Chapitre 1
« Mademoiselle Katterina ! »
La voix d'Antonina portait loin, et la nourrice s'égosillait appelant la jeune fille d'ordinaire plutôt sage. Celle-ci se cacha rapidement derrière un arbre, guettant du coin de l’œil, enivrée par ce sentiment étrange qui la poussait, la portait. Elle aspirait a cette sensation de liberté, tout son être la réclamait, mère et Nina lui avait formellement interdit de sortir, ni luge, ni bonhomme de neige, ni parc pas même un pied dehors ! Elle avait été patiente et rusée comme les héroïnes des livres que grand-mère lui lisait et après tant d'efforts il était hors de question de se faire prendre !
Katterina avait regardé la neige tomber ces derniers jours, recouvrant la campagne, par de là le parc elle discernait les pentes des collines au-delà du bois, les plus douces, moins risquées, les pentes pour les trouillardes ! celles ou sa nourrice l'aurait emmenée.
Serrant les doigts sur la luge elle laissa son regard porter vers le petit pont de pierre couvert de givre a l'opposé des glissades pour les bébés. Pour elle-même alors qu'elle observait furtive comme un furet elle murmura comme une prière :
« Vers les pentes de l'ennui Nina tournez-vous je vous en prie ! »
Prière exaucée ! Une profonde inspiration et elle s'élançait déjà, sa course se finissant en une audacieuse glissade lui permettant de se mettre a couvert du regard scrutateur juste a temps. Allongée sur la neige au milieu du pont, Le cœur battant a tout rompre, dissimulée par le parapet, son esprit s'envolait par-delà le cours d'eau gelé vers les pentes abruptes des collines. Telle une aventurière, bientôt elle glisserait sur ces pentes si vite qu'elle semblerait voler.
« La préparation est la clé de la victoire ! » la voix de sa grand-mère résonnait dans sa tête, ses conseils et ses leçons que son père détestait lui avait toujours été utiles. Spécialement pour son expédition en territoire hostile d'aujourd'hui, pas de hasard ! Elle avait mis des bas chauds une robe en laine épaisse et son manteau de zibeline avec une capuche bien chaude serrée par une écharpe, on distinguait a peine son charmant visage, seules quelques boucles d'un noir de jais tentaient de s'enfuir.
Un an déjà qu'avec sa mère et quelques domestiques elles s'étaient installées dans ce petit château, elle se souvenait des bonhommes de neiges, des batailles acharnées de boules de neiges et des descentes en luge d'autrefois. Mais pas cette fois, elle ne sortait quasi jamais et rarement hors du parc et ces derniers temps c'était juste... étouffant.
Père ne revenait pas et tout le monde évitait d'en parler, a cette pensée elle senti des larmes poindre et sa gorge se serrer, elle s'y refusait, elle ne se laisserait pas abattre. Sa force venait de sa mère et de sa grand-mère et elles, elles ne se laissait pas aller !
Ses ancêtres avaient de l'honneur et le devoir de se battre pour ce qui était juste ! être ici avec toute la neige et ne pas en profiter était un crime et elle devait faire régner la justice a ce sujet ! Sans quoi elle ne serait pas la digne représentante du sang russe ! Comme aurait dit Babouchka.
En dépit de l'écharpe elle sentait l'air froid lui brûler les poumons, elle avait repris sa course dès que la nourrice s'était détournée, ne s'accordant de repos que lorsqu'elle fut sûre d'être hors de vue.
« à nous deux piste des dangers ! »
Souriante elle gravit la colline, chaque pas augmentait son excitation mais aussi sa peur, la pente semblait se faire plus raide et plus terrifiante a mesure qu'elle avançait. D'en haut elle voyait les reliefs et les arbres, les rochers affleurants... comme les crocs d'une gueule avide.
Elle enfourcha sa luge avec un aplomb surprenant
« Trop génial ! »
L'instant d’après le paysage défilait, de plus en plus vite, la luge décolla soudainement lui arrachant un cri de joie et de terreur mêlée, le choc de l’atterrissage la secoua jusque dans ses os.
Elle pesa de tout son poids sur la gauche pour éviter un tronc alors que quelques branches basses lui rabattaient la capuche.
