44 - Partenaires divergents
7e jour de la saison du sapin 2450
Un éclatement vint déchirer le calme de la forêt. Argoshin ouvrit les yeux, lui qui se prélassait adosser contre le tronc solide d'un arbre défeuillé par la température glaciale de l'hiver.
Au loin, deux colonnes de fumée s'élevèrent dans le ciel. Cela était déjà une occurrence étrange, mais le plus alarmant fut leur couleur : l'une argenté, l'autre violette. Les teintes de la Confrérie de Sombrelame.
Le demi-dragon savait qu'il s'agissait d'un signal important et qu'il s'adressait à des sbires de Sombrelame, mais en quel but, cela restait un mystère. Il ne pouvait pas se permettre de l'ignorer. C'était possible qu'Azéna soit en danger. Il n'osait pas la rejoindre, sachant qu'il pourrait aisément se faire capturer par les gardes d'Atgoren. Au lieu, il allait investiguer.
Il n'avait pas la constitution frêle d'un homme, mais pas non plus la rigidité d'un dragon. Un hybride, il tolérait assez bien le froid, mais il avait tout de même besoin de protection contre les éléments autant que de subtilité. Il ajusta son long manteau épais et en rabattit le capuchon sur sa tête. Le matériel se coinça sur sa courte corne ivoire qui saillait de son front, là où sa chevelure ébène débutait. Il poussa un grognement, irrité par la gêne de son physique dans ce linge qui était façonné à l'image d'un humain et non un demi-dragon. Il avait dû obtenir un manteau bien trop grand pour qu'il puisse cacher ses immenses ailes qu'il serrait contre sa taille.
Il agrippa un arc long ainsi qu'un carquois qui étaient étendus près de la literie rudimentaire qui l'aidait à peine à trouver assez de confort pour somnoler. Il leva son regard doré et huma l'air fraiche. Il y sentit assez d'information pour lui confirmer l'évident : la température courante, soit frisquette et ensoleillée. Il grommela, insatisfait des détails et se plia à ses instincts draconiques. Il tira momentanément la langue, goûtant à l'atmosphère et cette fois, il y détecta l'approche d'une tempête hivernale qui allait arrivée dans les prochains jours. Une autre... À chaque fois, il devait se réfugier dans les cavernes et s'y terrer pendant des heures. Il n'aimait pas ça. Ça lui rappelait des temps où il fut chassé pour ce qu'il était. Il préférait largement les zones forestières et, s'il n'y avait pas d'établissement à proximité, les clarières.
Par crainte de se faire démasquer, il n'osa pas perdre son envol, quoique cela lui aurait sauver bien du temps. Ainsi, il délaissa son humble campement et se mit en route, à pieds, vers le signal qui se dissipait doucement. Il ne désirait pas s'en approcher, mais on ne pouvait pas faire confiance aux rebelles. Et puis... c'était dans l'intérêt d'Azéna et de Turion. Il était certain qu'ensemble, ils pouvaient faire une différence en ce monde. Peut-être pourraient-ils même trouver les derniers dragons violets et les aider à reprendre leur rôle de vigiles et de rétablir l'ordre en Aerinda.
Azéna et Turion devaient demeurer neutres, pour le bien de tous. Une entente avec les rebelles n'allait pas le leur permettre, quoi qu'ils promissent. La Légion Ancestrale cherchait juste à abuser de leurs pouvoirs. Le plus triste dans tout ça, c'était qu'elle allait devenir une figure glorifiée pour le Haut-Roi ou pire si elle demeurait avec les Gardiens d'Aerinda. Elle n'allait jamais pouvoir atteindre son vrai potentiel avec eux.
Il avait trop attendu. Il avait espéré la laisser grandir parmi ses pairs aussi longtemps que possible. Il était temps qu'elle sorte de là, mais avant, il devait savoir ce que Sombrelame mijotait. Il allait continuer son jeu de rôle encore un peu plus longtemps.
✦×✦
— Le chef nous a averti de votre venu, informa l'un des soldats qui l'accueillis.
