Mirage

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En retrait, Luc observe ce triste spectacle, impuissant. Une multitude d’orcs et de gobelins chargent de front, de la simple piétaille, fragile, mais rapide. Les coups pleuvent, le voile mortel s’abat sur les créatures surgit des entrailles de la terre. L’aura de l’abbé suffit seule à brûler les plus faibles des créatures, sa voix décuple la force des soldats.

Profitant de sa haute position à l’étage de la maison en ruine, Luc inspecte de ses yeux perçants les alentours. Les impies semblent toutes venir du Nord, une déduction simple quand on sait à quel point un gobelin peut être vicieux, mais stupide. Les notions de stratégie leurs sont étrangères, ils foncent en ligne droite, de leurs demeures souterraines vers leurs objectifs. Cependant, sa mission première n’est plus d’enquêter sur le mystère de Ravona.

« Éïlime ! » appelle-t-il en sortant par l’arrière-cour. Aucune réponse, mais un fer-à-cheval par terre. Son intuition ne l’a pas trompé. Il engage le pas sur la piste encore fraîche et s’éloigne d’une bataille qui virera bien assez vite au massacre. Le sort de ces fermiers pèse sur son âme, il se sent fautif, honteux d’abandonner ceux qui lui font confiance. Peut-être quelques-uns l'auraient-il entendu ? Si l’abbé avait écouté.

Là ! Il dégaine et perce un rideau déchiré. Un cri d’agonie résonne. Luc découvre un orc, sale et répugnant, tué de sa main. D’entre ses griffes, il extirpe une poignée de cheveux blonds, pas de doutes, Éïlime a fait une mauvaise rencontre. Il accélère, maîtrise sa respiration, reste concentré. Ses pas l'amènent à un embranchement entre deux ruelles. Aller à l’Est ? A l’Ouest ? Luc ne peut se permettre d’échouer, il se l’interdit. Il calme son souffle et rengaine son épée. Son genou touche le sol et en chasse la poussière. Ses mains se joignent en signe de prière. Il ferme doucement les yeux, incline la tête en signe de respect.


« Occurre mihi. » murmure-t-il.

Un chant d’oiseau lui fait soulever une paupière. Un épervier sautille devant la ruelle de droite. « Serais-tu mon signe ? » l’interroge Luc. L’oiselet s’envole, l’apprenti le suit sans hésiter. Il doit courir pour ne pas le perdre, grimpe à travers la cité, jusqu’à atteindre une grande place épargnée par la ruine, pourtant la paix n’y règne pas. En son centre gît le cadavre de Boris, éventré de tout son long. Par terre, à ses côtés, est prostrée Éïlime devant un groupe duquel émane une sombre énergie. Ils ne l’ont pas repéré, Luc s’avance prudemment à couvert d’un muret. L’une de ses mains serre avec fermeté son épée, tandis que l’autre caresse la croix accrochée à son cou. Il étudie les cinq humains, deux femmes et trois hommes. Des habits aussi noirs que leurs cheveux qu’ils portent longs, des armes finement travaillées et une attitude de conquérant. Tout en eux trahit une menace à peine voilée et une puissance tout juste contenue. Une seule ne répond pas à cette description, non, elle paraît bien plus puissante et calme. Sa chevelure blond-pâle fait penser à un champ d’épis de blé par temps d’orage, une couleur froide et inquiétante. Son visage est vierge de cicatrice, mais ses yeux ne trompent pas, c’est une âme meurtrie.

« Des hérétiques. » grogne-t-il en prenant une fiole à sa ceinture dont il écoule le contenant sur sa lame. Celle qui se démarque du groupe s’avance alors vers Éïlime. Les muscles de Luc se tendent, aucune ouverture possible. La jeune fille recule maladroitement jusqu’à être acculée au corps de Boris. L’autre s’accroupit, assez proche pour la toucher. Elle avance une main à la peau blanche qui jure avec sa tenue, se saisit d’une mèche blonde entre ses doigts aux ongles cendrés. Éïlime détourne le visage, elle est en larmes. Luc arrive à entendre la démoniste lui parler doucement.


« Calme toi. Il ne t’arrivera rien tant que je serai là.

  • J- je…
  • Shht. Dors. »

La respiration effrénée d’Éïlime se stoppe à l’instant où l’inconnue l’embrasse sur le front, sa tête s’incline vers l’avant, elle ne bouge plus. Luc serre les dents à s’en faire mal. Attends le bon moment, ne fonce pas tête baissée. L’autre femme se rapproche, d’un tempérament plus fort et endiablé.

