Le Spationef Coincé (40)

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L’information ne manque pas de poids. D’ailleurs, je me sens un peu écrasé. Écrasé par les risques que cela signifie pour moi, mais aussi par la stupidité d’Adolphe. Soudain, je n’ai plus trop envie de parler. Ou, plutôt, je ne sais  plus quoi dire ! Mais mon ami n’est pas du genre à me laisser tranquille (la preuve !)

-    Ne t’inquiète pas : personne ne te trouvera. Tu sais bien que je veille sur toi, non ?

-    A vrai dire, si tu pouvais te pencher sur le cas d’un autre, surtout en ce moment, je crois que je ne t’en voudrais pas, tu vois ? fais-je, fataliste. Et tu avais une raison particulière pour faire de moi l’ennemi public ?

-    Il a bien fallu que j’endorme tout le monde avec quelques salades bien assaisonnées, tu devrais quand même penser à ça… fait-il, alors qu’il prend un gros pied de biche pour démonter son énorme caisse en bois…

-    Et qui en particulier ? grogné-je, pas très convaincu.

-    A commencer par tous les malades en costumes noirs qui gardaient la base des Agents. Tu sais, ils ne sont pas tous gentils, ceux-là.

-    Explique-moi un peu… ?

-    Facile ! Je suis arrivé avec peu de retard parce que je ne trouvais pas la bonne entrée de leur entrepôt tout moisi. Enfin, rien de bien grave, tu sais ce que c’est ! Donc, quand j’ai trouvé la petite astuce pour rentrer chez eux, il…

-    La petite astuce ?

-    Ben oui, quoi ? Tu dois comprendre que tout espion qui se respecte doit absolument protéger son antre des intrusions. Au moins pour se prémunir contre les moins "fufutes" parce que, pour ce qui est des pros de mon genre, je te promets que c'était trop facile. Des rigolos dangereux quand même, note bien, ces gars-là, parce que leur arsenal aurait de quoi faire mourir de jalousie nos plus grands inventeurs de machines à tuer. Et aimables, avec ça, je te raconte pas !

-    Tu dois aussi comprendre ça, non ? lui rétorqué-je, histoire de ne pas paraître trop largué…

-    Bien sûr, tu penses ! fait-il, tout à son récit. Alors, ensuite, je me suis fait attraper, tu penses bien.

-    Comment ? m’étranglé-je de surprise.

-    T’inquiète, que j’ te dis ! C’était prévu dans mon plan, tu penses ! Alors, ils m’attrapent, me collent quelques gnons pour m’aplanir les prétentions puis me flanquent dans une sorte de cellule avec un siège de dentiste au centre.

-    De dentiste… réellement ?

-    Bon, peut-être pas de dentiste mais, franchement, ça y ressemblait vachement. Et puis on s’en fout, de toute façon, non ?

-    Si tu le dis…

-    Ils me ficellent comme un rôti puis, alors qu’ils me croient prêt pour passer au four, voilà que je me détache en un éclair et…

-    Tu as fait comment ?

-    Mais arrête de m’interrompre sans cesse ! s’exclame-t-il soudain. Tu sais qu’on a encore pas mal de choses à faire pour calmer tous ces ahuris, alors silence, vu ? m’intime-t-il d’un ton sans réplique.

Bon, je me tais…et il me raconte tout d’une traite :

« J’avais tout mon petit équipement de survie, tu penses ! Quand ils m’ont cru assez endormi, c'est moi qui les ai endormis les uns après les autres en deux coups de cuiller à pot : une manchette dans le nez par-ci, un uppercut par-là ; quelques coups de pieds là où ça fait mal quelque soit la provenance des humanoïdes en question ; encore quelques coups de tête entre les deux yeux et l’affaire était bâclée ! La suite aurait pu être encore plus facile mais j’ai découvert, à ma grande surprise, je dois bien te l’avouer, qu’ils sont tous reliés à une sorte d’ordinateur spécial, un truc qui te plairait d’ailleurs, mais qui sonne l’alarme dès qu’un de leurs membres tombe dans les pommes sans prévenir…
Alors, j’ai cavalé dans des couloirs, traversé des salles bizarres avec plein de trucs et de bidules que je serais incapable de te décrire, pas le temps de faire de photos, tu penses ! Et puis, comme j’ai vite compris qu’ils allaient me pousser dans un recoin d’où ils pourraient me faire toutes les misères du monde, j’ai fait volte face. Voilà.