Argoshin eut à peine le temps de se rendre à destination qu'il fut surpris de constater qu'il n'y avait pas de campement dans les environs. Les soldats n'étaient peut-être que des éclaireurs et qu'ils attendaient spécifiquement pour lui. Ils n'avaient aucune autre raison de resté. Celui qui s'adressait à lui portait un habit légèrement plus coloré que le reste, suggérant qu'il était en tête de l'escouade. L'expression faciale du reste du groupe trahissait une certaine gêne vis-à-vis de leur visiteur. Ils portaient tous une armure légère et étaient emmitouflé dans une cape à fourrure. Leurs joues étaient rosées, suggérant qu'ils étaient quand-même inconfortables avec la température. Leur souffle chaud se condensait au contact de l'air froid, formant des petits nuages de vapeur. Ils paraissaient presque tous humains, mis à part deux elfes lunaires à la longue crinière pâle et aux yeux reluisants qui lui rappelaient Azéna.
Au centre se tenait un canon porté par un chariot. Rien n'aurait pu laisser croire qu'ils étaient loyaux à Sombrelame, mais Argoshin avait reconnu leur signal, leurs couleurs.
— Ah vraiment ? questionna-t-il en s'assurant de légèrement révéler ses crocs lorsqu'il prononçait ses mots.
— Oui... heu... Écaille Létale ? balbutie le chef avec incertitude. C'est ainsi qu'on vous surnomme, je crois. Je ne désire pas vous contrarier, assura-t-il en montrant les mains comme pour renforcir son intention paisible.
— C'est bon. Vous ne faites que ce qu'on demande de vous. Je comprends.
Il fit une pause, laissant le temps au soldat de se calmer et que son visage puisse rétablir un peu de couleur.
— Sombrelame n'a pas pu venir lui-même je suppose ?
— Non, confirma son interlocuteur. Mais, je vous implore, n'utilisez pas son nom en territoire ennemi.
— Mhmmph, souffla l'hybride qui s'en foutait complètement de cette consigne, mais qui comprenait son importance. Allez, que veut-il ?
— Ce n'est pas vraiment ce qu'il veut, mais que nous sommes supposés requêter que vous vous teniez à l'écart pour les prochains jours.
— Je peux faire ça, mentit le demi-dragon avec calme qui sentit une méfiance gonfler en lui. Que se passe-t-il donc ?
— Nous passons à l'attaque demain au crépuscule. Vous ne saviez pas ? s'étonna l'homme qui écarquilla les yeux.
— Non. Je n'ai pas été mis au courant, confirma Argoshin en mettant un peu d'effort à maintenir son sang-froid.
Il tourna les talons et retourna à son campement en réfléchissant à ce qu'il allait faire. Azéna n'allait pas venir le voir à temps pour qu'il lui parle. Il était déjà trop tard pour ça. Et c'était sûrement ce que Sombrelame désirait.
Il se décida d'aller à la chasse pour amadouer ses ardeurs, un mélange de la sensibilité émotionnelle qui l'affectait ainsi que de ses instincts de prédateurs qui rugissait famine.
✦×✦
La tombée de la nuit venue, Argoshin savait qu'il ne lui restait qu'un seul jour à agir. Il ne pouvait pas accepter de laisser Azéna dans le noir avec les difficultés à venir. Sombrelame était un homme au cœur tendre et flexible certes, mais il était aussi muni d'une volonté de fer et était déterminé à atteindre ses objectifs, particulièrement lorsque ceux-ci concernaient le bien-être de ceux qu'il chérissait. Quelque soit son plan pour l'invasion de la journée suivante, Azéna était en son centre avec le but secondaire d'affaiblir les troupes les plus puissantes du Haut-Roi, soit en déstabilisant les Gardiens d'Aerinda.
Argoshin devait avouer qu'il agréait avec le deuxième point. Les dragonniers étaient des êtres dont personne ne pouvait rivaliser et leur souverain, Zorn, devenait de plus en plus instable émotionnellement. Ce n'était qu'une question de temps avant qu'il ne convoque les Gardiens d'Aerinda à se rallier sous sa bannière. Pourquoi il ne l'avait pas encore fait étonnait le demi-dragon.
