21 - Comme un elfe
4e jour de la saison de la lune 2450
Yejyn fut bénit d'un long sommeil réparateur. Ce n'est que lorsque les deux soleils étaient hauts dans le ciel qu'elle s'éveilla. Plus précisément, elle fut secouée par le bruit infernal du vent qui s'abattait contre le modeste chalet en bois. Aujourd'hui, il allait être difficile de chasser dans un temps pareil. Un elfe aurait sûrement gelé, mais pas Yejyn. Grommelant, celle-ci se défit de sa couverture et posa son regard sur un sceau rempli d'eau qui reposait près du lit. Elle enfonça son poing au centre pour briser la glace qui s'était formée à la surface. Satisfaite, elle prit une longue gorgée.
Malgré sa résistance supérieure au froid, elle ne pouvait pas être imprudente. Elle s'enroula dans sa cape en fourrure qu'elle avait aussi façonnée des corps de ses victimes. Ça et sa modeste armure en cuir étaient assez pour la garder confortable.
Elle se demandait quand Aylaëna allait la visiter. Peut-être serait-ce jamais. Dans tous les cas, elle devait prendre son avertissement au sérieux. Sa famille allait éventuellement se présenter au chalet. Elle estimait qu'elle avait jusqu'au printemps avant que cela ne se produise.
Son ventre gargouilla et elle poussa un long soupire. Bien sûr, elle avait déjà faim. Son physique robuste demandait beaucoup d'énergie à maintenir. Elle se convaincu qu'elle allait aller à la chasse toute la matinée. Elle empoigna son arc et effleura la courbe en songeant à quel point elle avait été idiote de l'avoir offert à Aylaëna. Heureusement que l'elfe le lui avait redonné. Elle sourit malgré l'inconfort apporté par ses défenses. Peut-être allaient-elles être amies... Avec un peu de chance.
De toute façon, Yejyn n'avait nulle part de particulier où aller. Quoi qu'il se produise, elle pouvait s'adapter et bouger. Mais Aylaëna avait aussi mentionner qu'elle allait partir aux études à l'automne. Peut-être voudrait-elle d'une compagnonne. Après tout, elle était si fragile. Elle aurait possiblement besoin de protection.
- Non, grogna la chasseresse avec mépris.
Qui voudrait d'une troll comme garde du corps ? Et même si Aylaëna l'accepterait, comment pourrait-elle la suivre dans la société avec son apparence ?
- Non, répéta-t-elle.
Elle se maudit pour s'être attachée si aisément à une telle idée. Elle ne pouvait pas devenir dépendante d'autrui. C'était une faiblesse elfique. Mais l'apparence adoucit de ses mains à trois doigts lui rappela qu'elle était quelque chose d'entièrement différent. Elle poussa un grognement sauvage, s'équipa de son carquois et de sa hache qui était trop petite à son goût, puis elle dévala les marches et fonça à l'extérieur.
L'air glaciale et le vent immonde la revitalisa. L'énergie soudaine lui monta à la tête et elle se sentit puissante face à la rigueur de la température qui ne l'atteignait pas avec si peu pour la protéger. Elle réprima une soif de sang avec aise, secouant son corps comme pour l'éveiller.
Une nouvelle couche de neige parsemait le sol. La pureté était presque aveuglante. Il n'y avait que du blanc partout. Yejyn cligna des yeux et attendit que sa vision s'ajuste. Les trolls fonctionnaient un peu mieux durant la nuit et cela ne semblait pas avoir changer chez elle. C'était toutefois une situation idéale pour traquer une proie. Il y aurait sûrement des traces fraiches, faciles à suivre et il avait cessé de tempêter donc elle n'aurait aucune difficulté à les repérer.
Avec un petit sourire satisfait, elle s'enfonça dans la forêt pour la plupart dénudée de ses feuilles. Il n'y avait que quelques sapins ici et là qui bloquaient la lumière. À leurs branches étaient suspendus des glaçons scintillants. C'était peut-être une journée algide pour la plupart des Aerindiens, mais elle était parfaite aux yeux de Yejyn.
