Derrière les rideaux

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Mon lieu de refuge ? Celui qui promet de se ressourcer ? De penser ? De prendre des décisions ?

Défi rédactionnel relevé !

...

L’idée première de lieu refuge est certainement le lieu que la plupart des gens donneraient… Mais de ce fait il ne s’agirait pas vraiment de mon refuge à moi, que nul autre ne connaîtrait.

Les chances que quelqu’un parle des bras du conjoint ou d’une plage sont trop grandes : ce genre de « lieu », dès lors qu’il est indiqué par une masse, perd de sa singularité, de son sens unique, et de sa garantie de refuge complètement personnel et ce, à jamais ! Même si ce type de lieu est rattaché à des souvenirs qui nous sont propres, ils ne sont pas un refuge consacré à un seul individu… On ne me fera pas croire que la plage est un lieu de refuge si on a besoin d’aller se ressourcer d’humeur spleen et qu’on tombe sur un groupe d’ados jouant au Beach volley en bikini, musique à fond !

Sans chercher bien loin, mon lieu refuge à moi est finalement le plus efficace qui soit, et absolument imprenable ! J’ai la garantie d’être la seule bénéficiaire de l’accès à ce lieu, que je peux rejoindre d’un clignement... Et je ne crois pas si bien dire quand je pense que je souhaite nommer… mes paupières. Oui mes PAUPIÈRES ! C’est vrai après tout : personne ne nous force à choisir comme refuge un lieu concret dont la latitude et la longitude peuvent se donner !

Pour éclairer cette désignation de mon lieu refuge, rien de plus facile…

Si on remonte à l’enfance : que fait-on, mis à part pleurer, lorsque l’on a peur ? Et bien on ferme les yeux et l’objet de notre peur n‘est plus là !

Et que fait le cerveau du bébé après une journée bien remplie ? Il attend la phase de l’endormissement et du sommeil pour repasser par flashs les moments forts de la journée écoulée, comme si on vidéo-projetait ces moments sur la toile tendue de l’intérieur des paupières, dans une pièce noire propice à une excellente clarté des souvenirs visuels !

Les paupières sont une preuve de génie de la part de la Nature : elles humectent à souhait et constamment les globes oculaires. Elles sont ornées de cils qui capturent les poussières, ou les gouttelettes. Les paupières protègent des projections ou éclaboussures, et décident du moment d’appeler le sommeil, quand ce n’est pas lui qui nous emporte malgré nous.

Derrière nos paupières on trouve le repos immédiat des yeux, mais également de l’esprit potentiellement.

Quand on y pense, une multitude d’émotions différentes nous poussent à fermer les paupières : ça peut être parce qu’on nous le demande dans le cadre d’une surprise, grand sourire aux lèvres, ça peut être lors d’une prière, pour marquer du respect religieux. On ferme aussi les yeux parfois pour « voir si on ne rêve pas », et en les rouvrant on se délecte de la confirmation d’une réalité heureuse. Et parmi vous les femmes levez la main celles qui ferment les yeux en faisant l'amour pour capturer les sensations et les emmener avec elles dans leur refuge pour plus tard y repenser !

Cela dit ça peut aussi bien être négatif. La honte pousse à trouver refuge derrière ses paupières: qui n’a jamais fait ça ?

Ou bien considérons les cas où on ferme les paupières à l’annonce d’une très mauvaise nouvelle : encore une fois où se réfugie-t-on? Derrière nos paupières, comme on se réfugiait dans les jupons de nos mères derrière leurs jambes, durant la petite enfance.

Le titre « Derrière les Rideaux » pouvait laisser à penser qu’il s’agissait de véritables rideaux, qui rappelleraient une partie de cache-cache où le candide enfant laisse grossièrement dépasser ses pieds et voir sa silhouette à la lumière de la fenêtre, se sentant pourtant à l’abri ! Ça serait un joli choix, mais un peu gênant pour un adulte qui chercherait à rejoindre cet endroit à chaque besoin de se sentir bien !

Dans mon cas, c’est de la métaphore des yeux fenêtres de l’âme que m’est venue l’image des rideaux. On n’est jamais plus près de soi-même (et de son âme donc) que derrière nos paupières, sans éléments extérieurs pouvant surgir ! C'est finalement le seul lieu dont personne ne peut nous priver la liberté de jouissance.

Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai très tôt appris à me servir de ce refuge, notamment en plein cauchemar nocturne. J’appartiens à cette catégorie des gens qui se souviennent de leurs rêves : quand en temps réel je suis consciente que je rêve mais que ce rêve est mauvais, je me mets accroupie, j’enfonce ma tête dans mes bras croisés et je ferme mes yeux aussi fort que je le peux. Trois fois sur quatre je parviens à me réveiller dans mon lit, les paupières fermement tenues fermées, telles que j’ai quitté le cauchemar. Redoutable technique ennemie du croque-mitaine. Et tant pis pour la fois sur quatre où je finis dans la gueule du requin ou je reste nue dans ma salle de classe !

Voilà sans pathos je l’espère, je finirais en me livrant un peu plus personnellement sur ce choix de désignation des paupières comme lieu refuge : à l’âge où les enfants acquièrent le langage, vers trois ans, moi je suis devenue muette après un choc traumatique. Ça a duré près d'un an. On m’a raconté que lorsque des questions insistantes me gênaient, ou qu’on voulait me pousser à parler je fermais les yeux. Cela n’étonne pas l’adulte que je suis aujourd’hui.

Les paupières sont un lieu refuge toute notre vie, et seront le refuge éternel, à notre mort, après que les volets aient été tirés définitivement sur les fenêtres de l’âme du défunt.

Raisons physiologiques mises à part, je pense qu'on vivrait deux fois moins longtemps si on ne disposait pas de paupières car la vie peut se révéler être si bouleversante et pénible qu'elle nous serait certainement insupportable sans la possibilité de trouver refuge quelque part toutes les quatre secondes, aussi furtif soit-il.

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