Le Spationef Coincé (34)

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La foule est partie. Il reste encore quelques grappes d’humains, par-ci, par-là, qui préfèrent encore le spectacle de Superman. Les autres sont en route, à pied et dans des embouteillages terribles pour dévaliser tous les magasins de la ville. A mon avis, ça risque d’occuper pas mal de monde pour les heures à venir…

De mon côté, j’attends toujours les premiers effets de mon plan. Selon mes calculs, Jojo ne devrait pas mettre plus de vingt minutes à ruiner les moyens de communication du Quartier Général de Kenobi. Le cœur battant, j’observe les lieux avec attention. Je ne sais pas exactement quels seront les résultats de ma stratégie de départ mais je compte sur mon ami qui, je vous le rappelle, se trouve quand même à l’autre bout du pays, à San-Francisco. S’agira-t-il d’une onde sismique, d’une tempête de sable, ou encore d’une vague électro-magnétique-machin-chose ? J’imagine les pires scenarii possibles avec le vague espoir que tout se passera sans destructions majeures. Je voudrais, est-ce folie ou prétention de ma part, agir avec plus de discernement que la horde de Super-Zéros en face de moi. Tous ceux-là ont, en effet, une fâcheuse tendance à tout réduire en miettes, ce qui finit par coûter cher en impôts locaux au citoyen moyen.

Un bon black-out me comblerait d’aise, à vrai dire. De la sorte, tout serait figé : plus de transports en commun ; plus de transports personnels à cause des encombrements gigantesques qui en découleraient ; Wall Street à l’arrêt, juste pour avoir le plaisir de voir tous les milliardaires perdre un peu de ces fortunes gagnées sur les dos des pauvres, et puis toutes les usines contraintes à l’arrêt aussi, stoppant pour quelques temps leurs productions parfumées au dioxyde… Et toutes les autres choses auxquelles je ne pense pas mais qui seront autant d’obstacles et qui seront autant de bons points pour mon plan. La population serait tenue loin du champ de bataille et les belligérants ne pourraient tenter aucune retraite. Sans compter que, privés de leurs moyens technologiques, les sbires du Jedi seraient presque réduits à ne plus pouvoir nous surpasser… enfin, j’espère !

Pour le moment, les antagonistes en sont encore à s’observer, à disposer leurs troupes en vue d’une contre-attaque que je sens imminente. Seul Superman qui continue de faire l’andouille entre les nuages ne semble pas savoir à qui s’en prendre. M’étonne pas de lui… Batman avait raison : dans son costume stupide, on dirait un échappé de la Gay-Pride.
N'empêche que je compte les minutes, de plus en plus inquiet. Et si Jojo avait raté sa toute première mission ? Si ce doux iconoclaste était tombé entre des mains hostiles qui l’auraient placé, manu militari, dans une oubliette ? Je cogite tant et tant qu’à la fin je gamberge. De toute façon, je ne peux rien faire qu’attendre pour le moment et citer, une fois encore, mon cher Jules et son trop fameux « alea jacta est », mais d’un ton pas très convaincu, je dois bien l’avouer.

Puis, les choses commencent. Je crois que c’est au moment ou j’aperçois Batman, accompagné de son indécollable Robin (qui n’est pas de bois) au sommet d’un gratte-ciel voisin. Ils font de grands gestes, comme pour attirer l’attention sur eux. Fiers comme je les imagine, je me dis distraitement qu’ils doivent essayer de faire oublier Superman, dont je sais qu’ils sont très jaloux. Les couleurs indiquées plus haut, j’imagine… Surpris, je les considère pour tenter de comprendre ce qu’ils manigancent peut-être. Je n’aime pas ça…
Premier grain de sable dans mon plan.
En attendant, et allez savoir pourquoi, ça met le feu aux poudres !

