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Julie me tire le bras, elle tente en toute subtilité de me faire pénétrer dans une boutique de lingerie. Du haut de son mètre soixante et de ses quarante-cinq kilos, elle y met tellement de volonté qu’elle est sur le point de me démettre l’épaule.
— Julie ! J’ai besoin de vêtements, pas de sous-vêtements.
Elle stoppe net ses efforts, plante ses yeux noirs dans les miens et passe à l’offensive.
— Depuis quand es-tu célibataire ?
— Bientôt deux ans… dis-je du bout des lèvres.
— Et lors de ta dernière partie de jambes en l’air, tes sous-vêtements étaient coordonnés ?
— …
Elle agite un doigt accusateur sous mon nez
— Et évidemment ta culotte était en dentelle ?
— En coton, mais elle avait un joli petit nœud sur le devant.
— Et des fleurs ? Et les jours de la semaine ?
— Bien sûr et l’honneur est sauf j’avais la culotte correspondant au bon jour.
— Ava, sois sérieuse, ma nièce qui vient de délaisser ses couches pour des petites culottes a de la plus belle lingerie que toi, alors tu rentres dans ce magasin et tu me laisses faire.
— Tu crois réellement que le désastre de ma coucherie avec Raphaël vient de ma culotte en coton qui n’était pas assez affriolante ?
— De la belle lingerie donne de l’assurance et t’en as besoin. Rentre dans ce magasin avant que je ne te botte l’arrière- train.
— On n’attend pas Cathy ? demandé-je dans un ultime espoir de retarder l’enfilage de soutien-gorge pigeonnant et de mon humiliation à venir.
— Rentre, je la préviens par texto qu’on est là. Elle nous rejoindra.
— Youpi ! Plus on est de fous plus on rit !
— Heureuse que tu penses ça, je vais pouvoir convier toute la bande à la séance d’essayage. Je me demande en combien de temps les garçons arrivent si je leur parle string ?
— Fais les fantasmer, parle le leur aussi de rembourrage, de soutien-gorge vides et de bonnet A.
— J’en connais qui ne s’arrêteraient pas à ce genre de détails, dit-elle en m’attrapant le bras pour me faire pénétrer dans la boutique. Bienvenue au royaume de la dentelle et des dessous d’adulte. On va miser sur du classe et basique.
— Pas de culotte fendue alors ? demandé je en jouant la déception.
— Allez, avance !
Après vingt minutes d’essayage de soutien-gorge, tangas, hipsters, culottes et shortys, Cathy nous rejoint et j’achète trois ensembles qui me semblent jolis et confortables. Je suis plutôt contente de mes achats même si je ne maitrise toujours pas la différence entre hipsters et shorty.
Nous continuons le tour des boutiques et à mesure que mon portefeuille se vide, mes sacs se remplissent. La matinée passe vite et nous rigolons beaucoup.
Nous nous arrêtons dans une brasserie pour nous restaurer. Une musique d’ambiance anime les lieux, ainsi qu’un joyeux brouhaha de conversations. A peine assises, Cathy nous raconte sa dernière prise de bec avec Paul et la réconciliation sur l’oreiller qui en a découlé.
— Je crois que je vais sortir avec Roger, nous annonce Julie de but en blanc.
— Ça ne va pas la tête de nous annoncer des trucs comme ça, j’ai failli en cracher ma pression.
— Sortir avec Roger ? T’es sérieuse ? lui demandé-je.
— Oui. C’est quoi le problème ?
— Il n’y en a pas. Tu veux une relation sérieuse ou … ?
— Moi aussi je veux des réconciliations passionnelles.
— J’ai loupé un épisode, il s’est passé un truc avec Roger ? l’interroge Cathy
— Non, pas encore. Mais si je le décide, ça arrivera.
— T’es optimiste. Je salue ta confiance en toi, tu devrais t’en inspirer Ava, me glisse Cathy avec un clin d’œil complice.
— Crois-tu qu’un homme puisse résister à une plastique aussi avantageuse et à un esprit aussi brillant ? Ou juste à une proposition indécente ?
— Mais c’est Roger ! C’est un ami, protesté-je.
— Raison de plus, je pourrais envisager une relation plus sérieuse avec lui si ça se passe bien. Je l’apprécie. Il me fait rire. Et puis si ça ne marche pas on peut rester potes.
— Je n’y crois pas une seule seconde. Protesté je
— Pourquoi ? J’ai couché avec Bruno et on est pote.
J’en reste médusée, la bouche ouverte pendant que Cathy s’étouffe avec sa bière.
— T’as couché avec mon frère ?
— Ne me regarde pas comme ça, comme si c’était dégouttant ou inconcevable. Il est séduisant ton frère. Ça n’est arrivé qu’une seule et unique fois et c’était il y a longtemps. Avant qu’il ne rencontre Debbie. On avait passé une soirée ensemble, il m’a raccompagnée chez moi et je lui ai un peu sauté dessus dans sa voiture.
— Dans sa voiture ? Mon Dieu quelle horreur, je ne pourrais plus jamais m’asseoir sur ces sièges.
— Dans ce cas, je te déconseille de toucher le capot aussi, répondit Julie en rigolant. Il connaît deux ou trois trucs sympas tu sais.
— Mon Dieu, j’ai des hauts le cœur, je me sens mal, je vais vomir. Tu parles de mon frère ! Pitié arrête !
— Bon, je vous passe les détails. C’était sympa, mais ni lui ni moi ne voulions plus et il n’y a jamais eu de gênes entre nous. On a juste partagé une bonne soirée.
Pourquoi je me sens mal ? Suis-je peinée ou vexée ? Je me sens trahie ? J’ai passé trois ans sans avoir connaissance de cette nuit-là. Un malaise s’installe en moi.
— Pourquoi tu ne nous en as pas parlé avant ? lui demandé je le cœur aux bords des yeux.
— C’est son frère… répond-elle mal à l’aise.
— Pourquoi tu ne m’en as pas parlé ? A moi ! insisté je plus blessée que je voudrais le montrer.
— Ça ne faisait pas très longtemps qu’on se connaissait et je ne savais pas trop s’il y avait quelque chose entre lui et toi ou avec une autre fille de votre groupe de l’époque. J’ai eu peur d’avoir marché sur les plates-bandes de l’une d’entre vous et que vous me rejetiez . Puis les mois ont passé, et ça n’avait plus d’intérêt. Vous m’en voulez ?
— Non, je suis surprise et un peu épouvantée par les images que tu as réussi à semer dans ma tête. Mais vous êtes adultes, vous faites ce que vous voulez.
— Et toi ?
— Moi, balbutié-je, je n’en sais rien, je… Je suis surprise. Je n’ai rien vu...
Je n’ai rien vu, les mots se meurent sur mes lèvres alors que la sensation poisseuse de trahison s’infiltre insidieusement en moi. Je me sens stupide, je n’ai rien remarqué. Ils savent tout de moi. Je n’ai aucun secret pour Julie et m’apercevoir que la réciprocité n’est pas vraie, est douloureuse.
— J’ai merdé, j’aurais dû t’en parler avant. C’est pour ça que pour Roger je vous en parle maintenant. Des objections ?
— Aucune.
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