5 - Secrets de l'élément spirituel
17ème jour de la saison du soleil 2449 - PDV Azéna
Deux grands yeux vert céladon la fixèrent avec une lueur pétillante. La frêle dragonnière qui lui faisait face emmenait une allure bienveillante comme si elle était là, complètement dévouée à elle. Elle approcha sa petite main et effleura sa joue avec douceur, envoyant un frisson parcourir le long du corps de l'archère qui retenait une grimace timide.
Azéna reçut un coup en plein sur le derrière de ses jambes et s'écroula lourdement au sol. Lors de l'impact, elle entendit un craquement qui provint de son dos. Heureusement, aucune douleur s'en suivit.
- M-ma colonne !
L'image mentale de Naëshirie avait disparue. Frustrée, la demie-elfe tourna la tête en direction de son maître et fronça les sourcils.
- Fait un peu attention !
Elle réalisa son erreur: parler avec une telle grossièreté à l'égard de son mentor était inacceptable. Elle sentit son cœur monté à sa gorge et s'efforça de sourire avec malaise. En effet, le demi-dragon la toisait, les bras croisés et la fixait de ses petits yeux dorés qui brillaient dans la pénombre de la nuit.
- J-je veux dire... Pardonnez-moi, Maître !
- Tu es distraite, lui reprocha Argoshin de sa voix si unique qui rappelait autant à un humain qu'à un animal. Tu es normalement si avide.
L'archère n'avait rien à dire pour sa défense. Elle se mordilla la lèvre inférieure et se releva lentement afin de s'assurer qu'elle n'endommage pas plus son dos.
- Cela fait trois fois que tu te fais duper par la même tactique, continua son mentor avec une pointe de déception.
L'adolescente baissa le regard au sol, gênée par la vérité qui lui chauffa le bout des oreilles. Elle était sans voie; incapable de trouver une réplique appropriée.
- Bon... Assez d'entraînement au combat, décida Argoshin dans un faible grognement. Lève-toi - tu es une dragonnière, démontre un peu de dignité - et installe-toi sur cette roche.
Azéna obéit avec une envie de grommeler qu'efforça pour ne pas laisser paraitre. Elle s'assied les jambes croisées sur le large rocher et fixa son mentor qui s'était positionné devant elle.
- Es-tu confortable ? demanda-t-il en l'observant minutieusement.
Parfois, l'une de ses canines dépassait de sa bouche, surplombant sa lèvre ce qui lui donnait un air assez mignon.
- Ou-oui, pouffa l'archère en remarquant la dent rebelle.
Argoshin soupira, sachant exactement ce qui se passait et corrigea la situation. Il opta pour adopter une expression sévère, laissant ses mains griffues s'entrecroisés fermement. C'était toujours aussi émerveillant de voir le mélange d'écailles violettes et de peau humaine qui formaient la surface de son corps musclé. Cet être était unique et différent; sûrement l'un des seuls en existence. Azéna était fortuné de l'avoir comme guide et elle le reconnaissait. Si, il était souvent assertif, mais cela faisait bon ménage avec une personnalité à tendance turbulente comme celle de la demie-elfe.
- Bon... Débutons, dit le demi-dragon en attachant la partie longue de sa chevelure nuit en une queue de cheval, laissant le devant, beaucoup plus court, libre de danser dans les brises.
Sa couette cascadait jusqu'au bas de ses fesses - c'était impressionnant. Azéna se surprit à l'envier un peu. Même avec sa crinière aux traits elfiques, elle n'arrivait pas à cette longueur. Présentement, la sienne s'arrêtait au centre de son dos, toujours aussi lisse et brillante. Elle était beaucoup plus en santé que celle d'Argoshin.
- Écoute-moi, grogna ce dernier, capable à chaque fois de reconnaitre lorsque son élève était distante.
- Désolé, répliqua Azéna en affichant un sourire gêné. Votre chevelure...
- Oh, je sais. Nul besoin de me le répéter.