✦×✦
La sueur aux tempes, son souffle visible au touché de l'hiver, ses muscles surmenés et douloureux, la troll avait enfin été victorieuse. Elle portait vaillamment sur ses épaules la carcasse d'un ours adolescent. Autrefois, une telle tâche aurait été un jeu d'enfant. Malgré tout, aucun elfe ne pourrait porter ce fardeau seul. Elle était quand-même impressionnante malgré sa perte de force.
Quelques pas additionnels... Elle y était presque... au chalet. Il ne fallait pas qu'elle s'écroule sinon elle ne se relèverait pas avec l'ours. Elle prit son temps et se concentra sur sa tâche.
- Ah te voil... Yejyn ! Tu es blessée ! s'écria une voix familière.
Les instincts de la guerrière lui disaient de se débarrasser de la carcasse et de se mettre en position défensive, mais elle n'en avait pas l'énergie. Au lieu, elle s'immobilisa et prit de grandes respirations.
Son visiteur se présenta devant elle bien assez rapidement. Il s'agissait bien sûr de Aylaëna qui était assise à l'entrée de l'habitation. Les yeux écarquillés de l'elfe examinèrent le corps de la gaillarde.
- Tu portes cet ours comme une championne ce qui ne devrait pas m'impressionner dans ton cas, mais je suis tout-de-même éblouie. Ton bras...
Elle hésita, avançant sa main en direction du membre sanglant. Une goute violet tomba sur la neige, corrompant le blanc.
- Tu risques une infection, mentionna la petite elfe. Je ne peux pas guérir avec le mana, mais je peux fermer la plaie avec une aiguille.
- Eh ? fit la troll qui était incertaine de ce qu'Aylaëna lui proposait.
- Dépose l'ours, va à la rivière et nettoie ta plaie comme tu le peux. Je reviens. Je vais te faire des points de suture. Ça aide ! Tu vas voir !
Elle se faufila entre les arbres et se dirigea vers le village dans une course effrénée.
Yejyn n'eut pas la chance de réagir ni de répliquer. Elle poussa un soupire, plus excitée à l'idée de se nourrir que de porter attention à sa blessure. Ne désirant pas provoquer la colère d'Aylaëna, elle décida de suivre ses consignes.
Premièrement, elle déposa la carcasse avec misère près de l'entrée de chalet. C'est lorsqu'elle reprit sa position naturelle qu'elle remarqua une miche de pain à côté d'elle, là sur les escaliers. La réalisation que l'elfe lui avait emporter de la nourriture lui monta que lentement à la tête.
- Pour moi ?
Ce n'était pas de la viande, mais c'était possiblement comestible. Oubliant le reste de ses objectifs, elle se laissa mener par le coulis de bave qui renforçait son désir de gloutonnerie. Le pain était trop endurci pour qu'elle le brise aisément. Elle se fit donc une tranche à l'aide de sa hache qui était parsemé de sang cramoisi et partiellement sec. Elle mâcha avec une grimace au visage, n'appréciant pas tellement le goût.
- Pouahh grwerruur, grogna-t-elle, mécontente.
Elle secoua la tête comme pour se débarrasser de l'arrière-goût. Elle n'aimait pas le pain. Peut-être était-elle toujours carnivore comme les autres trolls. Elle s'assit tout simplement et inspecta la miche de pain de plus près, intriguée car elle savait que les elfes en consommaient souvent.
Un long moment plus tard, elle s'amusait à passer des morceaux de pain entre ses six doigts. Ses mains étaient gênantes et pas gracieuses. Elle manquait souvent de souplesse pour atteindre ses buts grandioses. Déçue, elle pouffa, en rogne.
Un petit rire la fit sursauter. Elle attrapa ses jouets improvisés de justesse.
- Les enfants s'amusent souvent ainsi, mais avec des billes, expliqua Aylaëna.
La jeune elfe lunaire se tenait là, son dos accoté contre un arbre nu. Toute son attention était fixée sur la colosse dont le visage s'empourpra à l'idée qu'elle agissait comme une enfant. Depuis comment longtemps était-elle là ? Elle avait tendance à être silencieuse ce qui n'était pas surprenant de la part d'un elfe. Aux yeux de la guerrière, le peuple elfique rappelait à des écureuils : légers sur pieds, agiles et gracieux.
- Trois doigts n'est pas le plus commode, dit-elle en tentant un sourire pour se détendre.