Mais ce n'était pas le moment de ruminer à ce sujet. Il devait sortir Azéna d'Atgoren avant l'invasion. Où allait-il l'emmener par la suite ? Y avait-il un endroit sécuritaire en ces landes ? Peut-être en Nadalé. Personne ne le suspecterait et les interactions de ce royaume avec les autres étaient limités. Les elfes sylvains étaient discrets, préféraient l'isolation en cause de leurs normes jugées extravagantes par autrui. Ils ne reconnaissaient aucune forme d'autorité et repoussaient le conflit provenant des autres royaumes donc, il n'y avait que peu de chances de trahison. Par conséquent, si on se décidait à aller fouiller le territoire, il serait aisé de prendre contrôle et d'obtenir ce qu'ils désiraient. Le pouvoir militaire et l'organisation des Nadaléens était limité. Ils étaient perçus comme primitifs par les yeux de l'extérieur, mais ceux qui avaient pris le temps de se lier d'amitié avec eux savaient bien mieux.
— Nadalé, confirma-t-il pour lui-même. C'est la solution la plus solide... pour le moment.
À quelques lieues d'Atgoren, voilé par la nuit, il avançait à pieds le plus rapidement possible, en espérant qu'on ne le voit pas. C'était folie de tenter de s'infiltrer dans Atgoren, mais il devait essayer.
— Où penses-tu aller comme ça Écaille Létale ? ricana une voix masculine. M'ouais, je sais que c'est toi ! Je ne suis pas dupe !
Argoshin ne se laissa pas distraire. Il continua sa course précipitée. Il se concentra sur son but : les murailles titanesques de la cité des dragonniers et des dragons. Il n'avait besoin que de se rapprocher, utiliser ses griffes pour grimper et éventuellement, se propulser en ouvrant les ailes et espérer qu'un courant d'air assez fort pourrait le soulever convenablement. Il ne pouvait pas faire face à un dragon adulte et il le savait. Il devait s'échapper.
— Hé ! N'ignore pas ton allié ! cracha la même voix.
Une silhouette ailée le suivait de près. Il n'avait pas besoin de regarder pour savoir de qui il s'agissait : Tègolon et son dragon rouge, deux personnages aux caractère susceptible et difficile. Ils n'étaient pas ici sans raison. Ils avaient la charge de s'assurer qu'Argoshin ne se rendait pas à destination.
— Ne me force pas à te réduire en cendres ! beugla-t-il, colérique.
Argoshin continua de l'ignorer, désespéré à atteindre les murailles même s'il savait que ses chances de réussite étaient pratiquement inexistantes depuis que le dragonnier s'était pointé.
Il y était presque. Presque !
Au moment où il posa un pied devant le gigantesque mur de pierre enchanté, il sentit qu'on l'empoigna de derrière par le collet. Il s'arrêta nette, ses pieds ne touchant plus le sol. Il se tortilla comme une souris coincée entre les serres d'un oiseau de proie. Il donna des coups de griffes dans touts les sens. Il libéra ses ailes, brisant son manteau, et les battit furieusement. Le tout en vain. Il ne pouvait pas égaler la force brute d'un dragon.
Il n'aimait vraiment pas utiliser ce pouvoir, mais il était à court de choix. C'était ça ou laisser Azéna se débrouiller seule.
Il ferma les yeux, s'immobilisa et détendis ses muscles. Il paraissait comme un cadavre qui se faisait emporter en direction opposé d'Atgoren.
— Grand-père d'écailles ? appela l'adolescent arrogant.
Il le surnommait ainsi en cause de son âge avancé et ce, même si son physique était encore assez jeune. Argoshin n'avait jamais répondu à ces idioties et il n'était pas près de commencé.
Lorsque son esprit de vida de toute pensée, il commença à bâtir le flux d'énergie spirituelle qui allait le joindre à son agresseur. Tranquillement, un filament violet qui illuminait la noirceur s'étendait, grandissant avec entrain.