Il croisa ses doigts derrière son dos et serra sa mâchoire comme s'il éprouvait une tension avant de débuter :
- Je vais te partager ce que je sais à propos de la situation du vol draconique violet.
Emplie d'une excitation soudaine, l'archère sentit son estomac se tordre et se remplir de engourdissements agréables. Enfin, elle était digne de sa confiance ! Elle ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit. Ses lèvres tremblèrent et elle réalisa à quel point elle était nerveuse de savoir la vérité. Une vérité qu'elle ne pouvait partager; qui ne devait pas être prit à la légère. Elle comprenait à quel point c'était difficile pour lui de s'ouvrir; ayant passé la plupart de sa vie dans la solitude et dans la confusion.
Elle baissa la tête comme pour imiter un semblant de révérence. Elle désirait lui démontrer sa reconnaissance, mais elle ne trouvait pas les mots.
- Je crois que tu es prête, continua-t-il avant qu'elle ne puisse trouver le courage de s'exprimer. J'ai foi en toi, jeune dragonnière.
Azéna prit plusieurs grandes respirations, avalant ses émotions qui chamboulaient ses pensées. Elle leva les yeux et croisa son regard empli de fierté.
- J-je suis si désolé de vous avoir jugé Maître ! vomit-t-elle, incapable de se retenir plus longtemps.
Pendant si longtemps, elle l'avait ciblé ennemi alors qu'elle ne connaissait rien de lui; pas ses motifs, pas son contexte, pas ses raisons ni ses sentiments. Il avait été indéfiniment patient avec elle alors qu'il était impérial qu'il garde ce secret pour lui, mais qu'en même temps, il était important qu'elle apprenne à contrôler et à comprendre son pouvoir. C'était délicat et il avait refusé de l'entraîner sur l'élément spirituel jusqu'à ce jour.
- Il te faut encore améliorer ton contrôle émotionnel, souligna-t-il avec un faible sourire en coin qui trahissait son austérité.
- Oui, accepta l'adolescente en prenant un peu de sérieux. Je suis prête.
Elle prit soin, comme son maître, de croiser ses mains afin de l'aider à maintenir un équilibre sur ses émotions. Ce n'était certainement pas sa force, mais elle s'était améliorée au cours des multiples sessions de méditations qu'Argoshin et que Nikala lui avaient imposés.
- Permets-moi de te rappeler que les secrets du vol violet doivent restés ainsi, souligna le demi-dragon. Ne les partage pas; même pas avec tes supérieurs à l'académie.
- Ne vous inquiètez pas, dit Azéna avec entrain. Je comprends à quel point c'est important. Tyrath...
- Non.
- Mais c'est mon partenaire, mon compagnon de vie ! Il doit comprendre mes capacités pour que l'on soit efficace l'un avec l'autre.
Argoshin soupira et garda le silence pendant un long moment.
- Très bien, dit-il avec hésitation. Personne d'autre ne soit savoir, qu'importe les circonstances. Et cela va pour mon statut, notre statut aussi, mais ça, tu le sais déjà.
- C'est entendu ! s'exclama son élève avec fougue. Je ne vous décevrais pas Maître !
Le demi-dragon laissa un petit rire s'échapper puis, il roula les yeux comme s'il venait de convaincre un enfant de partager ses jouets.
- Sottises, murmura-t-il faiblement.
Il secoua légèrement la tête, se dégourdit les ailes en les étendant à quelques reprises puis, il reprit sur un ton plus sérieux :
- Comme tu le sais, s'il reste des membres du vol violet en vie, ils sont peu nombreux et très bien isolés. Ce n'est pas pour rien qu'on les croit instincts car c'est ce qu'ils semblent désirer. Ils ont perdu leur foi en Aerinda, en les peuples, en le panthéon. La plupart sont décédés par suicide ou ils ont tout simplement perdu la raison et ils se sont entretués. Autrefois les êtres les plus vivants de ces landes, ils sont maintenant déboussolés dans le tréfonds de leur noirceur, soumis aux griffes glaciales à la dépression.