Elle était fière, même un peu trop. C'était le résultat d'années d'entraînement brutaux et d'attentes immoraux. Mais elle désirait se rapprocher des elfes. Elle appréciait leur mode de vie, leur culture, mais particulièrement leur civilité. Toute cette découverte, grâce à sa nouvelle intelligence, lui donnait envie de partir explorer le monde.
Elle désirait devenir le garde d'Aylaëna durant ses voyages, mais elle n'osait pas lui mentionner. C'était un risque de perdre le peu qu'elle avait gagné.
- Tu as aimé le pain au moins ? demanda la mage novice avec douceur.
Yejyn hésita, ne désirant pas effrayer sa nouvelle amie. Elle était incertaine de si Aylaëna était au courant que les trolls étaient carnivores, mais elle doutait qu'elle ne l'était pas. Elle cherchait sûrement à savoir si la transformation avait changé cela.
- J'ai essayé, avoua la troll.
- C'était bien ce que je craignais. Milles pardons.
Elle baissa son regard turquoise et son beau visage fut partiellement dissimulé par ses cheveux blancs. Sa chevelure était si brillante, si longue, si parfaitement ordonnée qu'on aurait dit une princesse. Ce genre de beauté naturel était commun chez les elfes. Ce n'était rien d'extraordinaire. Et pourtant, cette vision enchantait Yejyn à chaque fois qu'elle en rencontrait un. Enfin, depuis sa transformation. Avant, elle ne remarquait même pas.
Comme pour ajouter un peu d'originalité au tout, Aylaëna agrippa une petite mèche vers l'avant de sa tête et la tressa. C'était mignon, mais ce qui intriguait la gaillarde était les traces de noir autour de ses yeux. Portait-elle de la peinture de guerre ? Si c'était le cas, elle en faisait un usage étrange. Autour de son cou reposait un collier délicat duquel une lune en argent était suspendue. Peut-être était-ce l'emblème de son clan.
Le ventre de Yejyn lâcha un rugissement. La faim n'allait décidément pas lui accorder de répit pour socialiser. Grimaçant, la chasseresse se tourna vers sa proie décédée, évitant soigneusement le regard d'Aylaëna.
- Oh ! Puis-je t'observer ? requêta la mage avec intérêt. Nous sommes plutôt végétariens et je n'ai jamais eu la chance de regarder quelqu'un dépecer un animal.
- C'est salissant, avertit la troll. Pas très...
Elle chercha le mot à utiliser dans cette circonstance et sa rappela d'une mère elfe qui était en colère envers son enfant parce qu'il s'était roulé dans la boue.
- Hygiénique, termina-t-elle. Les trolls ne s'en préoccupent pas.
Malgré son malaise, cette-dernière s'accroupit devant l'ours tombé et se mit à le découper avec la hache qu'elle maniait avec un mouvement maladroit en cause de sa taille trop petite pour sa main.
- Il va falloir te trouver de l'équipement à ta taille, mentionna Aylaëna entre deux bouchées de pain.
Elle était hypnotisée par ce qu'elle voyait, son attention dévouée à la tâche qu'accomplissait Yejyn. Pour cette dernière, préparer un animal pour le manger était une banalité. Autrefois, dans son impatience, elle l'aurait sûrement dévoré sur le champ sans préparation. Elle ne désirait plus être comme tel. Elle se voyait adopter un mélange de plusieurs cultures pour ainsi devenir quelqu'un dont elle serait fière. Elle allait voyager et évoluer, puis, elle pourrait se prouver aux yeux d'autrui et se faire accepter. Son amitié florissante avec Aylaëna n'était que le début de son aventure, mais c'était là une étape importante. Elle forgeait son premier contact avec un autre être.
- Parle-moi un peu de toi, dit-elle à l'elfe lunaire tout en continuant sa tâche.
- Lorsque j'étais une jeune enfant, j'ai été choisis par l'un des plus reconnus mages de notre société pour devenir sa pupille, raconta Aylaëna ouvertement. Mon grand-père me répétait sans cesse que j'avais un destin illuminé devant moi, bénit par les divinités. Je pouvais lancer des sortilèges qu'un enfant de mon âge n'aurait normalement pas pu. Ce n'était pas grandiose, d'après moi. Ce n'était pas quelque chose que j'ai travaillé pour accomplir. C'était facile, naturel. Un accomplissement digne d'une telle louange se mériterait de quelqu'un qui persévère et qui tombe perpétuellement, jusqu'à ce qu'enfin, il réussit.
