Z

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Zut ! On en est déjà à Z ! Mais, au fait, qui a dit que je devrais m'arrêter d'écrire une fois arrivée à Z ? Contrairement à toi, Persil, je fais ce que je veux. Sauf bien sûr quand ce que je veux c'est te parler et passer du temps avec toi, vu que tu n'es pas souvent disponible pour ça. Je suis une mouche. J'ai des ailes, symboles de liberté. J'écris, synonyme de liberté. J'ai donc la liberté de continuer d'écrire ce livre, aussi longtemps que j'en aurai envie et aussi longtemps que je trouverai des choses à exprimer.

Et, contrairement à ce que j'ai pu penser à un certain moment, je continue de trouver des choses à écrire (à un rythme irrégulier, mais je continue) ; car l'absurdité de la vie (de ta vie), même si elle est souvent répétitive dans sa façon de se reproduire, semble quand même parfois trouver de nouvelles formes. Remarque, ça ne change pas cette sensation frustrante que cette histoire (ton histoire) ne va nulle part. Heureusement, je n'ai que faire des contraintes narratives et des schémas en carton prémâché. Situation initiale, éléments perturbateur, péripéties et dénouement ? Nous savons tous les deux que ton histoire ne se dirige pas vers un dénouement ; elle n'est qu'une succession de péripéties qui viennent nouer un peu plus ce sac de nœuds qu'est ta vie depuis l'élément perturbateur que fut ton arrivée dans la clairière (élément perturbateur qui ne cessera jamais de te perturber).

Alors à quoi bon ? A quoi bon écrire l'histoire du petit Persil secoué dans son sac de nœuds, se cognant aux rebords, tournant, se retournant, et soufflant parfois quelques petites secondes quand le sac cesse pour un instant d'être balloté. Mon récit tourne en rond car ta vie tourne en rond. Tu me fais penser à une mouche essayant de sortir de la pièce où elle est enfermée : elle se cogne sans cesse à la fenêtre, un peu plus à droite, un peu plus à gauche, un peu plus en haut, un peu plus en bas, jusqu'à enfin parvenir à trouver le faible interstice où la fenêtre est entrouverte. Mais ce faible interstice existe-t-il dans la clairière ? Parviendras-tu à trouver l'issue ?

Pour toi Persil, j'espère que oui. Mais pour mon récit, j'espère que non. J'aime l'histoire de cette mouche qui se cogne sans cesse, à chaque fois à un endroit différent : elle me permet de décrire la fenêtre. Bien sûr, ce n'est pas forcément passionnant, et c'est terriblement frustrant. Mais c'est à ça que la vie ressemble. La vie n'obéit pas aux contraintes narratives et aux schémas en carton prémâché. La vie ressemble beaucoup plus à un brin de persil balloté dans un sac ou à une mouche se cognant à une vitre. Je suis désolée, mais c'est comme ça ; et ça le sera tant que la fenêtre sera faite de cette manière, tant que le sac sera fait de cette matière.

Tu te souviens de l'aubergine ? Oui, celle à laquelle je t'ai comparé. C'est l'aliment que je suis en train de manger depuis un bout de temps, moi qui, en tant que mouche, peut me nourrir de tout et n'importe quoi et n'ait pas à me contenter de carton. Cette aubergine que je mange, je l'ai mangée en commençant par l'extérieur. Elle n'a donc plus une trace de violet. Elle est verte. Je pensais que l'aubergine restait violette dans tous les cas, bien qu'elle soit verte à l'intérieur. Mais là, je constate qu'il y a bien un cas où elle devient verte : quand sa peau a complètement disparu et n'existe plus. Qu'est-ce que cela peut signifier pour toi, Persil ? Une évidence : tu dois te débarrasser complètement de cette surface qui te recouvre pour pouvoir redevenir le Persil qui se cache à l'intérieur.