Sachant qu'il avait passé sa vie à courir après les siens, l'archère ne doutait pas de ses informations. Il devait avoir raison sur ce qu'il savait du moins. Cela ne fit qu'amplifier l'impact de cette révélation.
- Comment une créature si majestueuse et puissante qu'est un dragon puisse descendre si bas ? questionna la rebelle, aussi outrée que triste. Qu'en ait-il de leur devoir en tant que gardien de la vie et de la mort ?
- Ce sont des questions tout-à-fait naturelles et auxquelles je n'ai pas de réponse définitive. Malheureusement, je n'ai jamais rencontré un dragon violet, mais partageant la moitié de mon être avec eux, je comprends partiellement comment ils fonctionnent. Cependant, ma perspective n'est que théorique. Dis-moi, que peux-tu me partager à propos de Turion ? Il faut que je confirme mes propres sentiments.
À cet instant, il était comme un gamin qui cherchait à comprendre ses transformations causées par la puberté. C'était une vulnérabilité qu'elle n'avait jamais envisagée en lui. Prise au dépourvue par la question de son mentor, Azéna cligna à plusieurs reprises alors qu'elle envisageait les multiples façons dont elle pouvait répondre. Turion était à la fois mystérieux et ouvert. Il était... différent. Différent de tout être qu'elle avait rencontré; dragons et humanoïdes compris. Elle ferma les yeux et remémora les sensations qu'elle avait vécu lorsqu'elle avait partagé son corps. Le souvenir de cette expérience la laissait encore à ce jour, victime à l'aliénation. Pour la plupart du temps, elle réussissait à l'oublier.
- Il me parait très proche de ses sentiments, finit-elle par révéler. Il ne pense pas comme un dragon ni un humanoïde. C'est difficile à décrire... Je lutte à trouver les bons mots.
- Prend ton temps, conseilla Argoshin.
Azéna déglutit, anxieuse. Elle sentit l'attention de son mentor qui était fixé sur elle et elle tressaillit. Malgré son malaise, elle persista :
- C'est comme s'il est connecté au flux de la vie. Il peut sentir lorsqu'un être est sur le point de mourir, quand un bébé est sur le point de débuté sa vie et comment rapidement un être vieillit.
Elle réalisa la similarité potentielle entre lui et Argoshin.
- Maître... vous aussi ? questionna-t-elle en prononçant ses mots lentement.
- Sûrement pas aussi sensiblement que lui, je suppose, confirma le demi-dragon. Mais vivre avec une telle habilité change un être.
- Je peux l'imaginer... Enfin, je l'ai déjà vécu temporairement, se corrigea l'adolescente. Ce n'était pas facile à vivre, même si c'était que très bref.
Elle frissonna, incertaine de quoi dire. Elle demeura ainsi dans le silence et l'immobilité.
- Merci pour ton aide, dit Argoshin avec sincérité. J'apprécie. Maintenant, continuons ton éducation.
Azéna hocha de la tête, ciblant son mentor de toute son attention.
- Avant tout, je me dois de t'armé de savoir, dit-il.
- Eh... ? Oh de la théorie Pourquoi cela ne m'étonne-t-il pas ? rouspéta l'archère en pinçant les lèvres.
- Azéna, pour la énième fois, la manipulation des âmes n'est pas...
- N'est pas un jeu, coupa l'adolescente. Je suis au courant.
- Alors, un peu de sérieux, ronchonna Argoshin en agitant la queue, fouettant l'air autour de lui.
- Désolé Maître, dit Azéna en gardant les yeux fixés sur ceux de son mentor pour lui démontrer qu'elle était réceptive. Continuez, je vous prie.
Habituellement, elle détestait le vouvoiement, mais dans ce cas, elle avait beaucoup de respect pour Argoshin. Elle s'en voulait de lui manquer de courtoisie; l'instinct de se méfier de toute forme d'autorité était encré en elle. Elle devait se corrigée et rapidement. Son maître était patient avec elle, mais cela risquait de ne pas durer.