Yejyn s'était temporairement arrêté pour écouter les sages paroles de son amie. Elle réalisait que même chez les elfes, il y existait des conflits et que les attentes n'étaient pas toujours les mêmes d'un individu à l'autre.
- Les trolls...
Elle hésita, incertaine de si c'était une bonne idée de lui en parler puisque son grand-père avait été dévoré par l'un d'eux. Elle opta pour le silence et se remit à retirer la fourrure de l'ours en donnant des puissants coups avec ses bras.
- Non, non ! Continue. Ça m'intéresse. Sil-te-plaît, supplia Aylaëna avec un regard pétillant.
- Les trolls n'ont pas d'égard pour ce genre de concept, continua la guerrière sombrement. Ils ne voient que le genre et la force physique.
- C'est une culture patriarche. C'est ce que je croyais. C'est pareil pour la race humaine. Nous ne voyons pas vraiment de différence entre homme et femme. Nos femmes ont autant de choix et de privilèges que les hommes. Comment élûtes-vous vos chefs de guerre ? C'est ainsi qu'ils se nomment, pas vrai ?
- Les chefs de guerre sont les plus forts. N'importe quel troll, en autant qu'il soit né du même clan, peut contester leur autorité dans un duel à la mort. Ils sont les plus cruels.
Elle remémora maintes fois où sont ancien chef de guerre la martyrisait et ce malgré qu'elle puisse se défendre assez bien pour se mériter une place parmi les guerriers. Elle était une femelle et elle refusait de s'accoupler. C'était problématique et inacceptable, mais sa persévérance et sa prouesse en combat rendait le chef de guerre mal à l'aise. Il ne pouvait refuser un guerrier compétent, mais il lui rendait la vie difficile.
- C'est barbarique, grommela Aylaëna. Ce n'est pas étonnant qu'on ne puisse jamais négocier avec eux.
- Ils n'ont aucune envie de discuter avec les elfes, confirma Yejyn. Ils font ce qu'ils veulent. Ils sont complètement sauvages.
- Dommage. Nous aurions pu devenir de bons alliés.
- C'est mieux ainsi, grogna la colosse en disloquant une patte avant du corps de l'ours en donnant un coup sec.
- Tu sembles éprouver de la haine envers les tiens, mentionna Aylaëna avec tristesse.
- Des montagnes de haine. De plus, ces monstres ne sont plus vraiment les miens. Je crois que je n'appartiens nulle part.
- Tu as une amie, au moins.
Ces mots apportèrent une vague de chaleur au cœur de la troll qui resta immobilisé par ces émotions fortes. Un picotement à l'œil droit la dérangea et elle l'essuya avec sa grosse main. Étrangement, cette-dernière était légèrement trempe. Confuse, Yejyn cligna à quelques reprises.
- Qui a-t-il ? demanda Aylaëna.
- Pourquoi ? Mes yeux... ?
- Tu n'as jamais pleuré, réalisa la mage sous le choc.
- C'est cela pleurer ? Ce n'est pas si apeurant que les elfes le prétendent.
- Oh, mais attention ! Tu peux pleurer en cause de la tristesse ou en cause du bonheur.
Yejyn se tourna vers elle et sourit tant bien que mal en ignorant l'inconfort que lui apportait ses défenses.
- Merci pour être mon amie.
- Ce n'est rien, mais en tant qu'amie, je me dois de te gronder pour ne pas avoir nettoyer ta plaie ! Comment ai-je pu oublier ? Tu ne te lamentes pas et tu endures une blessure si profonde !
Elle se précipita vers la troll et examina son bras qui avait cesser de dégouliner du sang il y avait un bon moment. Elle en sortit de sa poche une aiguille avec un fil. Sans se préoccupée d'une réaction, elle se mit au travail.
- Points de sutures... Ici et là... Là...
