28 - Grand Totem

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32e jour de la saison de la lune 2449 - PDV Serfantor

Serfantor digérait difficilement la tâche qu'il devait accomplir dans les prochaines heures. Seize ans célébrait-elle assurément. Le jour de naissance de cette chère amie marquerait possiblement le début de l'ascension d'une alliance qui pourrait potentiellement grandement lui nuire. Le cœur du prince chagrinait, mais son visage resta impassible.

À dos de Shalith qui maintenait une vitesse similaire à celle des multiples troxx qui portaient chacun l'une de ses campagnes, il fixait l'horizon drapé dans une noirceur en permanence et ce malgré l'heure matinale. Le groupe approchait du point de rencontre auquel sa dévotion sera mise à l'épreuve. Il était entouré des soldats les plus mortels sous les ordres de la reine, de l'Archimage Seveth qui était à la tête des manipulateurs de mana de Gosform ainsi que de Haute-Prêtresse Lizria, la représentante de l'Ordre de la Dague Ombrée, un culte de fanatiques dévoué à Noktow et Èlskaëve.

La compagnie qui l'entourait le rendait nerveux. Il était conscient qu'il était surveillé de près. Sa mère avait publiquement bien réagi à sa soumission volontaire, mais il doutait qu'elle lui faisait confiance après tous ses efforts à lui résister. Il lui fallait rester sage jusqu'à ce que ce doute s'évapore avant d'oser des stratégies plus audacieuses. Elle attendait probablement qu'il fasse son prochain faux pas pour le punir sévèrement.

Une corne de guerre résonna au sud, signe qu'il approchait de leur destination : Umeirin, la deuxième ville la plus développée de Gosform. Elle était traversée de la route du Firmament qui relie Norkux à la Croisée des Chemins dans une grande courbe en passant près du territoire des Gardiens d'Aerinda incluant Atgoren et Agmeath. Heureusement, ils n'avaient pas à se rendre si loin. D'habitude, lorsqu'il empruntait cette route, Serfantor se rendait à l'académie d'Archlan, mais pas cette fois. Malgré l'arrière-goût armer qui lui restait coincé dans sa bouche lorsqu'il songeait à cet endroit, il chérissait les bons moments passés baignés dans les amitiés qu'il s'était forgé durant son séjour là. Ses lèvres s'étirèrent en un sourire en coin en imaginant les bêtises qu'Azéna et Tyrath devaient faire subir à ses proches en cette journée spéciale.

— Quelque chose vous amuse, mon prince ? questionna Lizria qui l'avait flanqué à sa droite.

Le troxx aux écailles sombres qu'elle montait accéléra le pas seulement pour se faire corriger d'un coup sec des rênes qui le reliait aux mains de sa cavalière. Il secoua la tête et poussa un sifflement mécontent en obtempérant.

— Que j'ai été dragonnier, avoua-t-il en souriant un peu plus largement et naturellement.

— Vous l'êtes toujours, déclara la prêtresse de Noktow avec confiance.

Elle était sérieuse dans son compliment, ignorant la réaction semi-horrifié de son interlocuteur. Elle attendit qu'il retrouve son sang-froid avant de changer de sujet :

— Je me demande...

Sa voix traîna, n'achevant pas sa phrase. Elle zieuta l'adolescent, une flammèche d'intérêt dans son regard trompeur.

— Vous vous demandez quoi, Haute-Prêtresse ? interrogea le prince en gardant ses yeux sur la route, ne lui accordant pas la moindre attention personnelle.

Elle s'apprêta à répliquer, mais elle marqua une pause avant de se reprendre :

— Qu'est-ce qui vous motive à obéir à la reine si soudainement ? Après tout, vous êtes reconnus parmi nos rangs comme étant... difficile. Y aurait-il une autre raison cachée derrière ce cœur brisé ?

Elle semblait en savoir amplement à propos de sa situation, trop même. Évidemment, la reine devait lui avoir partagé des détails. Il était surveillé et de ce soupçon, il refusait de se défaire. Il serra sa mâchoire, légèrement irrité de l'intrusion. Il ne pouvait pas lui révéler ses véritables motivations, mais il lui fallait aussi une explication vraisemblable. Il opta donc pour une simple modification de son état d'esprit antérieur à la découverte de son nouvel espoir pour son peuple : de les libérer de leur propre tyrannie et de les aider à regagner leur honneur.