Hein… ? Comment ça, « voilà » ? Bah, voilà, quoi ! Tu comprends pas ? Pff… bon je t’explique aussi ! T’es lourd, tu sais ?
Alors, je fais volte face et…je les ai tous éclatés, voilà, t’es content ? Comment j’ai pu me faire une douzaine de mecs à moi tout seul ? Bah…comme d’hab’ !
Écoute, maintenant, tu me saoules, je vais pas te raconter ma petite vie au quotidien, d’accord ? Rendre pensive une escouade de types qui se prennent pour des malabars, tu sais, y a rien de plus simple à faire. Un jour, tu viendras avec moi en Tanzanie, ou pas loin. Tu verras : avec un peu d’entraînement…et quelques kilos en moins, tu seras surpris de ce que tu pourrais faire en cas d’urgente urgence !
Bon, maintenant, tu t’imagines qu’ils dorment tous comme des bébés, certains plus que d’autres pour cause de rasade supplémentaire de sommeil, pointure 44 fillette, et je commence à faire le tour du proprio.

T’aurais vu tous ces machins ! Bon, je sais pas à quoi ça peut bien servir mais je peux quand même te dire que nos espions seraient ravis d’avoir du matos aussi évolué. Non, je te raconte pas ! Un peu plus loin, j’ai enfin découvert leur arsenal privé. Là, pas de problème pour reconnaître : une arme sera toujours une arme, toujours avec la même fonction. Donc, je farfouille, fais quelques tests. Dans les murs, rassure-toi. Non, je te dis ça parce que je te connais : tu vas me demander si je les ai tués. Non, bien sûr ! Je ne suis pas un assassin, je te rappelle. Bref, je teste leurs trucs et leurs machins et je garde les meilleurs pour nous, tu penses ! Ensuite, comme tu me l’avais demandé, je vois comment détruire leurs moyens de communication. Comment j’ai fait ? Bon, là, il faut que je t’avoue que j’ai un peu, comment dire…improvisé ? Voilà : improvisé ! Pour ma défense, tu dois te rappeler que je ne connaissais pas trop bien les lieux, pas trop le matériel à dispo, ok ? Alors, quand j’ai repéré les endroits stratégiques, c’est-à-dire une énorme salle avec plein d’écrans branchés en direct sur New-York, j’ai su quoi faire.

Par contre…et c’est là que j’ai improvisé, je ne savais pas comment faire, tu vois ? Pas simple, hein ? Alors, comme j’avais un avion à prendre pour te rejoindre et que j’aime pas être en retard, j’ai fait avec les moyens du bord. Dans les équipements de ces chers Agents, j’ai trouvé des espèces de bâtons, courts et ronds comme de la dynamite, avec une jolie petite mèche à une extrémité. La confusion était facile, tu penses ! Bon, j’ai réuni quelques-uns de ces bâtons, une petite centaine, guère plus, puis j’ai sorti un peu d’amadou. L’amadou ? Pour allumer un petit feu, bien sûr ! Vraiment, tu ne connais rien, dans ton genre ! Bon, j’amadoue donc un peu mon amadou, je prends deux silex que je frotte et, en un tour de main, voilà que je te fais un petit feu de joie que j’alimente avec quelques meubles en bois que j’ai réduit en morceaux acceptables et deux trois bouts de moquettes. Pendant que les flammes prennent leurs repères, je sors tous les lascars endormis. Malheureusement, j’ai perdu un peu de temps… Quand je suis remonté dans la place, après m’être un peu perdu, faut reconnaître, le feu avait pris un peu d’ampleur…