- Quels sont les similarités entre le contrôle du vent et de l'esprit, d'après toi?
- Bah... On m'a expliqué que l'élément de l'esprit est plutôt contrôlé par ses sens spirituels...
- C'est exact, mais il te manque la similarité : un détail également important à sa maîtrise.
Azéna cligna des yeux à multiple reprises, incapable de faire la connexion entre les deux éléments.
- Tu possèdes ce don grâce à ton lien avec ton dragon, expliqua Argoshin. Loin de lui, ce don s'affaiblit considérablement ou encore, si ton compagnon venait à s'éteindre, l'élément te serai inaccessible.
Soudainement, un déclic se fit en l'archère qui compris ce que son maître essayait de lui apprendre.
- Turion se tapie dans un coin de ma personne... I-il... Il réprime son propre esprit pour ne pas envahir le mien.
- Et comment espères-tu avoir ton plein potentiel sans la source de ce pouvoir ? questionna le demi-dragon. C'est un échange entre vous deux. Turion se doit de participer, particulièrement lorsqu'il partage le même corps que sa dragonnière. Donc, je te conseil de ne pas puiser dans cette énergie spirituelle sans son assistance. Ça rendrait le travail instable et ineffectif et de plus, cela te fatiguerait trop pour en valoir la peine.
- C'est exactement ce qui se passe durant mon entraînement, expliqua l'archère à contre-cœur. Je n'arrive à presque rien.
- Et encore là, c'est un exploit.
Azéna leva un sourcil et pencha la tête sur le côté, démontrant sa confusion.
- Il y a des règles à considérer lorsque tu performes une manipulation d'âme ou d'esprit, expliqua le demi-dragon. La plus importante est de ne jamais succomber à sa corruption. C'est un miracle en soit et avec cela devient aisément un abus qui se transforme rapidement en dépendance ou en soif de pouvoir. Ne prend jamais ce don pour acquis et ne l'utilise qu'en dernier recours.
- Que voulez-vous entendre par cela Maître ?
- Lors de ton utilisation de l'élément spirituel, te souviens-tu de comment tu t'es sentie ? Réfléchit s'y bien.
L'adolescente obéit, ferma les yeux et remémora les quelques occasions où elle avait perdu le contrôle de son corps dû à une émotion forte. Elle se souvint du sentiment intense de bien-être qu'elle avait vécu. Elle s'était sentit si puissante, si vivante, si ardente. C'était de l'extase pure et elle se surprit à en désirer plus, rien qu'à y songer. Sur ses bras, le velours qu'était ses poils minces s'hérissèrent.
Elle hoqueta et détourna le regard, honteuse de sa faiblesse.
- Vous avez raison Maître, avoua-t-elle en posant ses mains sur ses bras dans une tentative de dissimuler sa réaction corporelle.
Un faible sourire s'étira sur les fines lèvres d'Argoshin et pendant l'espace d'un moment, il parut accablé d'amertume.
- Tu comprends donc le risque, conclu-il.
La dragonnière acquiesça. C'était tout ce qu'elle pouvait lui offrir.
- Il est possible de tuer et de ressusciter, révéla l'hybride.
- Soit d'arracher et de donner la vie.
- Précisément. En revanche, c'est un échange. Seulement la mort peut payer pour la vie et vice-versa. En d'autres termes, ces actions sont une manipulation d'esprit. Sais-tu ce qu'est la mort, jeune dragonnière ?
- Je dois avouer que je n'en suis pas trop certaine. Durant une majorité de ma vie, je ne croyais même pas en le panthéon.
- Sceptique à ce que je vois.