— Shalith est essentiellement décédée. Elle n'est, comme vous devez le savoir, qu'un corps sans âme. J'ai perdu mes amis qui sont loyaux à l'homme qui désire me tuer. Je n'ais plus rien. C'était soit me rebâtir à zéro, bien que ce n'est pas l'idéal, ou le suicide, termina-t-il en s'efforçant de laisser paraitre un peu de désespération dans sa voix.

— Noktow est fier de son fils, rassura Lizria avec un petit sourire en coin sympathique.

— Comment pouvez-vous le savoir ?

— Je le sens dans mes veines, dans mes os, dans mes muscles, dans mon être...

Le jeune Diramin ne pouvait pas discerner vérité de mensonge donc il écarquilla les yeux et hocha doucement la tête.

— Je dois m'avouer abasourdit que Son Ombre te pardonne si aisément, continua la religieuse.

— Elle est hantée par une soif de pouvoir qui l'influence profondément, commenta le prince. C'est évident. Je refuse de croire que vous n'avez pas remarqué.

— Perspicace le jeune homme, ricana-t-elle en éperonnant sa monture pour s'avancer à la tête du petit groupe.

Enfin, elle s'était lassée de lui. Il ne devait pas lui avoir fourni l'information qu'elle espérait. Il retint un soupir, congédia à contre-cœur l'éclat doré qui s'était manifesté dans son esprit et se concentra sur son devoir : aidé à la formation d'une alliance avec de chefs pour soutenir l'armée de sa mère. Un jour, il souhaitait, que ce soit son tour d'être en position de pouvoir.

Shalith s'énerva soudainement. Elle poussa un grognement sourd et s'approcha de la Heaume Noire la plus proche. Serfantor savait ce qui se passait : elle avait faim et incapable d'agir autrement que de suivre ses instincts, elle avait pris action. La guerrière faillit se faire happer par les mâchoires à moitié pourries de la dragonne. Son cavalier l'arrêta de justesse en tirant sur ses rênes.

— Oh Shalith !

Il se vira vers les autres guerriers qui fixaient la dragonne avec un mélange d'inquiétude et de mépris.

— Vite avant qu'elle recommence ! trancha-t-il. Qu'on lui emporte de la viande !

Il réussit à la contrôler jusqu'à qu'on lui présente le cadavre infect d'un cerf. Alors qu'elle le dévora avec voracité sans se préoccuper de la fraicheur de sa nourriture, son entourage l'observa avec attention. De tous, seul Serfantor parut mécontent de la situation. Il évita de croiser les yeux reptiliens de sa monture dont la couleur des pupilles était anormalement mate – un signe de la mort.

Le groupe dut attendre que Shalith eut terminé son repas pour continuer à avancer. Le reste du chemin, elle de causa aucun autre problème.

Enfin, les portes d'Umeirin furent ouverts aux voyageurs. À la vue d'un dragon, du prince, de l'Archimage et de la Haute-Prêtresse ce ne fut pas difficile de convaincre les gardes de les laisser passer.

— La sécurité d'Umeirin semble solide, commenta Seveth au capitaine de la garde locale.

Cette-dernière portait une sombre armure de maille renforcé, une lance à son dos et une longue cape doublé décoré de l'emblème de la maison dominante de la cité en son centre. Umeirin était gouverné par la famille Athorion, un fervent vassal des Diramin qui leur avait grandement aidé à renverser la maison qui était en pouvoir avant eux. Par la suite, pour s'assurer de ne pas se faire trahir, la nouvelle reine leur avait offert Umeirin à régner, les gardant ainsi à part. Les Athorion étaient autant redoutables que sournois comme l'avertissait la panthère noire sifflante qui les représentait. Leurs bannières au champ gris ondulaient fièrement au sommet des trois tours de la forteresse aux murs si épaisses qu'un bélier ne pourrait jamais défoncer.

— Comme toujours Archimage, assura la capitaine en lui offrant une brève révérence.

