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Gare à toi, Persil ! Ta mauvaise volonté risque de te mettre des bâtons dans les roues, professionnellement aussi bien que personnellement. Depuis le temps que tu cherchais un moyen de te rapprocher de tes collègues, en voici un qui te tombe tout cuit dans le bec et toi tu le refuses. Au nom de quoi ? Au nom de ton authenticité, oui, je sais. Mais quand même… Est-ce que prendre un peu sur toi un petit moment ne t'aurait pas permis par la suite d'avoir justement plus d'occasions de faire preuve de cette fameuse authenticité ?
Ce n'est pas non plus comme si tes collègues s'étaient liés autour de quelque chose de complètement contraire à tes valeurs et à tes principes ; ils se sont juste liés autour d'une chose à laquelle tu es pleinement indifférent. Ne pourrais-tu pas faire un petit effort et chercher à t'intéresser ? C'est sûr qu'il y a plus intéressant dans la vie que les concours de sculptures comestibles. Je t'accorde également qu'il y a une certaine absurdité à construire une œuvre d'art pour juste ensuite la détruire en la mangeant. Mais tu ne peux pas te permettre de faire le difficile ! Tu souhaitais qu'il y ait dans la clairière un autre sujet de conversation que le travail : c'est chose faite.
Bien sûr il est toujours question de carton mais on ne va pas chipoter : ce n'est pas comme si le monde entier n'était pas fait de carton. Ce n'est pas le travail qui réunit tes collègues chaque week-end au centre ville pour assister aux compétitions ; juste un intérêt partagé. Un intérêt que toi tu ne partages pas, et que tu n'as visiblement aucune envie de partager. En plus, ce n'est même pas comme si tes collègues participaient aux concours : ils se contentent d'assister et de commenter, de prendre parti et de prendre des paris. Rien qui ne t'intéresse, je l'ai bien compris. Mais, quand même, je ne peux m'empêcher de trouver ça dommage.
Toi, tu défends becs et ongles ta position. Ta théorie est qu'un centre d'intérêt aussi superficiel n'est qu'une autre façon de ne pas se révéler vraiment en tant qu'être humains. D'après toi ce n'est qu'une technique pour mimer la sociabilité en n'ayant pas à créer de véritables liens ; qu'une nouvelle forme de leur hypocrisie. En plus, tu viens de développer l'opinion que voir ses collègues sur son temps libre constituerait une atteinte aux droits fondamentaux de l'employé. C'est ridicule, si tu veux mon avis : personne ne te force à y aller (la preuve en est que tu n'y vas pas). En plus, il y a quelques semaines, tu étais presque à te plaindre que de tels évènements collectifs n'aient pas lieu dans votre clairière.
Maintenant (et juste parce que leur format d'interactivité ne prend pas sur toi) tu considères que sortir avec des collègues, même pour une activité qui serait plaisante, ne peut qu'empêcher de déconnecter du travail et t'imposer le poids du serpent-couronne dans un moment où il ne devrait pas être là. Tu es à deux doigts d'appeler Shoncor pour trancher la question, chaque fois que tes collègues te font savoir que ta présence serait souhaitée et sous-entendent qu'en refusant de participer tu nuis à la cohésion globale de l'équipe.
Tu es en train de t'exclure tout seul. Et ton argument, c'est que ce n'est pas de ta faute car ils n'auraient pas dû mettre en place ces évènements, et il n'y aurait alors rien eu dont être exclu. Tu te retrouves à être le potentiel objet de critiques sur ton manque d'esprit professionnel et d'implication dans votre action collective, pour des raisons qui n'ont rien à voir avec le temps professionnel et qui proviennent juste de la façon dont tu choisis de mener ta vie personnelle. Je suis d'accord, il y a une forme d'injustice là dedans. Mais, en même temps, c'est particulièrement difficile de comprendre ce que tu voudrais vraiment.
Au final, tu veux plus d'hermétisme entre vie privée et professionnelle, ou plus de cohérence comme tu le proclamais il y a quelques mois ? Je suis prête à parier que, si l'activité du week-end avait été un concours de débat contre des mouches, tu t'y serais précipité et aurais pesté contre le rabat-joie qui aurait refusé de venir. Tu aurais adopté une jolie théorie comme quoi l'être humain se doit d'être le même dans sa vie qu'au travail et n'a donc pas lieu de ressentir la présence de ses collègues comme une entrave. Tu aurais rappelé qu'un collègue est un être humain avant d'être un collègue et que passer du temps avec est donc aussi souhaitable que passer du temps avec n'importe qui d'autre. Au final, qui est le véritable hypocrite ?
Et puis, il faut dire aussi que ce qu'il se passe chez toi t'intéresse bien plus que ce qu'il se passe dans la clairière. Si ta vie personnelle était aussi fade qu'à son habitude, tu aurais probablement saisi avec bonheur toute occasion d'introduire de la nouveauté dans ta vie professionnelle (quitte à devoir y investir quelques ressources de Shoncor). Mais en ce moment, ton foyer regorge de nouveautés, qui te font penser que la vraie vie est peut-être bien ailleurs qu'au travail. Tu es donc plus convaincu que jamais que ce qu'il se passe sur les quelques heures de temps personnel est bien plus important dans une vie que ce qu'il se passe sur la majorité des heures passées à avoir une utilité sociale (ou à prétendre en avoir une).
Ca tombe bien ; tu vas bientôt avoir droit à des vacances. Plusieurs semaines entièrement consacrées à ta famille, sans devoir avoir d'autre utilité que celle que tu peux avoir pour cette micro-société où tu te sens bien plus à ton aise que dans la vraie (qui est bien trop fausse). Plusieurs semaines à ne plus savoir que faire des ressources de Shoncor, et à t'en angoisser au point de t'en rendre malade gageons-en. Plusieurs semaines à pouvoir t'intéresser de plus près à tes proches, aux solutions qu'ils trouvent face à la vie, et aux surprises que leur réserve l'existence (en commençant par Chardon, qui doit ce soir vous présenter sa nouvelle petite-amie).
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