Il hocha de la tête comme pour confirmer ses propres mots, posant son menton dans sa main. Après une brève pause, il reprit :
- Peu de gens possèdent cette information et ils, pour la plupart, n'y croient pas. C'est une réaction parfaitement normale à mon avis. Il est difficile de croire en quelque chose qui n'a jamais été tangible. Cependant, il existe une dimension parallèle à la nôtre. Elle est identique à notre réalité mis à part les distorsions de couleurs et l'absence de toutes modifications mortelles telles que les bâtiments. Elle est connue sous le nom de Shruk'Näydan ce qui signifie « Berceau des âmes » dans la langue ancienne.
À la réception de cette information, l'esprit de l'archère fut frappé par une série de souvenirs reliés à ses expériences avec les chamans, particulièrement Rohokub. Il avait performé ce qui aurait pu être considéré comme un miracle en scellant une âme aussi vaste que celle de Turion en un frêle corps. C'était sans doute une manipulation spirituelle et une réalisée avec expertise. Comment était-ce possible ? Elle partagea son expérience avec Argoshin qui maintint son calme tout au long de son monologue.
- Tu vois, les chamans sont bel et bien des manipulateurs d'âmes, mais leur pouvoir est très restreint contrairement aux dragons violets, confirma-t-il. L'intensité de leur pouvoir en général est limitée. Il est aussi impossible pour eux de performer des miracles tels que la mort, la ressuscitation et faire une femme tomber enceinte.
- I-ils peuvent faire ça ? balbutie la jeune femme, étonnée par la dernière mention.
- Bien sûr. Tu en es capable avec l'aide de Turion. C'est tout simplement un transfert d'âme, exactement comme lorsque tu as guéri tes blessures. Si tu donne une petite partie de ton énergie spirituelle à quelqu'un dans le besoin... En revanche, s'il n'est pas dans le besoin... Tu sais très bien ce qui se produit et c'est dans cette situation que le risque de germer une dépendance augmente. C'est un équilibre délicat qui est difficile, mais possible à obtenir. C'est aussi pourquoi une tranquillité d'esprit est impérative.
Une vague d'émotions turbulentes submergèrent la Kindirah. Elle réalisait à quel point le pouvoir du vol draconique violet était important; comment elle était devenue importante. L'élément spirituel n'était pas qu'un simple élément comme les autres, il était bien plus grand. Il était la plateforme qui supportait tout le reste. Sans lui, Aerinda s'écroulerait. Avec lui, un être malicieux pourrait devenir un semblant de divinité mineure.
- J-je... Com-ment...? C'est extrême ! termina-t-elle. Ce n'est pas une blague !
Ses doigts tremblaient sous la pression infernale du stress. Elle luttait comme l'impulsion de se prendre le crâne entre les mains et se bercer d'avant en arrière comme une démente.
- C'est un rôle trop important, trop grand, trop complexe, trop vaste pour une personne comme moi. Je ne suis qu'une adolescente, une apprentie dragonnière ! C'était déjà grandiose comme aspiration, mais là... Je ne veux pas... Turion est déjà soumis ; capable de rien sauf de se terrer dans le fond de ma conscience pour ne pas me briser !
Elle leva ses yeux écarquillés par l'angoisse vers son maître.
- Qu'attends-tu d'une personne comme moi ? questionna-t-il d'une voix douce. Honnêtement ! s'énerva-t-elle lorsqu'il ne lui répondait pas. Je peux à peine rester en place ! Je suis une véritable girouette !
Le demi-dragon prit le menton de l'archère métisse entre ses mains griffues et la fixa droit dans les yeux.
- Fais ce que tu peux et rien de plus. Je ne suis pas celui qui décide de ton destin. Je ne suis que ton guide; maître n'est qu'un titre formel. En revanche, tu as le potentiel d'aider beaucoup d'Aerindiens. Ait confiance en ton lien avec Turion car ce dernier a été forgé dans la confiance et l'amour. Ait foi en toi-même, en lui, en votre capacité.
Sa voix était des plus apaisantes et ce malgré qu'elle soit rocailleuse, voir grondante. Cette diction particulière vint chercher Azéna comme une berceuse et lui apporta un peu de sérénité.