— C'est excellent, mais redoublé d'efforts, ordonna la mage.

— Bien sûr Archimage, mais puis-je demander un peu plus de contexte ?

— Vous le saurez bien assez tôt.

Sur ces mots, elle se dirigea, entouré de quatre Heaume Noires, vers l'étable pour y laisser son troxx le temps de sa visite. Le reste du groupe l'imita. Il fut décidé que Shalith resterait dans l'enceinte du château où elle écrasa les jardins de champignons exotiques de Dame Lotharie Athorion, suzeraine courante d'Umeirin.

Les visiteurs furent accueillis chaleureusement par cette-dernière et ses serviteurs à leur arrivé. Qu'elle fût seule à représenter sa famille était étrange, même quelque peu alarmant car une famille de si grande importance se doit d'obtenir une héritière dans les plus brefs délais au cas de désastre. Était-elle réellement célibataire à dessein ?

Ils furent guidés à une immense salle au centre de la demeure dans laquelle reposait une table en marbre brûlé rectangulaire qui aurait pu aisément satisfaire une troupe de trente. Des bannières d'Athorion et de Diramin décoraient les murs de pierres humides. Les assiettes étaient déjà préparées, mais aucune nourriture et breuvages mis à part des pichets de vin étaient disponibles.

— Je dois vous avouer que je suis enjouée d'avoir été choisis comme hôte de ces négociations. En honneur de Son Ombre, nous avons sauvés du Sang de Raison spécialement pour une occasion comme celle-ci, mentionna Lotharie en souriant. Servez-vous, servez-vous ! Sinon nos domestiques seront à votre disponibilité.

À cette dernière mention, trois jeunes elfes gris mâles émergèrent des ombres, tous hâves, à la peau gris pâle et portant un collier de servitude. Ils s'empressèrent de se mettre à genoux, de baisser leur avant-corps jusqu'au sol et d'attendre ainsi.

— Levez-vous, ordonna doucement leur maîtresse.

Ils obéirent et se dispersèrent autour de la table, tirant des chaises pour aider les invités à s'asseoir. Serfantor fut le seul à refuser le service, incapable de se sentir confortable avec ces actes. Seveth et Lizria croisèrent son regard, leurs traits légèrement creusés par l'irritation.

— Sans vouloir offenser, puis-je me permettre de vous demander pourquoi Umeirin ? interrogea le prince. D'habitude ce genre de rencontre entre de multiples factions non-alliées se passent en territoire neutre – soit à la Croisée.

Il connaissait déjà la réponse, mais il avait tout-de-même poser la question dans l'espoir de diffuser l'attention sur autre chose.

Entretemps, un serviteur lui versa un verre de Sang de Raisin puis, il passa au Heaume Noire installée à sa droite.

— La Grande Croisée des Chemins est surveillée par ces satanés Gardiens d'Aerinda et ce même s'ils n'ont pas le droit de perturber quoique ce soit, grogna Seveth. Aussi il nous faudrait passer trop près de leur base. C'est trop dangereux donc nous avons invités nos – je l'espère – futurs amis ici. C'est le plus près de la Croisée que nous pouvons atteindre... pour l'instant, termina-t-elle avec un rictus malfaisant aux lèvres.

Elle sirota le vin aux allures sanguines et remercia Lotharie avec une attention particulière : un sourire qui suggérait un intérêt luxueux. Bien sûr, cela ne surprenait nullement Serfantor. Les femmes elfes grises importantes aimaient souvent s'engager dans des activités physiques avec le statut social plus que l'individu comme tel. L'homosexualité sévissait dans cette société, mais non en cause de l'attraction et elle était en aucun cas acceptée romantiquement, rendant l'accouplement impossible.

Lotharie, de son côté, fit semblant de ne pas avoir aperçu les avances non-verbales de Seveth en détournant son attention vers l'un des serviteurs.

— Attend le reste de nos visiteurs à l'entrée ! déclara-t-elle impérieusement.

