Après tout, malgré son état dérangé, il était avant tout un être vivant avec des désirs, des sentiments et des aspirations. Elle ne comprenait pas son obsession avec la couleur argentée, mais cela devait avoir une connexion en rapport à son comportement.

Au même instant, un coup de vent violent balaya la salle et une créature gigantesque se posa sur la pigeonnerie. Un dragon aux écailles gluantes et obsidienne faufila avec misère son immense tête triangulaire au travers de la fenêtre sans vitre. Ses grands yeux émeraudes restèrent figés sur le défunt.

— Söljyh, appela Reaginn qui s'était enfin relevé. Söl -

— Tu m'avais promis, pleurnicha le dénommé Söljyh en s'adressant au rôdeur. Tu m'avais promis!

Incapable de faire face à la situation, le dragon noir dégagea sa tête et décolla en se donnant une poussée violente, provoquant une secousse. Quelques pierres se détachèrent du bâtiment, mais ce dernier ne s'écroula pas.

Le visage sombre, Reaginn s'accroupit et posa un doigt sur le cou de Vyrius.

— Si vous n'auriez pas été là Maître, commença Azéna.

Elle ne termina pas sa phrase; inutile de lui rappeler ce qu'il avait dû commettre. Elle lâcha Naëshirie par simple politesse.

— R-reste, murmura l'elfe hybride de sa voix brisée.

Azéna déglutie et obéit en rougissant, son expression faciale coincé en état de choc. Elle demeura ainsi alors que Naëshirie lui serra doucement le bras.

— J'ai fait un choix, déclara Reaginn froidement. Je m'y étais préparé. Il montrait des signes importants de dégénération.

Il parut néanmoins déçu de la tournure que la situation avait prise.

— Vous le surveillez alors, compris l'archère.

— C'est cela, confirma l'assassin. Il était dangereux, mais il n'avait jamais obéi à ses désirs.

Azéna se demandait comment un tel homme, en parlant de Vyrius, avait pût devenir maître dragonnier. C'était insensé; Reaginn devait y être pour quelque chose, surtout d'après la réclamation de Söljyh. Évidemment, elle n'allait pas lui demander si ses suppositions étaient correctes. Elle respecta son silence

Tout cela la fit réfléchir comme quoi il y avait bien des perspectives différentes à une situation.

— Je vais discuter avec Grand Maître Terenas à propos de la sécurité des apprentis, informa-t-il en fixant Azéna.

Essayait-il de sous-entendre quelque chose?

— Umm... M-merci Maître Ruvior, dit la jeune dragonnière grise.

— Allez vous reposer, conseilla le rôdeur. Je m'occupe du reste.

Il fit signe de tête en direction de Naëshirie. En effet, celle-ci était blême et faible comme si on lui avait siphonné une grande partie de son énergie et de sa santé.

— Allez viens Naëshirie... On va se coucher.

Le mage en charge de l'établissement franchit le seuil de la porte, une expression inquiète au visage.

— Oh! Par Elysia! Dites-moi au moins que mes oiseaux sont saufs.

Azéna n'en avait honnêtement pas la moindre idée. Elle n'y avait pas portée attention.

— Ils s-sont... envolés, dit faiblement Naëshirie.

— Elysia soit louée! Merci belle Naëshirie.

L'archère haussa un sourcil douteux. Ce mec avait les priorités à l'envers. Elle détourna le regard, ayant une mission plus importante que cela: ramenée la petite dragonnière à Leith pour un examen de sa santé puis, à sa chambre.

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