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Puis, juste après avoir enlevé sa couronne, la fée s'est assise près de toi et t'a parlé comme à un ami. Elle t'a raconté sa jeunesse : la couronne-serpent qu'elle avait portée quelques années, et la souffrance, pareille à la tienne, qu'elle avait alors ressenti. Elle t'a avoué que c'est cette expérience qui l'avait conduite à s'intéresser à la magie et que c'est comme ça qu'elle en est arrivée à devenir fée. Elle t'a aussi avoué que, même si elle se sent mieux aujourd'hui, il lui arrive encore de ressentir cette extrême frustration face à certaines situations. Elle t'a parlé du désespoir de ne pas pouvoir aider tout le monde, et de l'impuissance qu'on ressent à voir si clairement ce qui devrait changer sans avoir tout en main pour faire en sorte que ça change :
« Des fois, une personne, c'est juste comme un processus dans ta clairière. Tu pointes ce qui ne va pas, tu expliques pourquoi, mais au final ce n'est jamais toi qui est décisionnaire de ce qui va changer. Sauf qu'il y a quelques fois ou ça permet de faire avancer les choses, et ces fois-ci valent toutes celles où ça ne fonctionne pas. Je ne sais pas ce qui est plus dur à transformer : les gens ou les systèmes. Ce qui est certain, c'est que toi et moi sommes tout petits, limités par Shoncor et aussi simplement par nos capacités, et qu'être incapable de changer le monde à toi tout seul ne devrait pas rendre tes yeux noirs. Personne n'attend de toi que tu sauves le monde de son absurdité, Persil. Comme personne n'attend de moi que je sauve tous les humains de leur absurdité. Je me contente d'essayer ; de faire mon maximum. Et, trop souvent, je dois dire aux gens que je ne peux rien faire et qu'il leur revient de créer leurs propres solutions. Je peux juste les aiguiller (et encore, souvent mais pas toujours). Mes yeux sont roses parce que je suis heureuse de la personne que je suis. Tu as sous-entendu tout à l'heure que c'était ton cas à toi aussi. Mais si c'était vraiment le cas, tes yeux seraient roses.
— Ils sont noirs parce que j'ai peur de ne pas rester cette personne. En fait, j'ai même l'impression de ne déjà plus être cette personne. Je crois qu'elle n'existe que dans ma tête. Elle existe quand je te parle, ou quand je parle à ma mouche. Mais la plupart du temps, je suis dans la clairière et ce Persil là n'existe pas.
— Si c'est cette couronne qui te pèse tant, pourquoi tu n'en changes pas ?
— Pour mettre laquelle ? Avec quelle couronne je me sentirais vraiment moi-même ? Même la tienne n'est pas si géniale que ça : regarde, tu viens de la retirer. Ça signifie bien que, quand tu la portes, tu n'es pas tout à fait toi-même. Quand tu la portes, tu ne peux pas regarder quelqu'un en face et lui dire que oui, ce monde en carton est tout pourri et brûler tout ce carton serait probablement la seule véritable solution. Quant tu la portes, tu dois te contenter de lui sourire et de lui donner des solutions de contournement, des pansements, des façons de rendre le problème supportable sans le solutionner.
— Et tu crois que ça ne l'aide pas ? C'est toujours mieux que rien.
— Si, ça aide. Ce n'est pas la question. La question, c'est que tu n'es pas toi-même. Tu ne dis pas ce que tu penses vraiment.
— Et n'as-tu pas pensé, Persil, que peut-être, dans ce qui fait mon identité, aider les gens représente une caractéristique plus importante que dire ce que je pense ?
— Non, je n'y ai pas pensé. Ça me semble tellement inconcevable qu'on puisse être soi-même sans dire ce que l'on pense. C'est une façon bien étrange de se représenter son identité.
— J'ai rencontré beaucoup de personnes qui avaient besoin d'aide pour déterminer l'identité qui leur permettrait de se sentir eux-mêmes. Mais toi, Persil, il est évident que tu sais très bien ce que tu veux.
— Sauf que je ne sais pas comment l'avoir. Ce que je veux semble impossible. Il n'y a pas de couronne pour ça.
— Qu'est-ce qui semble impossible ?
— De participer à rendre les choses moins absurdes. De dire ce que je pense et que mes actions soient toujours alignées avec ce que j'estime être le meilleur. De ne pas devoir mentir, faire semblant ou contribuer à quelque chose d'injuste ou d'insensé.