Alors que le pauvre soumis s'exécuta en silence, la porte s'ouvrit brutalement comme si une tempête s'était permise d'entrée. De l'autre côté, un grand homme barbu se tenait fièrement, les épaules larges et une expression sévère au visage. Contrairement aux petits serviteurs maltraités, cet elfe était clairement entraîné pour le combat, bien nourris et sa parure, quoique rude en apparence, suait l'autorité.

Serfantor le reconnut immédiatement dû aux descriptions que lui avait fourni Azéna : Erurawin le Pestilent.

Le nouveau venu était arrivé en solitaire. On pouvait distinguer sa confiance dans chacun de ses pas lourds – il devait peser le double de Serfantor en muscles. C'était choquant de savoir qu'un elfe si grand et costaud existait – ce peuple qui était naturellement svelte et agile. On aurait dit qu'il était à demi-bête : poilu, à l'ossature solide et la cerise sur le gâteau : une paire de ramures de cerf saillaient de son front. On ne l'avait pas désarmé ce qui effarouchait davantage Serfantor. Il paraissait sauvage avec sa pelisse, ses bottes en cuir et ses gants équipées de griffes en fer. Les mots d'Azéna n'avait pas manqué à leur honneur. Elle avait insisté que le chaman faisait deux fois la taille d'un homme adulte et cela était malheureusement vrai.

— Sa pauvre femme, murmura la Heaume Noire à côté du prince.

L'elfe sylvain ne semblait pas l'avoir entendu. Il s'installa à la table, se laissant presque tomber sur sa chaise qui était, heureusement sinon elle s'écroulerait sûrement sous son poids, en métal.

— Grand chaman Erurawin ! Bienvenu à Umeirin ! s'exclama gaiement Lotharie.

Son interlocuteur l'ignora en retirant ses gants pour les déposer sur la table près de lui.

— Nous avons du Sang de Raisin – le vin favoris de la Reine Jassaya, continua l'hôtesse. Si vous désirez...

Elle fut interrompue par un grognement animalesque. Le colosse fixait Seveth avec une intensité intimidante comme s'il cherchait à lui communiquer un message, mais il garda son silence.

Quelques instants passèrent durant lequel chacun n'osa que respirer. Seule l'Archimage paraissait à son aise, inaffectée par l'attention que l'elfe sylvain lui accordait.

— Dame Lotharie, vos deux derniers invités sont arrivés : le Roi Rouge Maroth du royaume de Dètmor accompagné du Seigneur de Guerre du Sang du Dragon Thaïnan, annonça un serviteur qui ouvrit la porte.

Côte à côte, trois humains s'avancèrent dans la pièce dont deux chefs et un soldat. La paire de chefs ne pouvaient pas être plus différents l'un de l'autre. L'un était svelte à la complexion maladive, portait un surcot cramoisi, une ceinture en cuir incruster de rubis, une cape en soie noire et enfin, une couronne dorée avec un joyau rouge en son centre en forme de tête de loup. Ce dernier se tenait droit et son allure était propre. L'autre ressemblait à Erurawin s'il avait été humain, si on omettait les ramures et si on lui donnait une grandeur réaliste, mais tout-de-même frappante. Son arme de choix était une immense hache de guerre qu'il devait porter à deux mains lorsqu'il la maniait.

— Bienvenu à Umeirin messires, souhaita Lotharie aux arrivants.

Celle-ci communiquait maintenant dans la langue commune, probablement afin de s'assurer que tous la comprenaient. Ses mouvements gracieux complimentaient bien sa robe qui portait les couleurs de sa maison. Contrairement à bien des membres de la royauté et de la noblesse au travers d'Aerinda, elle ne se s'était pas encombrée de bijoux et d'accessoires. Sa simplicité, aussi retrouvé dans sa longue chevelure en vrac, supportait sa beauté naturelle, lui accordant ainsi son propre charme unique.

— Vous êtes ravissante, complimenta Maroth avec un maigre sourire aux lèvres comme s'il ne possédait pas la force pour lui offrir plus. Votre demeure est radieuse et vos sujets semblent vigoureux.

— Tous des fammelettes ! s'esclaffa Thaïnan. Où sont les vrais guerriers ?

À ce commentaire, on pouvait presque distinguer un début de sourire qui illumina subtilement le visage d'Erurawin.