- Merci Maître, dit-elle doucement.
Argoshin se retira, effectuant quelques pas vers l'arrière pour laisser son apprentie assimiler la situation.
- Tu vas tenir bon ? demanda-t-il avec inquiétude.
Azéna acquiesça d'un signe de tête.
- Continuez Maître. S'il-vous-plait. Je dois savoir ce que je suis - ce que nous sommes, corrigea-t-elle en se rappelant que Turion faisait parti d'elle.
L'homme ailé afficha un sourire, clairement content du changement d'attitude de son élève.
- J'ai voyagé au travers des landes de la mystérieuse Aerinda, ma mission étalée sur plusieurs années. Un jour, je suis tombé sur le cadavre d'un drake violet. Il ne semblait pas y avoir de traces de blessure physique ni de signe de maladie. J'étais perplexe. Continuant mon inspection, je remarquai enfin l'expression faciale du défunt. Cette-dernière était tordue, infectée par une familiarité qui m'avait hantée à maintes reprises avant de maîtriser mon pouvoir. Peux-tu deviner où je veux en venir ?
- L'incapacité de contrôler sa dépendance à l'absorption de l'élément spirituel ?
- Mhmm... Il n'a probablement pas reçu la guidance qui lui était nécessaire. Vois-tu, les dragons violets sont tous débordants de compassion. Ils le doivent, ayant reçu une telle tâche. Cependant, la compassion peut se transformer en haine et vice-versa, surtout avec la lourdeur d'un tel devoir sur les épaules. Ils sont victimes de grandes attentes et parfois, s'en ais assez pour succomber à la folie.
- En haine ? Ça me semble si improbable pour un être compassionné.
- Le contraire de l'amour n'est pas la haine, mais l'indifférence. Un peut donc entraîner l'autre et parfois, ils marchent sur une voie main dans la main. Souviens-toi en bien.
- Pah ! s'exclama l'archère avec confiance. La haine ne m'atteindra jamais ! Je ne désire que le bien-être de ce monde et des autres.
- Nous sommes tous capable d'un extrême à l'autre, mis à part quelques exceptions qui se trouvent dans la zone de l'indifférence. Il suffit d'être subit aux bonnes conditions et tout peut basculer. Je crois que c'est l'une des raisons pour laquelle les dragons violets sont entrain de se suicider ou de s'entre-tués.
Azéna se sentit soudainement mal à l'aise avec ce que lui faisait réaliser son maître. Elle ne comprenait pas pourquoi, mais un nœud dans sa gorge se forma et elle eut une soudaine envie de se cacher, de partir au loin. Pourquoi était-elle craintive ? Elle était Azéna, apprentie dragonnière et elle savait qui elle était. Elle devait changer le sujet avant de devenir trop émotionnelle.
- Alors... Ce berceau des âmes... Le lien entre les chamans et les utilisateurs de l'élément spirituel...
- Je n'ais que la technique de base en ce qui concerne la maîtrise de l'élément spirituel. Je ne suis qu'un demi-dragon et mes pouvoirs sont limités, un peu comme celui des chamans. Toi, au contraire, tu as le potentiel de grandir, de devenir aussi majestueuse qu'un arbre d'une centaine de mètres de haut, un peu comme celui qui réside en toi. Ensembles, vous avez cette capacité. Si tel est ton but, ma jeune dragonnière, c'est possible avec beaucoup d'entraînement, mental comme spirituel. Reconnais que Turion ne peux pas t'aider parce qu'il risque d'écraser ta conscience avec la sienne. Il doit être aussi présent que toi si tu désires ouvrir ce pouvoir. De ce que je peux déduire, il semblerait qu'il soit le noyau et tu es le vaisseau. Mais le but est de partager le vaisseau et que chacun de vous devienne la moitié du noyau.
- Je n'ai pas accès à l'élément s'il n'est pas là... Comment puis-je supporter un wyrm alors que je ne suis qu'une simple demie-elfe ?
- Contrôle tes émotions, soit en paix avec toi-même.