— Oh que non ! s'exclama le dragonnier, un peu paniqué.
Une douleur infernale s'acharna sur le crâne d'Argoshin.
— Azé...na, murmura le demi-dragon.
Sa concentration vacilla et ses sens s'éteignirent.
✦×✦
La soirée suivante, il s'éveilla à la lueur descendante des soleils jumeaux attaché par plusieurs cordes à un arbre. Ses mouvements furent restreints et il ne souvenait que des détails flous de la journée précédente. Avait-il bu ? Non. Il ne consommait jamais. Une douleur à sa tête le fit grimacer. Il voulut la caresser et réalisa rapidement que ce n'était pas une option.
— Que se passe-t-il ? marmonna-t-il.
Il leva les yeux et reconnu son campement. Il avait été installé près de son matelas gelé et le feu de camp avait été allumé et dansait glorieusement. À sa droite, assieds sur une buche, un adolescent se nourrissait d'un morceau de cerf un peu trop cuit.
— Tègolon, siffla-t-il avec véhémence.
Le dragonnier en question le fixa et haussa les épaules en avalant.
— Je n'ai pas de dent contre toi, lui assura-t-il. Ce sont les ordres du chef. Il veut s'assurer que tu ne te mettes pas dans ses pattes... bottes... pieds... ? Tu sais ce que je veux dire.
Son compagnon, le dragon rouge aux longues cornes sombres, se délectait sur le reste du cadavre brûlé de l'animal. Il mâchouillait sur un os avec férocité tout en gardant un oeuil sur le prisonnier.
— Alors vous allez me garder ainsi jusqu'à la fin du conflit ? questionna Argoshin qui sentait de la désolation naître en lui.
Évidemment, il ne laissa pas ses sentiments prendre le dessus. Il garda une expression froide et attendit que son esprit se calme.
— Le chef t'aime bien, répliqua Tègolon. Je te l'assure. Sinon... bah, tu serais mort. Mais... il croit que tu es... un peu confus. Alors c'est pour ton bien. Il va venir te voir après que tout s'est terminé. Tu as faim ? poursuivit-il en lui tendant un morceau de cerf.
— Non merci, rogna le demi-dragon, préférant la famine à l'humiliation de devoir se nourrir sans l'utilisation de ses mains.
— C'est comme tu veux. Tu as assez chaud ?
— Ça va Tègolon. Ne te préoccupe pas de moi.
— Bon...
Pendant un long moment, le silence en soit fut un cadeau que l'hybride chérit. Ça et que son capteur n'était pas le plus brillant. Il avait oublié le physique différent de son prisonnier et ainsi, il ne l'avait pas pris en considération.
Argoshin utilisa ses griffes acérées pour subtilement couper la corde qui le retenait. Cela prit longtemps, probablement une vingtaine de minutes, mais il réussit.
Il n'avait que peu de temps avant que les rebelles ne s'infiltrent dans la cité insouciante. Il devait aller chercher Azéna.
Il savait qu'il n'avait aucune chance de vaincre ce gros dragon rouge dans un combat, mais il pouvait se mouvoir dans le ciel bien plus rapidement. Il opta pour l'escapade.
Il se leva d'un bond et sans perdre de temps, il grimpa à l'arbre sur lequel il avait été attaché.
— Q-quoi? s'énerva Tègolon. Bah ! Tuons-le !
Le dragon poussa un rugissement et cracha un mur de feu qui vint calciner l'arbre. Argoshin profita d'une brise violente, sûrement provoqué par ce gigantesque élémentaire d'eau qui venait de se former dans la cité, et s'envola.
— Sombrelame aura ta tête ! aboya le dragonnier qui montait maladroitement sa monture écaillée.
Il était tout simplement trop lent. Argoshin fondit dans les ténèbres et se dirigea à pleine vitesse vers Atgoren.