Le duo s'installa à table en face de Serfantor. Leur langage corporel était comme si on plaçait la nuit et le jour côte à côte. Le soldat à ses côtés, Maroth remercia gracieusement le serviteur qui lui offrit un verre de vin et sirota le breuvage. Thaïnan arracha le sien des mains du domestique qui lui prêtait attention et l'avala d'une traite.

— Pouah ! se plaignit le chef de guerre.

Il repoussa celui qui le servait et laissa tomber le verre qui se fracassa sur le sol en pierres froides.

— Vous n'aimez pas le vin Seigneur de Guerre Thaïnan ? demanda Lotharie avec calme.

— Pour les femmes ce truc !

— Mille pardons. C'est ce que nous buvons ici. La prochaine fois, je ferai importer de la bière, peut-être ?

— Mieux ! trancha-t-il en caressant son épaisse barbe tressée.

Lui aussi déposa son arme sur la table en grognant impatiemment. Heureusement que les meubles étaient robustes sinon lui et Erurawin auraient possiblement pu les casser.

L'attention de Serfantor fut attirée au cou du chef de guerre. Là reposait un collier en os duquel était suspendu une canine trop immense pour appartenir à un simple prédateur. Il fronça les sourcils, conscient de ce qu'il fixait et du but du Sang du Dragon. Il ferma les yeux momentanément pour l'aider à maintenir sa sérénité puis, il apporta son regard ailleurs avant d'attirer la colère du tueur de dragon.

— Nous sommes tous présents, annonça Seveth en élevant la voix pour bien se faire entendre. Débutons donc.

Erurawin qui n'avait pas dit un mot depuis son arrivé fut le premier à réagir. Il pointa l'Archimage d'un doigt menaçant et demanda :

— Où est Reine Jassaya ? Nous ne sommes pas assez importants pour qu'elle se déplace, c'est ça ?

La tension dans la salle s'éleva déjà à un niveau dangereux. Thaïnan chuchota quelques mots à Maroth qui demeura impassible. Lotharie grimaça, se tourna vers l'un des domestiques et lui ordonna de dire au cuisinier qu'il était temps de servir les invités. Lizria croisa les doigts et leva le regard comme si elle priait. De son côté, Seveth ne lâcha pas Erurawin des yeux. Elle songeait prudemment à sa réplique et plus elle prenait de temps, plus les traits du chaman s'assombrirent.

— Puis-je... ? questionna Serfantor.

La mage et le chaman simultanément virèrent leur tête en direction du prince et acquiescèrent.

— Reine Jassaya craint pour sa vie comme l'entièreté de son peuple, continua-t-il. Je ne connais pas votre familiarité avec la culture elfe gris, mais je peux vous assurer qu'elle est loin d'être rose et confortable. Si, elle déborde de passion, d'émotions, d'aventure, mais cela vient aussi avec ses désavantages. Nous n'avons pas de stabilité, de sécurité, de protection... Voyez-vous où j'essaie d'en venir ?

— Vous êtes des machines érotiques et tueuses et pas grand-chose de plus, supporta Erurawin avec une touche d'amusement. C'est ce qu'on raconte.

— Je suppose qu'on peut le décrire ainsi, ricana nerveusement le dragonnier. En gros, nous ne savons pas faire confiance, pas mêmes à nos proches.

— C'est parfois une sage décision, intervint Maroth dont le visage était à moitié dissimulé par ses longs doigts entrecroisés. Surtout lorsqu'on est porteur de tant de pouvoirs. C'est connu que nous sommes sujets à devenir victime d'assassinat, de trahison et parfois, d'autodestruction. Mais cela n'excuse pas Reine Jassaya ; je suis autant un monarque qu'elle et je me suis présenté à cette rencontre.

— Ouais ! beugla Thaïnan avec enthousiaste. Comme tous chef de guerre !

— Précisément, approuva Serfantor avec un sourire jaune. Mais la différence est que notre culture est encore plus sauvage et sans pitié que la norme. Ici, c'est dans nos habitudes, même dans nos attentes de se faire poignarder dans le dos tôt ou tard. C'est la cause de mort la plus commune chez nous. Notre compte de régicide est incomparable à celui d'autrui.