À ces mots, un déluge d'émotions frappa Azéna et elle ne put s'empêcher de baisser le regard au sol.
- En paix avec moi-même... eh ?
Qu'est-ce qu'est la paix avec soi-même ? Elle s'était battue tout sa vie pour préserver son identité, mais dans le fond, qui était-elle ? Une dragonnière dévouée certes, mais les inquiétudes de Tyrath résonnaient en arrière-plan depuis cette fâmeuse soirée passé sous les étoiles. Le pacte... Elle s'était faite à l'idée d'être une Gardienne d'Aerinda avec de bonnes intentions, mais les circonstances n'étaient pas exactement ce qu'elle désirait. Elle le réalisait maintenant qu'elle éprouvait des sentiments pour Naëshirie : elle ne pouvait pas se mettre en couple. De surcroit, est-ce qu'être avec une autre fille était même accepté ? Était-elle tout simplement coincée dans une autre société qui l'empêchait d'être elle-même ? Non. Elle avait travaillée si fort pour se rendre où elle se tenait aujourd'hui. Elle ne pouvait pas abandonnée. Elle allait devenir une guerrière incroyable et sauver des vies en compagnie de ses frères et sœurs dragonniers et dragons.
Elle cessa d'y réfléchir, mais la boule nouée dans sa gorge descendit dans son estomac et devint aussi accablante qu'une roche.
- Donc, Turion et moi devons partager notre énergie pour que le processus fonctionne bien ?
- Précisément, confirma Argoshin. Vous allez devoir travailler là-dessus ensemble une fois le moment venu.
- Nous devons coopérer sans écraser l'esprit de l'autre. C'est un débalancement lorsqu'il prend contrôle de ma conscience et que mon physique se transforme, pas vrai ?
- Mmmmm...
Argoshin se prit le menton entre ses doigts fins et semblait réfléchir.
- Pas vrai ? répéta Azéna avec insistance.
Le demi-dragon resta immobile mis à part ses pupilles noirs qui virèrent en direction de son interlocutrice. Il lâcha un petit sifflement puis, un bref grognement.
- J'essai de m'imaginer ce qui se passe lorsque tu expériences la perte de contrôle de ton corps. De ce que je peux déduire... il semblerait que Turion soit tout-de-même une présence intrusive et qu'il lutte lui aussi pour ne pas te submerger. Il est très attentionné à ton bien-être. C'est typique d'un dragon violet.
L'adolescente avait réussit à oublier ses problèmes momentanément, mais la mention du sacrifice de Turion l'attrista et la boule d'anxiété qui dormait en son estomac s'éveilla à nouveau. Elle posa une main sur son ventre et grimaça.
- Clairement, il souffre... J'aimerai l'aider, mais je suis si faible.
- Tu y parviendras, encouragea Argoshin. Laisse-toi le temps. Je suis certain qu'il comprend. Ce n'est pas un accomplissement aisé.
Il fit une pause, ses traits s'assombrirent et s'adoucirent comme s'il s'apprêtait à dire quelque chose, mais le reconsidérait.
- Je crois honnêtement que je devrais t'avertir...
Il garda le silence pendant un moment avant de continuer. Il paraissait mal à l'aise, sa queue s'agitant.
- Je n'en suis pas 100% certains, mais je crois que tu pourrais perdre la vie si Turion écrase trop ta conscience. Si cela se produit, je crois que tu seras effacé, que tu n'irais pas à Shruk'Näydan. C'est une façon très anormale de mourir.
- Je m'en doutais bien, avoua Azéna en s'efforçant de sourire. Il ne faut donc pas que je laisse mes émotions négatives m'absorber sinon il en sera affecté et il perdras le contrôle.
- C'est ce dont je me doutais... C'est donc vrai. Après tout, les dragons violets sont très susceptibles aux sentiments, particulièrement ceux qui sont typiques aux humanoïdes tels que la rage, la colère, la jalousie, la méfiance, mais aussi le bonheur, l'amour et l'empathie. Ils ont été conçus pour être le plus près des mortels possibles afin de les comprendre.