— Ce n'est pas parce que tu n'as pas encore trouvé le moyen que c'est impossible. Mais, la bonne nouvelle, c'est que rien ne presse ; tu as tout ton temps pour y réfléchir. Comme tu as le temps aussi pour réfléchir à toutes les choses auxquelles nous n'avons pas le temps de réfléchir ensemble.
— Quelles choses ?
— Par exemple, tu pourrais réfléchir à la façon dont tu te représentes le Persil, ou les Persils, que tu pourrais et aimerais devenir. Quelles sont, à part ta brillance, les autres choses auxquelles tu ne souhaites en aucun cas renoncer ? Quelles seraient les autres caractéristiques d'un Persil aux yeux roses mais toujours brillant ? Comment pourraient évoluer tes rapports avec Shoncor ? Comment pourrais-tu commencer à être un nouveau Persil même maintenant que tu portes encore cette couronne là ? Ce genre de choses.
— Commencer à être un nouveau Persil ? Alors que j'ai déjà un mal fou à juste rester le Persil que je suis ! Le seul moyen que j'ai trouvé, c'est de faire des commentaires amers à longueur de temps. Pas terrible, je suppose.
— Je comprends. C'est le moyen que tu as trouvé pour continuer à être, aux yeux de ceux qui t'entourent, un Persil qui a des idéaux. Comment tu n'œuvres pas pour la justice, tu assures le service identitaire minimal en te plaignant de l'injustice.
— Donc je dois continuer à me plaindre ?
— Je ne sais pas. Mais si tu ressens le besoin de le faire, c'est que tu n'as pas encore trouvé de meilleure solution pour conserver ce que ça te permet de conserver. Ça peut faire partie des choses auxquelles tu pourrais commencer à réfléchir.
— Et je dois d'abord répondre à toutes ces questions, ou d'abord trouver ma nouvelle couronne ?
— Il n'y a pas de réponse toute faite, Persil. Pas de bon ou de mauvais choix.
— Tu ne sais vraiment pas quelle couronne pourrait m'aller ?
— Je suis une fée, Persil ; pas une conseillère d'orientation.
— Je ne demande pas à une couronne. Je demande à une amie. Tu en penses quoi, personnellement ?
— Je ne sais pas. Que tu souhaites rendre les systèmes plus justes ; au point que ça ne te suffirait pas d'aider les gens à mieux les supporter. Tu pourrais peut-être devenir une sorte de fée des systèmes ?
— Une fée des systèmes ? Ça existe ça ?
— Je ne sais pas. Probablement. Peut-être pas sous ce nom là. Mais il y a probablement des gens qui ont les moyens de faire évoluer les choses, ou de donner leur avis sur la façon dont les choses devraient évoluer. Ça doit bien exister. Sinon, il faudrait le créer. Mais en tout cas, ça t'irait bien. Et probablement que tout ce que tu vis actuellement te serviras à ce moment.
— Ah non ! Tu ne vas pas te mettre à ce genre d'arguments toi aussi ? J'ai fait le tour de ma situation actuelle. Je n'ai plus rien à en tirer, même quand il s'agit d'étudier son absurdité. »
Vous avez continué à parler comme ça jusqu'à la fin de l'après-midi. Sans que rien d'extrêmement concluant n'en sorte, si tu veux mon avis. J'ai commencé à être jalouse, parce que je trouvais qu'au final les propos de cette fée ne contenaient rien que je n'aurais pas pu te dire moi-même. Tu n'avais pas besoin de cette fée, sauf pour une chose. Au final, elle avait raison de penser que le plus important est qui elle est plutôt que ce qu'elle réalise dans son travail. Ce dont tu avais besoin, ce n'était pas de ses conseils ou de cette discutions interminable avec elle. Ce qui t'as le plus aidé, c'est juste son existence ; de savoir que quelqu'un comme elle pouvait exister ; d'avoir la preuve que la brillance et les yeux roses ne sont pas mutuellement exclusifs. Elle avait trouvé sa propre façon d'allier les deux. Sa façon ne te convenait pas ; mais elle t'a redonné l'espoir de pouvoir un jour trouver la tienne. La lueur sur ton visage s'est rallumée, même si tes yeux sont restés noirs.
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