Un long moment de réflexion accorda un peu de répit au prince qui sentit le battement de son cœur relaxer tranquillement. Un mot de travers et il pourrait se retrouver avec la mort ou l'emprisonnement comme compagne en permanence.

— Soit ! décida enfin Erurawin en frappant la table d'un poing. Votre peuple est une bande incorrigible d'enfants tenus en rang par la terreur. Ce n'est pas une bonne stratégie pour le long-terme. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas de mes affaires et d'après les rumeurs, vous faites les tueurs les plus grandioses d'Aerinda et ça, c'est atout important en temps de guerre. De plus...

Il se tourna directement vers Serfantor et plongea ses petits yeux dans les siens.

— Vous avez deux dragons à nous offrir si je ne me trompe guère. Il n'y a rien de plus puissant qu'un dragon, mis à part les divinités.

Thaïnan grogna et caressa son collier alors qu'une lueur rageuse traversa ses prunelles. Il n'était clairement pas à l'aise avec un partenariat avec des dragons, mais il ne protesta pas.

— Pardon, vous avez bien dit deux ? questionna le prince avec confusion.

— Toi et ton jeune frère bien sûr, souligna le colosse. Nous avons un dragonnier parmi nos rangs aussi, mais il est présentement à l'académie d'Archlan. Il agit en tant que double agent.

— Umah.

L'elfe sylvain eut un rictus cruel qui déforma son visage momentanément. Il leva les épaules comme s'il n'en savait rien.

— Il y a un plus grand nombre d'agents infiltrés parmi leurs rangs qu'ils ne le croient, mais il nous faut convertir plus d'apprentis. C'est eux qui sont les plus vulnérables. Les Gardiens d'Aerinda sont trop puissants, même pour nous tous alliés.

— Vous désirez Azéna.

— Turion du clan Thraluan, plus précisément, mais techniquement, si. Voilà un vrai Roi Dragon. Nul autre ne le dépasse, même sous sa forme réduite. Il brise la norme de la vie, comme s'il serait la progéniture de Noktow et d'Elysia.

— C'est un peu ça que sont les dragons violets.

— Encore plus dans le cas de Turionthraluan. Connaissant Jassaya, j'imagine que vous avez tenter de le prendre au piège aussi.

Il s'adossa contre sa chaise, optant pour une position plus relaxe.

— Nous avons échoué, grogna Seveth, zieutant brièvement le prince avec colère.

— Cette Azéna, elle est tenace et féroce, mais elle ne connaît pas ses limites, souligna l'elfe sylvain. C'est là que repose sa plus grande faiblesse : la passion et qui de mieux pour s'y connaitre que vous les elfes gris. Songez s'y bien. C'est possible de trouver de nouveaux agents doubles parmi les apprentis, peut-être même au travers des dragonniers accomplis.

À ces mots, Seveth et Lizria sourirent un peu trop au goût de Serfantor qui sentit son cœur tomber.

— Et qui de mieux pour nous conseiller comment nous y prendre, termina le chaman en faisant référence au jeune dragonnier noir.

Voilà un bien grand dilemme pour le Diramin : donner de l'information solide pour se prouver, mais sans pour autant mettre ses amis en danger. C'était là un choix déchirant.

Les doubles portes provenant de l'arrière de la salle s'ouvrirent et comme un torrent dans une rivière, une nuée de domestiques apportèrent à manger aux visiteurs. Il y avait du choix : une dizaine de variations de champignons, de la volaille, du pain, diverses soupes, des tartes, du gâteau et enfin, du fromage cheddar en bloque.

— J'aiderai du mieux que je le peux, dit Serfantor en s'efforçant de paraitre sincère.

— Je ne suis pas certain de ta loyauté, avoua Maroth en se servant une part de cuisse de poulet. Tu étais l'un des leurs et tu as trahis ta famille.

— Reine Jassaya lui accorde une autre chance, trancha Seveth sévèrement. S'il refait la même erreur, nous nous en occuperons personnellement.

— J'espère que ce sera la condamnation au bûcher.