Yejyn retint un mouvement de recul au contact physique avec cette fille. Normalement, un contact physique était synonyme avec combat ou punition, mais pas dans cas-ci. On s'occupait véritablement d'elle, de son bien-être et pour cela, elle lui accorda toute sa confiance.
✦×✦
Durant la soirée, Yejyn et Aylaëna utilisèrent la fourrure de l'ours pour créer des morceaux d'armure rudimentaires pour la troll : des épaulières, des bottes et des avant-gardes de bras et de jambes. La guerrière dévora la plupart du repas puisque sa compagnonne n'aimait pas trop le goût de la viande, mais elle s'était tout-de-même permis d'essayer, un peu comme Yejyn l'avait fait avec le pain.
Elles bâtirent un feu de camp à la tombée de la nuit et continuèrent de jacasser. Aylaëna appliquait des herbes aux propriétés curatives sur la plaie de son amie de temps en temps. La troll ne s'en lassait pas. Elle adorait l'attention positive ce qui était tout nouveau pour elle. En même temps, elle apprenait à socialiser et à ne pas craindre une autre personne.
Lorsque la lune fut haute dans le ciel, brillant de son beau bleu calmant, l'elfe bailla enfin, signe que son corps n'avait plus tellement d'énergie.
- Tu peux dormir ici où retourner chez toi, proposa Yejyn en tirant une branche dans le feu dansant. Mais les prédateurs sont vigilants la nuit...
- Je ne sa...
- Aylaëna ! hurla une voix masculine qui semblait s'approcher. Ayl ! Où es-tu ?
La troll réagit hostilement, pouffant en se relevant, hache en main. Elle scruta la noirceur à la recherche de l'intru et émit des grognements de temps à autre.
- Cache-toi ! ordonna Aylaëna avec une autorité surprenante venant d'une si paisible personne. Il n'arrivera rien de mal s'il ne te voit pas.
Trop tard. La guerrière repéra une silhouette humanoïde qui était à proximité et poussa un cri d'intimidation.
Le nouveau venu figea et tourna son attention vers Yejyn. Il se mit à trembler doucement à la vue de la robustesse de qui semblait être son nouvel ennemi. Il tourna les talons, prêt à s'enfuir. Au même instant, les muscles de la guerrière serrèrent, indiquant qu'elle se préparait à le poursuivre.
- Non ! supplia la jeune mage, agrippant le bras de son amie.
Encore une fois, l'intru s'immobilisa.
- Aylaëna ? appela-t-il dans la noirceur. C'est Talnen. Tu es en sécurité ? Qui es avec toi ? Cette personne est bien trop grande pour être un elfe. Ça m'inquiète.
Bien sûr, il avait reconnu la voix. Il hésita à maintes reprises, mais il approcha avec prudence, ne lâchant pas la colosse des yeux.
- C'est mon frère, expliqua Aylaëna avec nervosité. Il n'y a rien à craindre. Il ne doit pas être armé.
- Frère ? Pas d'arme ? s'étonna Yejyn. J'en doutes. Ça serait un suicide de se promener ainsi la nuit, particulièrement seul. Tout le monde, même les enfants, savent cela.
- Ce n'est pas dans notre culture. Je te l'assure ! Ma famille est composée, pour la plupart, de simples fermiers. Nous ne sommes pas des guerriers.
La troll poussa un grognement, incertaine que ces arguments soient assez pour qu'elle relaxe. Elle laissa le dénommé Talnen les rejoindre. Il semblait aussi nerveux qu'un lièvre devant un loup. Ses yeux écarquillés n'osaient pas regarder ceux de sa sœur.
- J-je t'en prie, ne fait pas de mal à Aylaëna, supplia-t-il en levant les bras pour démontrer qu'il n'avait pas de viles intentions.
Yejyn voulut s'avancer pour renifler Talnen, mais une faible force tirait son bras vers l'arrière. La mage secoua la tête négativement et se cramponna au membre musclé de sa compagnonne. La gaillarde pouffa des narines un peu comme un sanglier insatisfait, mais elle se plia à la demande d'Aylaëna.
- Nous sommes amis, lâcha-t-elle tout simplement.
- Q-quoi ? s'exclama Talnen d'une voix tremblante. Mais... t-tu es un -
- Quelque chose d'unique, termina Aylaëna avec un sourire innocent. N'est-ce pas Talnen ?
