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Fichu serpent-couronne ! Comment oses-t-il te suivre jusqu'à chez nous ? Encore une fois, c'est de la faute à Shoncor. Mais il n'empêche que Shoncor causerait nettement moins de problèmes si ce serpent-couronne n'existait pas. Peut-être que, sans ce serpent, Shoncor pourrait être un ami pour toi (plutôt qu'une source de pression).

Non seulement le serpent m'a volé mon (faible) espace temporel avec toi mais, en plus, il s'est montré à ta famille. « C'est juste une soirée », que tu m'as dit. Juste une soirée, mais ça a tout fait basculer. Ça t'a fichu un sacré coup ! Le pire, ce n'était pas ce à quoi tu devais renoncer (juste une soirée). Le pire, c'est qu'il s'est montré à ta famille : il a changé l'image qu'ils ont de toi. Et ça, c'est à tout jamais ; ou en tout cas, c'est ce que tu crains.

Je regrette ce que j'ai écrit l'autre jour, au sujet de l'aubergine. C'était blessant, et injustement blessant. Pourtant c'est vrai : je crois qu'une aubergine reste violette, qu'elle soit verte ou non à l'intérieur. Mais c'était un exemple choisi sciemment pour te faire réagir. Avec d'autres exemples, il en serait allé tout autrement. Un objet qui a l'apparence d'un livre mais qui contient du vide plutôt que des pages n'est pas un livre : c'est une boîte. Un doudou qui a l'apparence d'une mouche n'est pas une mouche. Et, ne va pas me dire qu'aucun doudou n'a la forme d'une mouche ! Tu as probablement raison mais, là, c'est pour moi que c'est injuste et blessant ; et surtout ce n'est pas le sujet.

Le sujet, c'est ta brillance. Quand tes proches t'ont vu avec le serpent-couronne sur la tête, ils ont tout de suite remarqué que ta brillance avait disparu. Je n'arrive toujours pas à comprendre qu'ils ne l'aient pas vu plus tôt. Ce sont pourtant ceux qui te connaissent le mieux (après moi). Tu étais là, à la maison, avec ta couronne et tes dossiers. Là, ta mère a dit : « Mais, c'est ça que tu fais de tes journées ? ». En t'entendant te plaindre, ton père a ajouté : « Toutes ces années d'études, c'était pour en arriver là ? » (ce qui était injuste car, au final, tu as fait moins d'années d'études que les autres). Ta tante a entonné, de sa voix chantante, une répétition de : « Même moi, je serai capable de faire ça ». Ta grand-mère a répondu qu'elle, même si elle était (mentalement) capable de faire ça, elle en était (motivationnellement) incapable. Ton frère a dit qu'il ne croyait pas ta tante. Et ton grand-père a gueulé qu'il fallait tous qu'ils se taisent parce que ce boucan t'empêchait de travailler.

Quand tu as finalement pu enlever ta couronne, tu t'es isolé avec moi et du sel s'est mis à tomber de tes yeux. Et, une fois que j'ai ramassé tous les grains de sel et que je les ai assemblés, j'ai pu y lire ce qui te faisait tant de peine. Aussi loin que Shoncor puisse se souvenir, tu ne t'es jamais senti vraiment tout à fait à ta place ; même avec ta famille. Ils ont toujours considéré que tu avais ta place auprès d'eux ; mais pas vraiment avec eux. Comme si tu avais le droit d'être là, mais que ce n'était pas vraiment ton identité. Comme si tu étais trop brillant pour ça. Comme si quelque chose de mieux t'attendait ailleurs. C'est ce qu'ils pensaient tous ; et ils avaient réussi à t'en convaincre. Mais tu étais heureux : tu te sentais bien en famille et tu attendais patiemment, faisant confiance à Shoncor pour t'apporter cette autre place qui te conviendrait parfaitement.

Et maintenant, ils se rendent compte aussi bien que toi de la supercherie. Vous vous rendez tous compte que Shoncor n'a probablement rien de mieux en réserve pour toi. Que, même si tu n'es pas tout à fait à ta place parmi eux, tu ne l'es pas plus là où tu es le reste du temps. Ce que vous oubliez tous, c'est qu'il existe bien un endroit (ou des moments) où tu es parfaitement à ta place : quand tu es seul avec moi. Mais ça, à leurs yeux, ça ne compte pas vraiment (je ne suis qu'une mouche après tout) e; t toi, au fond, tu te dis la même chose. Même moi, je me mets à penser que, te définir par ta relation avec une mouche, ce n'est pas assez. Se définir uniquement par l'intérieur, ce n'est pas plus suffisant que se définir uniquement par l'extérieur. Peut-être qu'il faut prendre en compte les deux à la fois. Alors, même si ton visage s'illumine de brillance quand tu discutes avec moi, on ne peut pas oublier qu'il reste terne la plupart du temps.

L'autre relation qui te définit, plus que toi et ta famille pouvez vous en rendre compte, c'est ta relation avec Shoncor. En vérité, c'est parce que Shoncor t'a manqué que tu t'es retrouvé à devoir ramener ta couronne à la maison. Il t'a mené la vie dure toute la journée, mais c'est par son absence qu'il t'a mené la vie dure. C'est son absence qui l'a rendu si présent à ton esprit. Il te manque tellement ; si souvent. Et ça te gâche tellement la vie, que j'ai bien été forcée d'essayer de t'en faire prendre conscience. On a failli se disputer :

« Si seulement tu pouvais prendre le temps de faire le point avec Shoncor ; de mettre les choses au clair.

— Tu ne comprends pas ; c'est justement ça le problème. Je ne peux pas kidnapper Shoncor, le faire venir de force. J'ai besoin que ce soit lui qui vienne à moi.

— Et bien, alors, faisons-en sorte qu'il vienne à toi.

— Et comment peut-on faire ça ? Tu pourrais m'y aider toi ? Après tout, c'est ton cousin.

— N'importe quoi ! Mon cousin, c'est le taon. T-A-O-N.

— Et bien, cousin ou pas, tu devrais pouvoir m'aider. De nous deux, c'est toi la plus maligne.

— Je ne suis pas plus maligne que toi ; on l'est juste autant l'un que l'autre.

— D'ailleurs, si je perdais ma brillance, tu disparaîtrais aussitôt. C'est ce qui finira forcément par arriver, si je ne trouve pas un moyen de discuter avec Shoncor.

— C'est une tentative de chantage ou quoi ?

— Je dis juste que, de nous deux, c'est toi qui as le plus à perdre.

— Non Persil ! On a tout autant à perdre l'un que l'autre. Tu disparaîtrais toi aussi. Pas autant que moi, mais en tout cas tu n'existerais plus sous la forme de ce Persil là. »

C'est là que tu m'as ressorti cette histoire d'aubergine ; tu l'avais vraiment mal pris. La vérité, c'est que ce Persil là, tu y es autant attaché que moi. Et l'idée qu'il disparaisse te terrorise. Alors l'hypothèse qu'il puisse avoir déjà disparu, n'en parlons pas ! Notre seul espoir, c'est de s'accrocher autant que possible à nos quelques discussions à tous les deux. Nos discussions, c'est la seule chose qui permet au Persil que nous aimons de survivre, en ce moment. Ça, et espérer que Shoncor revienne ; ou réfléchir à un moyen de le faire revenir. Parce que, sans lui, toi et moi, on n'est pas grand chose d'autre que de vieux amis qui s'éloignent.

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