Une fois à destination, il n'eut aucun problème à s'infiltrer dans la cité. Les gardes s'étaient tous réunis pour repousser l'élémentaire et ne portait plus attention à quoi que ce soit d'autre.
— Azéna, souffla le demi-dragon, tourmenté d'inquiétude.
Son cœur battait la chamade. Il ne connaissait pas bien les lieux. Où pouvait-elle être ? Était-elle encore à l'académie ? Possiblement. Si on l'enfermait. Elle n'était pas du genre à se réfugier d'un combat et franchement, c'était inquiétant.
Il tenta tant bien que mal de dissimuler ses ailes sous son manteau déchiré, mais le vent agressif empêchait son capuchon de rester sur sa tête. Les civils qui ne participaient pas au combat le regardaient de travers, mais heureusement, ils étaient trop préoccupés pour s'en faire. Du coup, Argoshin pu se faufiler d'un endroit à l'autre sans problème tant qu'il évitait les dragonniers.
Lorsque la pluie chaude se mit à marteler la cité et ses habitants, il n'avait toujours pas trouvé de piste d'Azéna. Il opta pour s'arrêter pour se permettre d'analyser la situation. Il se réfugia dans une ruelle étroite surpeuplé de tonneaux. C'était désagréable et il se sentait coincé, mais ici, il faisait sombre et c'était désert. Il goûta à l'atmosphère et y détecta quelque chose d'anormal. Il mit un moment à réaliser ce que c'était.
La pluie... elle était imbibée d'énergie élémentaire. Elle était causée par ce titan aquatique qui, le demi-dragon le soupçonnait, n'avait rien de naturel non plus. Connaissant bien les capacités des dragonniers loyaux à Sombrelame, il pouvait déjà déduire ce qui se passait.
— Une distraction. C'est... Eldarytzan pourrait accomplir un tel exploit, mais ça lui couterait beaucoup de vigueur.
Si sa théorie était vraie et il en était presque assuré, la distraction aurait pour bu d'attirer l'attention loin d'un évènement clé à l'enclanchement de l'attaque. Il était impossible que Sombrelame puisse transporter ses rebelles au-delà de la muraille.
— Un portail...
Si Eldarytzan était occupé, il ne restait plus que Reaginn en qui Sombrelame aurait fait confiance pour une telle tâche. C'était les deux en charge des double-agents en Atgoren et les plus puissants d'entre eux.
Les prunelles d'un or liquide du demi-dragon se fixèrent sur l'académie d'Archlan qui se trouvait exactement du côté opposé de là où l'élémentaire se trouvait. Il grinça les dents, irrité. Il rassembla son courage en inspirant longuement et s'y dirigea, bravant la marée d'individus en panique.
Peut-être que s'il pouvait discuter avec Sombrelame qu'il pourrait le duper en lui faisant croire qu'il emporterait Azéna à un endroit sécuritaire pendant le combat s'achevait et qu'il pourrait venir la voir par la suite.
Tègolon, à dos de son dragon, le cherchait encore en vain. C'était comme trouver une aiguille dans une botte de foin. Il y avait trop gens partout et trop de mouvements. Frustré, son dragon rugit et ainsi, attira l'attention d'un autre dragonnier qui passait par là. Ce dernier s'arrêta pour lui parler, sûrement pour le questionner sur ses actions. En fin de compte, l'adolescent fut forcé de suivre l'adulte en direction de l'élémentaire d'eau.
Argoshin n'eut aucune difficulté à trouver le portail. Les rebelles s'en déversaient comme une rivière qui avait été débouché. Ils avaient entamé leur assaut, se dispersant un peu partout dans la cité comme une peste dévoreuse. Heureusement, la plupart d'entre eux reconnaissaient le demi-dragon et le laissaient passer.
Enfin, Argoshin trouva celui qu'il recherchait près du portail à donner des instructions aux soldats qui s'exécutaient avec efficacité. Cet homme, Sombrelame, était équipé d'une armure lourde et son visage était presqu'entièrement couvert d'un heaume dont la pointe du protège-nez se terminait en forme d'épée.