— Nous sommes beaucoup plus créatifs que cela, ricana l'Archimage comme s'ils discutaient de décorations festives.

— Je n'en doute pas.

— Pour en revenir aux présentations –

— Au diable les présentations ! tonna Thaïnan avec impatience. Allons ! Formons cette maudite alliance ! Je suis prêt à accepter combattre à coté de dragonniers pour me joindre à vous. Barrrgggh ! Sacrifices pour du meilleur !

Fourchette à la main, il impala la poitrine de poulet qui reposait sur son assiette avec barbarie et se mit à dévorer tout ce qu'il se mettait sous la main comme un affamé. Franchement, ce manque de manières lui rappelait Azéna et encore une fois, ses pensées s'attardèrent sur la noble dragonnière rouge qui embrasait son cœur. Il s'ennuyait tellement et soudainement, bon dieu qu'il désirait lui faire l'amour. Il se réduit à ignorer son appétit sexuel au travers de la nourriture – lui qui n'avait normalement que peu d'appétit.

— Sages paroles, approuva Maroth.

Thaïnan ignora tous les yeux qui s'étaient posés sur lui et continua de s'alimenter avec ferveur. On aurait dit qu'il avait été famélique, mais considérant sa stature, il devait probablement tout simplement se nourrir davantage que la norme des gens. Ça devait être encore pire pour Erurawin qui était littéralement de taille colossale pour un elfe sylvain.

— D'après votre... enthousiaste si... ardente..., je suppose que vous êtes déjà décider Seigneur de guerre Thaïnan, conclu Seveth en l'observant de haut.

Ce dernier hocha de la tête, la bouche débordante de chair de poulet.

— Et vous, messires ? questionna-t-elle en s'adressant à Erurawin et Maroth.

— Je ne suis pas comme Thaïnan, souligna le Roi Rouge en fronçant les sourcils. Mon royaume est grand et la tâche qu'est de gouverner est ardue. Il nous faut plus de détails, des règles établies et un sens d'où chacun de nous se trouve. Par exemple : nos raisons pour joindre cette alliance potentielle.

— Je me propose pour ouvrir la discussion, déclara Lizria sans hésitation. Je n'ai rien à cacher, mon culte n'a rien à cacher. Je suis à la tête du Culte de la Dague Ombrée. Nous résidons en Norkux et sommes loyaux à la Reine Jassaya, mais par-dessus tout, nous dévouons notre vie à deux divinités particulières : Père Noktow et Èlskaëve la Courtisane.

— Laissez-moi deviner, se permit Erurawin. Vous supportez cette guerre pour soutenir votre souveraine, mais principalement, pour des méfaits religieux.

— Si c'est que Père Noktow désire, c'est ce que nous nous dévouerons à accomplir.

Le chaman noir eut un semblant de toussotement forcé comme s'il s'imposait à ne pas se moquer de la Haute-Prêtresse. Il passa sa grosse main sur son visage comme pour se débarrasser d'une saleté invisible et procéda à son tour :

— Je suis aussi un grand admirateur du Père Sombre, mais je ne le suis pas aveuglément. J'ai mon propre agenda et j'ai à offrir tous les plus redoutables chamans noirs d'Aerinda ainsi que le pouvoir d'un dragonnier.

Tel un prédateur, il se leva de table et d'un pas serein, il contourna la table en sondant chacun des invités.

— Nous pouvons communiquer avec les esprits, les manipulés, les corrompre, les guérir quoique notre spécialité ne réside pas là...

Enfin, il s'arrêta en face de Seveth et la fixa droit dans les yeux.

— J'insiste sur une garantis que mon peuple sera bien représenté et que Reine Jassaya soit d'autorité égal à moi, à Maroth et à Thaïnan. Quant à la Culte de la Dague Ombrée, c'est leur choix je suppose puisqu'ils sont déjà sbires.

— Et comment souhaiteriez-vous que cette représentation soit gérée ?

— En premier lieu, il nous faut un nom de faction ainsi qu'un blason qui nous résonnent avec chacun de nous et de, de façon équilibrée.

— Que proposez-vous, Grand Chaman ? Je suis ouverte aux suggestions.