Ce dernier hocha lentement de la tête.
- Humph, grommela la troll, peu impressionné. Et toi, tu es un frère. Est-ce dangereux ? Qu'est-ce c'est ?
Talnen fronça les sourcils, semblant confus. Sa réponse ne venait pas. Yejyn, au bout de sa patience, poussa un grognement d'avertissement. Elle voyait où Aylaëna voulait en venir en l'empêchant d'attaquer. Il fallait qu'elle soit plus patiente, plus civilisé et surtout, plus approchable. Il fallait qu'elle en apprenne d'avantage du peuple elfique. Pour l'instant, elle se contentait d'intimider le gamin. Enfin, à ses yeux, tous les elfes avaient l'air d'enfants. Ils étaient si petits et frêles.
- Tu te souviens de l'explication pour mon grand-père ? questionna Aylaëna.
- Oui, répliqua la troll avec le plus de douceur qu'elle puisse rassembler dans son irritation. Je me souviens.
- Un frère est aussi un membre d'une famille. Il est né des mêmes parents que moi. Tu vois ?
- Vous êtes donc... proches ? devina Yejyn avec incertitude.
- On se fait confiance.
Sans un mot de plus, la colosse glissa son bras hors de l'emprise de son interlocutrice et s'assit près du feu de camp. Elle accepta ce risque pour renforcir son lien avec Aylaëna, mais elle n'était pas à l'aise avec Telnan et elle ne comprenait pas pourquoi. Pourtant, le jeune homme n'avait rien fait d'hostile. Elle grimaça, en conflit avec ses propres sentiments.
- Rentrons à la maison, proposa Telnan à sa sœur. Père et mère sont inquiets. Ce n'est pas dans tes habites d'errer si tardivement.
- Il a raison, dit Yejyn, le regard plonger dans les flammes voraces. Ce n'est pas prudent de se promener dans une telle noirceur seule.
- Mais je ne suis pas seule, insista la mage avec une défiance presqu'adorable. De plus, je ne pourrais pas être en meilleur présence qu'avec toi. Tu es si puissante et endurcis.
À cette réplique, plusieurs souvenirs désagréables se déchainèrent dans l'esprit de la troll. Elle remémorera les maintes fois où elle s'était fait massacrer par les trolls mâles. Même sa force originale n'en venait pas toujours à bout. À présent, elle ne pouvait rien contre eux.
- Je ne suis pas ce que j'étais, soupira-t-elle.
- J'ai confiance en ta force et surtout, en ta ruse, répliqua la petite mage en posant sa main droite sur celle de sa nouvelle amie.
Yejyn instinctivement baisa les yeux, incertaine de comprendre le geste d'Aylaëna. Elle remarqua que sur sa peau délicate et légèrement bleutée, on y voyait un symbole fané. Elle ne pouvait distinguer ce que c'était exactement, mais il s'agissait de formes géométriques complexes. Il ne s'agissait pas d'un tatouage; de cela, elle en était certaine. Elle renifla subtilement et reconnut aisément l'odeur si craint de son peuple : celle du mana.
- Je ne comprends pas, dit-elle en levant la tête, ignorant de qu'elle venait de découvrir.
- Tu es bien plus intelligente qu'eux maintenant, insista l'adolescente.
- Et ça change quoi ? L'intelligence ne cause pas de dommage. Penser en combat te fait hésiter. C'est une faiblesse.
- Voilà l'une de tes plus grandes erreurs ! En face d'un ennemi plus fort physiquement que soit, on se doit se penser stratégiquement pour le vaincre. C'est important de connaitre les forces et les faiblesses. Plus que n'importe quel elfe, tu possèdes ce savoir vis-à-vis des trolls.
- Je crois comprendre.
Un toussotement attira l'attention des deux femmes. Telnan se tenait là, devant elles, avec un sourire jaune aux lèvres.
- Tu m'accordes un moment, ma chère sœur ?
- Bien sûr, accepta Aylaëna.
Elle se vira vers la troll.
- Je reviens après. Ce ne sera pas bien long.