Ce Persil que nous aimons, bien caché derrière sa peau violette créée par la clairière, ne pourra respirer à l'air libre que lorsque nous serons totalement débarrassés de cette carapace superflue. Malheureusement, je ne peux pas manger cette extériorité. Malheureusement, je ne peux pas non plus tuer ce serpent que j'estime être le responsable de cette transformation. Je sais : c'est moi qui suis censée être l'adjuvant dans cette histoire, et tuer ce serpent et cette identité de surface qui ne te correspond pas feraient des péripéties dignes de ce nom. Des péripéties qui nous donnerait l'impression d'avancer vers un dénouement, même si l'idée d'un possible dénouement ne serait qu'une idée illusoire. Mais j'en suis incapable.

Où en sommes-nous donc ? Toujours nulle part. Toujours dans cette clairière. Tu es, sans t'en rendre compte, dans une quête où tu récoltes, sans chercher mais par pure sérendipité, des bribes de sagesses et des possibilités d'interprétation de ce que tu vis. Mon récit n'est qu'un panier dans lequel déposer ta récolte. Pourras-tu, à partir de tout ça, nous cuisiner un bon petit plat ? Probablement pas, car le seul aliment disponible est le carton. Que feras-tu de ta récolte ? Sauras-tu l'utiliser pour te dépêtrer un tant soit peu de cette peau d'aubergine ? Ou nous contenterons-nous de l'exposer dans ce musée qu'est mon histoire-panier ?

Excuse-moi de ne pas avoir la réponse. L'aubergine que j'ai commencée à manger m'a juste donné la première partie de cette réponse. Elle m'a indiqué quel est l'objectif que nous devons poursuivre, et c'est déjà une énorme partie du travail que de savoir identifier avec précision son objectif. La plupart des gens en sont incapables, ou bien croient en être capables mais se méprennent sur leur objectif (ce qui est pire). D'ailleurs, peut-être que j'en fais partie ; que je me méprends. Après tout, c'est à toi, Persil, de choisir ton objectif ; à personne d'autre. Mais voici celui que je te propose : te débarrasser de cette peau d'aubergine. Et si tu es embrouillé par ma métaphore, je clarifie : te dépêtrer de cette identité professionnelle qui ne te correspond pas pour retrouver l'équilibre identitaire qui te fait défaut. Redevenir, en tout lieu et indépendamment de Shoncor, le Persil que nous aimons.

Tu me rétorqueras que tu as déjà identifié depuis longtemps cet objectif, que nous en avons déjà parlé et que c'est juste impossible. C'est vrai. Mais des objectifs impossibles, tu en identifies des tas et des tas ; et ils se trouvent au final tous être rattachés à celui-là. Ne serait-ce pas ça, au final, qu'obéir à la deuxième loi de Shoncor ? Faire bon usage de ses ressources, ce serait les utiliser pour être (ou en étant) le type de Persil que tu auras envie d'être ; que tu pourras aimer. Bien sûr, je me répète. Mais ta vie est répétitive, nous l'avons déjà acté. Et tes problèmes le seront tout autant tant que tu ne te décideras pas à les prendre à bras le corps ; à choisir un objectif et à t'atteler à sa résolution au lieu de te contenter de te plaindre et de décrire toutes les impossibilités.

Cette histoire de la mouche qui se cogne à la fenêtre, c'est une bonne histoire en fait. C'est une histoire ennuyeuse au possible à raconter ou à écouter (plus ou moins selon le nombre de fois où la mouche se cogne et le zèle qu'on met à toutes les décrire), mais elle contient une leçon essentielle : cette stupide mouche ferait mieux de prendre du recul et d'observer la situation pour définir son plan, au lieu de foncer tête baissée en espérant tomber cette fois sur la sortie. Moi, je ne suis pas une mouche stupide ; je suis une mouche brillante. Et toi, Persil, si ce serpent n'était pas en train d'aspirer ta brillance, tu arrêterais peut-être de foncer dans tous ces murs de carton. Je suis là pour t'aider à observer la situation et à prendre du recul, mais mon rôle s'arrête là : à toi de définir le plan. Ou libre à toi de continuer de foncer dans des murs de carton ; personnellement, je trouve ça assez amusant à raconter.

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