Lorsqu'il aperçu son visiteur, ses yeux s'écarquillèrent momentanément, suggérant qu'il ne s'y attendait pas. Il reprit son allure austère promptement s'approcha doucement.
— Argoshin.
— Sombrelame.
Le duo se saluèrent en effectuant une humble révérence, quoi que celle du demi-dragon fut un peu plus basse et prolongé. Il voulait s'assurer de démontrer qu'il ne se voyait pas comme supérieur au chef des rebelles. Après tout, originalement, ils avaient accepté d'être des partenaires dans cette affaire puisque leurs motifs s'enlignaient. Cela n'était aucunement synonyme avec la confiance et cela était resté clair dans leurs actions.
— Je n'ais pas été mis au courant pour... enfin... tout ceci, commença l'hybride. J'aurai pu aider, tu sais.
Sombrelame garda le silence. Même s'il ne pouvait pas le voir, Argoshin savait qu'il avait un sourcil de hausser comme à chaque fois qu'il se sentait inconvaincu par ses dires ce qui était fréquent.
— Le temps et l'organisation manquaient. Je ne désirais pas t'encombrer de nos problèmes. Tu désires demeurer indépendant, quoique notre allié. Il est n'est donc pas mon obligation de te révéler tous nos plans.
C'était sûrement là une vérité partielle. C'était anormale qu'il ait mit tant d'efforts pour garder Argoshin, son soi-disant allié, à l'écart d'un mouvement si radical, particulièrement quand son élève était très évidemment impliquée.
— J'aimerai plus de détails si ce n'est pas trop demandé, requêta l'hybride.
Le chef des rebelles s'avança encore plus pour ne s'immobiliser que directement en face de son interlocuteur. Ils étaient tous les deux terriblement grands et intimidants, ne défaillant pas sous la pression exercée de l'autre. Ils se tenaient tête depuis leur première rencontre et dans un certain sens, se respectaient mutuellement pour cela.
L'identité de Sombrelame était encore et toujours voilé dans un mystère. Il n'aimait pas révéler son physique. C'était sûrement une question de sécurité. Après tout, il était le chef d'une organisation qui s'opposait au Haut-Roi. Par conséquent, de si près, on pouvait distinguer quelques un de ses traits anguleux, lui donnant une allure féroce. Il semblait avoir une mâchoire carrée et solide. Sa peau était claire, suggérant qu'il pourrait être humain, mais il paraissait trop jeune pour porter une chevelure blanche. Mais le plus alarmant était la paire de sphères d'un gris évoquant un fer sombre qui vous perçait l'âme sans relâche. Il dégageait l'esprit d'un chef, d'un vrai meneur et non d'un tyran, mais même lui n'était pas sans faute.
— La Confrérie a des observateurs un peu partout au travers des landes, mais ça, vous le saviez déjà. Nous avons jugé, collectivement, en compilant les soucis de différents membres, que nous ne pouvons plus attendre.
— Comment !? s'irrita Argoshin.
— Je suis amplement désolé. Vraiment, je le suis. Mais nous nous sentons coincés. La Légion Ancestrale est une menace qui a grandit bien plus rapidement que nous l'avions anticipé. Les membres de la Confrérie sont agités et anxieux. Leur tolérance pour la souffrance dont ils traversèrent se fait mince. Ils réclament des résolutions. Ce n'est qu'une question de temps avant que le Haut-Roi ne lance son armée sur nous et nous savons tous que contre des centaines de dragons et dragonniers, nous sommes impuissants. En toute vérité, je ne comprends pas ce qu'il attend, mais je ne m'en plains pas. Nous devons frapper pour diviser ce pouvoir avant qu'il ne soit trop tard. De surcroit, nos chamans ont détecté d'important changements dans le flux des veines primaires, là où l'énergie élémentaire voyage au travers d'Aerinda. Les élémentaires vont bientôt faire surface si l'équilibre n'est pas au minimum amélioré. Vous êtes à court de temps, Maître Argoshin.