- Tu es donc... très humain, en conclut l'archère.
- Oui, dit-il en brisant le contact visuel avec elle.
- Dis-moi, tu es à demi-humain... Comment est-ce possible ?
Les joues du demi-dragon s'empourprèrent. Il était décidément plus sensible qu'elle ne le croyait.
- C'est une situation assez particulière... M-mais... Certains dragons ont la capacité d'obtenir une forme humanoïde unique à eux. Avec un peu d'entraînement et de savoir... Ils peuvent s'incorporer dans une société humanoïde...
- Et les dragons violets sont très sentimentaux comme eux ! s'exclama Azéna qui venait d'établir une théorie. Serait-il possible que ton parent draconique ait tomber amoureux d'un humain ?
Il détourna le regard, clairement embarrassée par ce fait à propos de lui.
- J-je n'y connais pas grand-chose... Ma mère était humaine et elle a prit soin de moi jusqu'à ce qu'elle disparaisse. Je n'ais jamais connu mon père. Étant donné les traits de personnalité général des dragons violets ainsi que leurs responsabilités, je suspecte qu'il devait avoir ses raisons donc, je ne lui en veux pas.
- C'était sûrement une situation difficile...
- C'était il y a longtemps, durant une ère pendant laquelle le vol draconique violet était encore actif. Ils sont essentiellement les gardiens des gardiens. Ils s'assurrent que les autres vols restent en place. Ils forment en autre les piliers d'Aerinda.
- Qui se chargent d'assurer leur bien-être alors ?
- Seulement les divinités, répondit-il avec une pointe d'amertume.
- Bah, apparemment, ils ont manqué à leur devoir, ronchonna la dragonnière.
Argoshin poussa un faible gloussement puis, il contempla les étoiles dont certaines scintillèrent dans la réflexion de ses yeux dorés.
- Que dirais-tu qu'on s'arrête ici pour ce soir ? Il est tard et je sais que ta famille ne te laisse pas le loisir de te reposer une fois le matin venu. De toute façon, je crois qu'il serait mieux que je te laisse le temps d'absorber toute l'information que je t'ais fais part.
- Merci Maître, dit doucement Azéna qui réalisa qu'elle était effectivement épuisée de sa journée. C'est très prévenant de votre part.
- Il n'y a pas de quoi.
- J'y songerai, à toute cette histoire d'élément spirituel, promit l'archère en affichant un large sourire.
- Parfait. Maintenant, file.
La Kindirah lui offrit un aurevoir d'un signe de la main et se leva de sa roche. Elle s'étira et entendit un craquement qui provint de son dos puis elle s'élança.
- On se rencontre ici dans deux jours, informa Argoshin alors qu'il fixa sa protégée se dépêcher jusqu'à Nothar.
Une fois à l'intérieur des murailles de la cité de l'Aspérule Blanche, elle ignora les gardes qui tentaient de l'empêcher de procéder.
- Intru ! s'exclamaient-t-ils à chaque fois qu'elle en croisait un.
- Du calme, répliquait-elle. Je suis Azéna, la fille de ton Seigneur suzerain.
Ils la laissent tranquille une fois son identité confirmée. La sécurité était renforcée et ce, encore plus que l'an précédente. Cela inquiétait la jeune femme, mais elle ne pouvait se laisser distraire. Elle avait ses propres tâches à terminer.
Elle vira un coin, sur le point de pénétrer dans le quartier de la haute-société. Heureusement, il faisait nuit et les nobles étaient tous au chaud dans leur lit. Elle détestait faire affaire à eux. Leur attitude hautaine la mettait sur les nerfs, contrairement à celle de Naëshirie. L'elfe métisse était si gracieuse, son langage corporel doux comme un chaton.
Azéna soupira longuement, exaspérée d'elle-même. Elle devait se sortir cette idée impossible de la tête.
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