« YeeHa ! »
Soudain, une masse noire de rochers surgit, a cette vitesse l'impact serait dangereux, un coup a se blesser, voire pire, se faire gronder par mère ou Nina !
« Saperlipopette ! »
Un talus sur la droite, oui elle pouvait le faire, sauter et hop s’envoler par-dessus les rochers, c'était quoi... dix, quinze mètre ? Du gâteau ! Elle s'allongea sur la luge, s'y cramponna et pencha sur la droite, le ravin s'approchait si vite qu'elle ne distinguait plus les arbres sur les côtés, enfin le patin gauche se souleva, elle tournait.
« Aller encore, encore … gniiiii ! »
La luge décolla violemment, en dessous d'elle les rochers, noirs, menaçants, elle volait ! Elle volait vraiment !
Et puis le choc, la luge qui heurte le sol et part en tonneau la projetant dans un épais tas de neige. Elle était trempée et riait à gorge déployée à demi enterrée dans la neige, jamais elle ne s'était sentie si vivante.
Elle s'allongea, le souffle court, le regard vers le ciel bleu, limpide, le froid la gagnait mais elle s'en fichait, elle volait encore tout là-haut, jouant avec les nuages.
« Mamzelle Katya ! »
La voix rocailleuse de Miloslav, le garde-chasse, l'arracha à sa rêverie, son visage bourru arborait son éternelle moustache dure et broussailleuse que les années avaient piqueté de poils gris et blancs.
« Ça va aller, vous êtes blessé ? »
Il semblait sincèrement inquiet. L'homme avait toujours fait preuve de gentillesse envers elle : lui et sa femme travaillait pour sa famille depuis avant sa naissance. Elle cuisinait, il chassait, entre autres tâches.
Même pour les adultes il était impressionnant mais pour la petite fille c'était un colosse, un géant. Il l'attrapa avec une prudence surprenante pour d'aussi grosses mains, vérifiant qu'elle n'était pas blessée.
« Oui ça va Milo, J'ai dévalé la pente avec ma luge ! Si tu avais vu ça ! Je filais comme le vent ! Je suis certaine que j’allai plus vite qu'un cheval au galop ! Je dois juste travailler l’atterrissage »
Le colosse avisa le ravin et les rochers, un pli d'angoisse barrant son front, il attrapa la luge dont l'un des patins était cassé.
« Faut pas recommencer mademoiselle, c'est dangereux vous savez et je crois ben que m'dame Antonina et vot' mère seraient pas contente si elles savaient »
Elle le regardait, ses grands yeux bleu remplis de joie et de rire, eux d'ordinaire si sérieux. Peu d'adultes parvenaient a soutenir ce regard limpide, glacé. Il y avait quelque chose qui les mettaient mal a l'aise, les faisaient se sentir petits, mais pas le vieux garde-chasse.
« Je suis pas quelqu'un de malin comme vous, et certainement pas aussi brave, pour sûr ! Jamais je sauterai au dessus d'un ravin comme vous ! Mais ... »
Dans les grand yeux noirs du garde-chasse au milieu de ce visage buriné et dur, des larmes apparaissait, alors qu'il remontait sa capuche et serrait l'écharpe qu'il avait ramassé plus haut. Il acheva de l'épousseter et la pris dans ses bras.
« J’étais là quand vous êtes née vous savez, je travaillais pour vot' famille d'ja, vot' père il était a la capitale pour affaire ma femme elle vous a aidé a venir au monde.
Moi j’étais a côté, on avait pas pu en voir de marmot nous, alors c'est un peu comme si vous étiez not' fille a nous aussi, si vous arrivait un truc … »
Émue, Katterina se blotti contre l'homme, il parlait rarement et jamais autant en même temps et encore moins de ses sentiments comme ça.
« Merci, Je promets Milo je ferais plus attention maintenant »
Il acquiesça d'un hochement de sa tête massive, ses moustaches la chatouillèrent un peu.
« Zêtes une bonne petite Mamzelle Katya la meilleure enfant qu'un parent pourrait avoir »
Un frisson la parcouru, ses vêtements trempé et le vent la glaçant jusqu'aux os, sans un mot il la serra contre lui et pris le chemin de la maison
« Vous ne direz rien pour la descente ? »
« Je dirait rien, promis ».
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