Le demi-dragon savait ce que cela signifiait. Il n'avait plus le loisir d'entraîner Azéna et de la préparer doucement à ce qui l'attendait. Sombrelame s'était tenu à l'écart, mais plus maintenant. Il allait interférer.
— Aerinda a besoin de support, conclut Sombrelame. Et nous sommes coincés à jouer à la guerre.
Argoshin voulait rétorquer de façon provocative, mais il se retint. Malgré ses bons motifs, le chef des rebelles oubliait toujours un point impératif dans le rôle des maîtres de l'élément spirituel : le besoin d'être neutre. En s'alliant avec quelconque faction, cette neutralité se retrouve corrompue. C'était ce que les Gardiens d'Aerinda avaient perdus et oublié.
Mais peut-être que le mieux, quoique non idéal, était de laisser Sombrelame entrer en contact avec Azéna. Argoshin hésita, incertain de ce qu'il devait faire pour accomplir le meilleur pour sa protégée.
— Nous avons besoin de la dragonnière violette, Argoshin ! insista le chef des rebelles, une grande passion dans sa tonalité.
Et rien que cette façon de s'exprimer offusqua le demi-dragon et bouscula sa décision.
— Son nom est Azéna, dit-t-il dans un faible grognement. Et elle est une personne, pas un objet ni un rôle ni un titre Sombrelame.
Le meneur de la Confrérie soupira. Sa patience commençait à se faire mince.
— Je me doutais bien que si nos méthodes venaient à ne plus s'enligner avec les tiennes que tu allais devenir un problème. Et un maître tente passe toujours ses idéologies en son apprenti.
Cette réplique prit le demi-dragon au dépourvu. Il ne s'attendait pas à ce que Sombrelame soit au courant de ses discussions privées avec Azéna.
— Comment sais-tu que... ?
Puis, il réalisa bien vite qu'il n'était pas au courant de tous les double-agents intégré au saint de l'académie d'Archlan. Honnêtement, l'idée le dégouta. Ainsi, il la réfuta en détournant le regard.
— Tu as bien compris, conclut Sombrelame.
Cette confirmation brisa le cœur d'Argoshin pour l'archère qui n'allait sûrement pas bien digérer la nouvelle.
— Nixie-Elle... Elle s'est portée volontaire pour devenir la garde du corps d'Azéna. Tu m'as caché des choses ! rogna l'hybride en montrant les crocs. Nous nous étions donné notre parole.
— Et tu n'as pas tenu ta parole non plus, blâma le rebelle. J'avais raison de ne pas t'accorder notre pleine confiance. Je reconnais que tu vas cacher ta protégée jusqu'à ton dernier souffle, croyant que c'est pour le bien d'Aerinda. Je t'assure que nous ne sommes pas comme la Légion. Laisse-nous une chance, laisse-nous la chance de se battre pour Aerinda. Nous savons tous les deux que les Gardiens d'Aerinda ne le ferons pas sous la poigne de Zorn.
Argoshin réalisa dans quelle situation il s'était retrouvé. Il avait deux choix : se battre et assurément, se retrouver mort ou faire semblant et possiblement rejoindre Azéna. Elle était entourée de dangers sans même le savoir. Quel autre sbire la manipulait sans qu'elle ni Argoshin le sache ?
— Je vais t'aider, mais tu devras traiter Azéna convenablement et je t'avertis, elle n'est pas aisément domptable.
— Content de l'entendre, lui sourit Sombrelame. Rassure-toi. Je n'ai aucune intention de lui faire du mal.
Argoshin eut un petit sourire en coin. Il savait qu'Azéna était forte et que personne ne la détournerait de son chemin une fois son idée établit.
— Bonne chance, songea-t-il.
— Va la chercher, ordonna Sombrelame. Nixie-Elle est supposée de la garder en sureté dans la Tour de la Clarté.
Il fixa son regard sur le ciel qui s'était transformé en une peinture vivante. Les centaines d'aurores boréales s'entrelaçaient et dansaient doucement.
— L'heure des mille nuances est entamée.
Annotations