Yejyn les observa s'éloigner sans anxiété. Elle était en paix avec cette pensée. Peut-être n'allaient-ils jamais revenir. Si c'était le cas, elle savait qu'elle devait partir sans tarder. Elle s'y prépara mentalement, ne désirant pas risquer sa vie insensément. Elle était déterminée de trouver un sens à sa raison d'être, ce avec ou sans Aylaëna et cela lui apportait beaucoup d'espoir. Dans tous les cas, elle appréciait déjà la petite mage. Si elle pouvait rester près d'elle, pour le moment, elle le ferait. Elle lui en devait déjà beaucoup. Elle effleura son bras blessé où les points de sutures reposaient.
Sa trainée de pensées fut interrompue brutalement par des paroles incompréhensibles dont le ton était colérique. Ils provenaient de la direction des deux elfes. Yejyn se leva puis, elle s'équipa de sa hache, déjà prête à frapper. Elle s'approcha dans une course déchainée.
Lorsqu'elle fut assez proche pour comprendre les paroles, elle ralentit et opta pour la subtilité, prenant le conseil d'Aylaëna au sérieux. Une stratégie allait mieux fonctionner que de se ruée et tuer impulsivement.
- Tu es complètement folle ! s'écria Telnan. Tu ne te rends pas comptes du danger qu'elle pose au village et spécialement à toi !
Yejyn grogna faiblement, incapable de se retenir.
- Elle n'est pas dangereuse, insista Aylaëna. Donne-lui une chance. Ne la reporte pas.
- En autant que tu ne vas plus la voir seule. C'est une condition non-négociable.
- Entendu, mais mon accompagnement ne sera pas toi. Tu es un sale raciste et je ne te fais pas confiance en ce qui concerne Yejyn.
- C'est une troll !
- Et elle n'est pas comme eux. Plus maintenant. De toute façon, je suis certaine qu'un troll normal pourrait être amical dans de bonnes circonstances.
Ces paroles rassurèrent Yejyn et elle s'immobilisa, incertaine de si elle devait rebrousser le chemin ou pas.
- Tu parles des créatures qui ont enlevé la vie à grand-père ! vociféra Telnan. Qu'est-ce que me chantes ?
La troll se sentit légèrement nerveuse à nouveau et s'approcha un peu au cas où les choses tourneraient au pire.
- Ce ne sera pas toi qui va m'accompagner, répéta la mage avec sévérité. Je ne manquerai pas à ma parole. Fait en autant de ton côté, frère.
- Pffft. Soit ! Maintenant, rentrons à la maison.
Lorsque les deux adolescents se tournèrent, ils furent face à face avec l'intimidante troll qui les dépassaient d'une tête dans le cas de Telnan et de deux dans celui d'Aylaëna. Même lorsque son corps était au repos, ses muscles bien définies saillaient assez pour qu'on n'ait aucun doute de sa force physique.
Le garçon blêmit, passant de bleutée à quasiment blanc puis, au verdâtre. Ses lèvres tressaillirent et ses jambes instables réussirent à reculer de quelques pas.
- Je voulais m'assurer que tu ne frappes pas Aylaëna, grogna Yejyn en fixant directement Telnan avec mécontentement.
- Cette possibilité ne m-m'a jamais croisé l'esprit, répliqua Telnan avec une incertitude qui disparut rapidement. Je suis son frère, voyons ! Je ne commettrais jamais une action si barbaresque !
- Frère n'est qu'un titre que certaines cultures utilisent, mais en vérité, cela ne veut rien dire de plus que cela : vous avez les mêmes parents, expliqua la colosse en utilisant la voix la plus profonde et intimidante qu'elle le pouvait.
- Rentrons Ayl !
Il prit sa sœur par le bras et la traîna avec lui en direction du village. Cette-dernière vira sa tête pour s'adresser à son amie :
- Bonne réplique ! Tu vois que tu peux résoudre tes problèmes sans violence physique ! C'est à cela que sert l'intelligence ! On se reverra bientôt ! Ne t'inquiète pas pour moi !
Yejyn les laissa partir, mais elle resta là, immobile pendant longtemps. Elle tenta de comprendre le sentiment chaleureux qui était naquit au fond d'elle-même. Après une longue réflexion, elle réalisa qu'elle était tout simplement fière de son accomplissement. Elle avait adopté une tactique elfique, lui prouvant qu'elle était plus qu'une simple troll.
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