« Quelle beauté ! On dirait toi, avant.

  • Tu aurais pu m’aider, soupire la première. La pauvre allait être dévorée vive.
  • Voyons, je ne mords jamais quand ils ont peur, ça donne un goût amer, se moque-t-elle.
  • Arrête de dire des bêtises.
  • Tu penses ? riposte-t-elle par défi, merci de l’avoir endormie. »

Le temps que la première réagisse, la seconde s’abaisse à son tour et découvre le cou d’Éïlime avant de faire pointer deux canines longues et acérées hors de sa bouche, prêtes à mordre. C’en est trop pour Luc qui bondit hors de son abri et tente de l’embrocher ! La vampire s’envole d’une impulsion de ses ailes qu’elle gardait repliées, alors que sa camarade se relève et dégaine un long katana rangé dans son dos. Vive comme l’éclair, elle bloque l’assaut de Luc sans fléchir des genoux. Le garde-lumière riposte d’un moulinet visant à remonter le noir métal pour trancher la chair. Son adversaire se dérobe et recule de deux sauts en arrière. Luc se place en protecteur d’Éïlime.


« Quittez ces lieux bénis, je vous l’ordonne !

  • Tuez-le ! »

Les hommes l’entourent alors que les deux femmes se lancent mutuellement un regard inquiet. Luc ne flanche pas, sa Foi illumine la noirceur des nuages alors que sa lame irradie de flammes rougeoyantes. Il chante le cantique de la lumière, chaque mot sonne à ses adversaires comme un raclement aigu d’une lame sur une plaque d’ardoise. Il danse plus qu’il ne se bat, se sert de la force de l’un pour le repousser, immobilise le second et arrive à percer la garde du dernier.

« Non !! » s’écrit celle qui semble les diriger quand l’épée de Luc transperce la poitrine du combattant. Il retire sa lame d’un geste rapide pour ne voir que de l’ombre s’écouler de la blessure. L’homme rit sombrement alors que la plaie qui aurait dû lui être fatale se referme. Elle n’est que mirage lorsque la femme blonde se jette dans ses bras.


« J’ai cru te perdre...

  • Maélie, je ne suis pas plus tangible que ton ombre, le rassure-t-elle. »

Luc fait un faux pas, surpris du nom prononcé avec tant d’amour. La vampire profite de la distraction pour planter ses griffes dans son dos et le jette à bas. Luc pousse un grognement de douleur, vaincu. La furie l’écrase de tout son poids, lui relève la tête et offre sa gorge au couperet vengeur d’un des noirs guerriers.


« Stop !

  • T’es pas nette ?! Il a essayé de tuer Matthew !
  • Nous aussi je te fais remarquer, constate un autre en rangeant ses poignards.
  • Sin, insiste Maélie, il me connaît, je veux l’interroger.
  • Tss. »

La vampire relâche Luc en sifflant, son front cogne durement les pavés. Elle s’éloigne, furieuse. Luc peine à se remettre droit, sans arme, mais le regard empli de défi.

« Tu m’as reconnu, insiste Maélie, pourtant, ton visage ne me dit rien.

  • J’ai suffisamment entendu ton nom de la bouche de mon maître pour réaliser quelques recherches.
  • Ton maître ?
  • L’abbé Laffaire.
  • Et tu as toujours foi en la lumière, constate-t-elle avec désespoir.
  • Toutes les flammes d’un feu ne sont pas bienfaitrices, récite Luc par habitude.
  • Certaines détruisent, je l’ai appris à mes dépens.
  • Mieux vaut brûler que vivre dans les ténèbres. »

Les regards se ferment, la tension monte d’un cran. Même en position de faiblesse, Luc ne cède pas face à la guerrière nimbée de brume. Une explosion au loin fait trembler le sol, l’apprenti profite que leur attention soit détournée pour se rapprocher d’Éïlime qu’il inspecte, inquiet.


« Elle est en sécurité ici, loin de ton abbé, expose Maélie qui remarque son geste.