Les sauvages d’Obi Wan se ruent soudain à l’assaut des Agents qui, surpris, tardent quelques instants avant de réagir.
Fatalitas ! Le choc est terrible et, rapidement, les Agents semblent débordés. Les sabres-laser, sortis de je ne sais quelles poches dissimulées illuminent de toutes les couleurs le tumulte de la bataille, pendant que quelques adversaires parviennent à utiliser de ces curieuses machines qui transforment une poignée d’ennemis en chair à pâté dans de curieux bruits spongieux ! J’entends aussi le bruit sulfureux de l’acide que Miss Allien répand à profusion autour d’elle et chaque malheureux qui se prend les pieds dedans finit rapidement par ne plus être qu’une désastreuse flaque verdâtre, fumante et malodorante. De la soupe de soldats de l’espace, quoi.
Et pas fraîche, c’est évident…

Je repense soudain à quelques passages de l’Iliade, mon roman préféré, là où Homère plus inspiré que jamais nous parlait du regard sombre d’Ulysse, des saintes colères d’Achille ou encore des rodomontades d’Hector… J’ai sous les yeux leurs descendants, venus des confins de nulle part, lancés dans une lutte inutile et stupide, avec la Terre en guise de belle Hélène. Ils s’affrontent avec hargne, oublieux de tous les ronds de jambe aimables et hypocrites qu’ils m’offrirent en façade. Ils se sont tous servis de moi pour arriver à cet instant critique et, maintenant, ils se déchaînent les uns contre les autres pour solder quelque vendetta issue de je ne sais quelle histoire. Les salauds !

Tout ceci ne fait que renforcer ma volonté de leur rappeler que les seuls maîtres de cette planète, c’est nous, les humains. Rageur, je commence à rouspéter intérieurement parce que Jojo tarde à faire son boulot. A l’heure qu’il est, il devrait avoir tout fait exploser malgré lui. Lui avec, peut-être !

Pour l’instant, les complices du Jedi sont en train de mettre la pâtée aux Agents qui plient sous les coups, tentent de se regrouper pour mieux se défendre mais Obi Wan veille au grain et harangue ses troupes déchaînées. Pour un peu, ça me ferait un peu mal au tripes de les voir se faire démonter totalement, ces pauvres types en costumes bien propres. Agent, en tête devant ses soldats, continue de résister avec rage et bravoure mais je vois bien qu’il cherche une issue, une fuite possible. In petto, je me dis que ce serait la dernière des choses à faire, tout le monde sait bien, pour peu qu’on ait jamais ouvert un livre d’histoire, que toute armée qui prend la fuite se fait hacher menu par ses poursuivants. Pourtant, je pense aussi à Horace, dernier des trois frères survivants du combat qui les opposaient aux Curiace… Peut-être que ce bougre d’Agent prétend fuir pour mieux diviser ses ennemis avant de les abattre, un à un ? Je ne sais plus trop quoi penser, très préoccupé de ne rien voir se produire des actions attendues de mon Jojo de Frisco…

Heureusement, ma torture prend soudainement fin : sans prévenir, voilà que les troupes du Jedi se défont, partent dans tous les sens, dans le plus grand désordre. Les sabres-laser s'éteignent, comme privés de pile. Du coup, les combats cessent en un instant. Tout le monde en est fort surpris, bien sûr, sauf moi qui, hurlant presque de joie animale, trépigne une danse de Sioux autour de ma cabine téléphonique : Jojo a fait ce que j’attendais de lui. Les armes des fous furieux de l’espace ne fonctionnent plus !
Ceux qui sont heureux du fait sont les Agents, bien entendu. Après quelques secondes d’indécision, voilà qu’ils comprennent que quelque chose vient de se produire dans le camp adverse. Alors, ils se regroupent très vite puis, dans une clameur terrible, se lancent d’un coup à l’assaut des troupes débandées d’Obi Wan. Les assaillants sont devenus les assaillis et courent en tout sens pour se tenir hors de portée des coups !

La première partie de mon plan à fonctionné. J'en soupire d'aise, croyez-moi ! J’avais bien raisonné en estimant que la base du Jedi, une fois neutralisée, couperait les moyens d’attaque de ses troupes. Je me félicite sans vergogne, marchant de long en large sur quelques mètres avant de revenir sur mes pas pour me rassasier du spectacle.

Mais je ne dois pas perdre mon sang froid ; au tour des Agents, maintenant…


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