— Tu n'as pas le choix sinon, je ne serai pas ici, grogna-t-il.

Il fit une pause en semblant se calmer pour ses prochaines paroles :

— Je propose un totem.

Tous les regards posés sur lui parurent incertains comme s'ils attendaient plus de détails. Seveth fut la première à s'impatienter :

— Où voulez-vous en venir, Grand Chaman ? Un totem pourquoi ?

— Un totem est une représentation de multiples facettes, souligna Erurawin. N'est-ce pas ce que nous sommes et ne désirons-nous pas une représentation égale ?

— Cela m'intrigue.

— Parfait car j'avais songé, si tous sont d'accord, à placer l'emblème de Reine Jassaya au sommet puisqu'elle a proposé cette alliance la première, suggéra le colosse avec un sourire flatteur. Notez que cela ne signifie pas que Gosform sera à la tête de cette nouvelle faction. Nous sommes tous des partenaires. En ce qui est du reste, je suggère un tirage.

Le reste des souverains songèrent à cette décision pendant un moment puis, un à un, ils hochèrent la tête.

— Soit ! déclara Erurawin avec enthousiasme. Dame Lotharie, à vous l'honneur, dit-il doucement alors qu'il passa sa main sur le coin de la table dans un mouvement circulaire.

Dans son sillage, quatre pierres inscrites d'une rune y furent déposées côte à côte. Chacune des runes luisaient doucement d'une couleur spécifique.

— Vous aviez songé à tout, commenta Maroth avec un petit rictus au visage.

— J'espérais que mon idée plaise à tous, avoua l'elfe sylvain. J'ai demandé qu'on enchante les runes pour qu'elles représentent chacun de nous. Vert pour les miens, rouge pour le royaume de Dètmor, violet pour le Culte de la Dague Ombrée et enfin, noir pour le Sang du Dragon. Désolé pour cela Thaïnan, mais nous avons deux factions qui portent le rouge. Le noir est une fière couleur à porter aussi. J'espère que cela ne vous insulte pas.

— C'est bon, grogna le chef de guerre. Allez, pige !

Entretemps, Lotharie s'était approché des pierres enchantées et les observaient avec fascination. Erurawin les empoigna toutes et les fourra dans une bourse en cuir. Il secoua son contenu pendant un instant puis, il la tendit vers Lotharie.

— Allez s'y, ma chère.

Serfantor s'en contre-foutait de qui allait recevoir le privilège d'être plus haut sur le futur blason de cette alliance aux idéologies corrompues. Tout de même, il fixait la main de la majestueuse dame glisser dans la bourse avec attention.

L'ordre fut ainsi : la chouette de Gosform au sommet, le loup de Dètmor en second, la dague de rituelle du Culte de la Dague Ombrée en troisième et enfin, le crâne draconique du Sang du Dragon en dernier.

— À bien y songer, cela donnerait un blason bien complexe, mentionna Lizria.

— Et alors ? grogna Thaïnan.

— Le moins de détails il y a, le plus aisé ont reconnaitra le symbole. La simplicité dans ce cas est importante.

— Que proposes-tu ? questionna Seveth.

— Nous pourrions combinés l'emblème des miens avec celui de Thaïnan et ses guerriers.

— Transpercé le crâne de ta dague ! s'exclama le chef de guerre. J'approuve !

Serfantor ne put s'empêcher de grimacer à cette image, songeant à tous les dragons qui avaient et pourraient tombés sous les griffes de ces barbares.

— Mon idée te dérange, petit prince ? grogna Thaïnan en montrant légèrement les dents.

— Pas du tout, mentit le dragonnier. Procédez.

— Tch !

Erurawin fit signe au chef de guerre de se calmer et changea rapidement le sujet :

— Il ne nous manque plus qu'un nom pour cette alliance.

Après un long débat, il en fut conclu que « Légion Ancestrale » représentait fidèlement chaque partie de la faction puisqu'ils suivaient tous les pas de leurs ancêtres à un but précis.

— Le Grand Totem de la Légion Ancestrale ! aboya Thaïnan dans un cri de guerre. Que le sang de ses ennemis coule à flots !

Chacun leva son verre de vin et but en unisson.

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