  • Laisse-moi en douter, gronde Luc en pointant du menton le cadavre de Boris.
  • Nous sommes arrivés après, des orcs allaient la tuer, nous lui avons sauvé la vie.
  • Pour l’offrir en pâture à votre vampire !
  • Hey, je ne joue pas avec la nourriture, s'immisce Sin, toujours boudeuse.
  • Oui… les apparences jouent contre nous, s’excuse Maélie en foudroyant Sin du regard. Mais, notre mission rejoint la tienne. Nous cherchons à éradiquer le mal.
  • Tu maîtrises les pouvoirs de l’Ombre et tu oses te dire être son ennemi ?! s’insurge Luc.
  • Toutes les ombres ne sont pas néfastes, rétorque doucement Matthew qui vient détendre l’atmosphère. L’ombre est également source de calme, de mystères et de pensées. Quelle beauté aurait une bougie si elle n’avait rien à éclairer ?
  • L’abbé est persuadé que vous êtes la cause de la destruction qui nous entoure, pousse Luc qui se refuse à de telles réflexions.
  • Et toi ? Qu’en penses-tu ? questionne Matthew. »

Luc préfère détourner le regard, que d’avouer l’évidence. Il n’a plus confiance en l’abbé. Il réfléchit à toute allure, recoupe les éléments en sa possession. Les combattants de l’ombrage ne sont plus hostiles, Maélie serre doucement les mains de Sin et Matthew, elle semble récupérer son énergie ainsi.


« Je suspecte une invasion souterraine, lâche-t-il à regret.

  • C’est plus qu’une hypothèse. Une branche souterraine s’est détachée de la colonie gobeline qui s’étend sous nos pieds. D’autres créatures ont rejoint la horde pour profiter du carnage, complète un autre guerrier comme si c’était l’évidence suprême.
  • Merci Josh, toujours aussi humble, raille son compagnon.
  • Oh ce n’était pas si dur à deviner, Chris. La preuve, même un simple frère s’en doutait. »

Luc ne relève pas la pique, il ne doit rien concéder à ces maudits ritualistes. A son étonnement, ils s'attellent à se chamailler sur où aller et quoi faire et l’oublient complètement. Sans attendre, il attrape doucement Éïlime et recule un pas après l’autre de là où il est venu. Maélie se place à sa hauteur et quitte l’endroit en sa compagnie. Cette maudite sorcière affiche un sourire moqueur, Luc inspire profondément, puis raffermit sa prise sur le corps de l’adolescente. Honte d’utiliser une enfant comme bouclier, mais il pressent un reste d’humanité, tel un réflexe de grande sœur protectrice. A moins que ce ne soit à nouveau son optimisme débordant qui ne lui joue des tours. Reste-t-il un fragment de la petite croyante innocente dont on lui avait dépeint les traits ?

La belle-sombre avance à grandes foulées, des griffes de brume apparaissent sporadiquement au bout de ses doigts, sa tenue change au gré de ses pensées; tout en elle trahit une manifestation brute de sa volonté implacable. Seule son arme reste constante, une lame noire, légèrement incurvée, tranchante sur un seul bord en dents de requin, qui vibre d’un perpétuel désir de violence. Luc a appris à identifier et nommer les démons libres ou emprisonnés, mais celui-ci semble avoir choisi d’accompagner Maélie. Aurait-il pu seulement parer un seul assaut si elle s’était décidée à attaquer ?


« C’est la première fois que je l’entends sous forme de chant, lance Maélie qui se sent étudiée.

  • De quoi parles-tu ?
  • Ton cantique de la gneu-mière.
  • Ma noire foi, ce n’est pas déplaisant. On pourrait se laisser tenter, mais des mots ou de la voix, je ne saurais dire, insiste-t-elle avec malice.
  • J’ai voué ma vie à Dieu. Personne n’a dit que ce devait être une vie austère.
  • Tant de naïveté, on dirait un ange.
  • J’en ai la voix et le charisme, il ne me manque que les ailes. »

Luc se morigène, il ne doit pas pactiser avec Maélie qui, au contraire, sourit d’autant plus en pressant un masque de renard à sa ceinture. Ce frère lui plaît. Comment une âme si pure ne s’est-elle pas flétrie au contact de l’abbé ? Comme elle ? Est-ce l’âge, la pitié, ou une plus grande force intérieure ? Elle se perd dans de douloureuses pensées, lorsque Luc s’arrête brusquement, son visage se ferme. La, devant eux, dans l'obscurité. Deux paires de pupilles rouges les fixent sans bouger.


« Ça commence à faire beaucoup de démons pour une seule journée. » maugréer Luc.

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