Pour être honnête, presque tout l’étage était en en train de carboniser. A mon avis, c’est à cause de tous les produits chimiques qu’ils mettent dans vos meubles de citadins, tu vois, des produits qui aiment bien les flammes, ou qui en provoquent à la première occasion. Alors, comme j’avais plus les moyens de revenir dans cette salle et que le feu faisait déjà de la belle ouvrage tout seul, je me suis dit que je pouvais embarquer tout mon petit matériel avec une de leur voiture. Je t’avoue que je ne sais pas trop conduire ce genre de chevaux mais, pour ce qui est de la taille du coffre, pardon ! C'est incroyable tout ce qu’on peut mettre là-dedans ! Pour gagner un peu de temps, j’ai tout mis dans cette caisse. J’en avais une deuxième, un peu plus petite mais j’ai dû la laisser sur place. Pourquoi ? Ben… note que j’ai quand même eu pas mal de chance, encore une fois : la seule voiture assez grande que j’ai trouvée se trouvait loin du bâtiment principal, là où le feu sévissait de plus belle à chaque seconde. C’est fou, quand même, la vitesse de propagation de ce genre de choses, non ? Bref, je charge la voiture dans la caisse...euh...non : je charge la caisse dans la caisse..;non plus ! La voiture dans la voiture ? Toujours pas...attends une seconde, je réfléchis... La caisse dans la caisse  ? Voilà, c'est ça : la caisse dans la voiture ! Et je me dis comme ça que je ferais bien de la rapprocher de l’entrée pour charger la seconde. Alors, je bricole un peu le démarreur en tripatouillant dans les fils, comme j’ai vu faire dans les films. A force de chercher, ça a fait quelques étincelles et, presque tout de suite après, le moteur s’est mis à ronronner comme un petit chat. Là, je dois dire que je reconnais qu’ils savent entretenir leur matériel, tes Agents. Chapeau ! Bon, t’énerves pas, je te raconte la suite !
Alors, je démarre, doucement, n’est-ce pas, et je m’apprête à avancer vers l’entrée, comme prévu. Seulement…
Seulement, les petits bâtons qui ressemblaient à de la dynamite… une petite centaine, je te le rappelle, une toute petite centaine de rien du tout… ben…mais c'est à cause des flammes, je pense. Elles ont explosé. Oui, je sais… c’était pas prévu dans mon plan, tu penses !

Mais bon, tout à pété en une seconde ! Je te raconte pas… ça a fait un de ces champignons ! Moi ? Je crois que je suis tombé un peu dans les pommes. Je te dis ça, je ne suis pas sûr mais, quand même, je me suis retrouvé à un autre endroit quand  j’ai rouvert les yeux. M’enfin, toujours est-il que j’ai eu un sacré coup de bol. A quelques secondes près, je partais en fumée comme tous les autres Agents. Hein ? Ah bah, oui, là…sont tous morts, tu penses ! Ceux que j’avais sortis de la bâtisse ? Pareil, mon pauvre vieux ! Mais c’est un peu normal, que veux-tu que je te dise ? Avec des bâtons aussi explosifs dans une maison pas prévue pour résister aux explosions, aussi… D’ailleurs, moi qui te parles droit dans les yeux en ce moment, si je m’en suis sorti sans une égratignure, c’est bien parce que j’étais en train de contourner un petit hangar annexe qui m’a protégé sans le vouloir du souffle et de l’onde de choc. Bon, ce hangar a rendu l’âme aussi, mais tu aurais dû voir l’onde de choc, justement. Comme à la télé, tu sais : un grand rond tout blanc qui secoue les poussières par terre à une vitesse terrible !

En attendant, le choc dans l’air m’a un peu coupé le sifflet. Pas longtemps, note bien : un costaud dans mon genre, ça manque rarement d’air, faut bien reconnaître.

Seulement, le temps que je reprenne mes esprits, les uniformes bleus, accompagnés des pompiers et d’une armée entière d’ambulance de toutes les couleurs ont déboulé et m’ont trouvé un peu groggy encore. Remarque, ça m’a bien servi pour leur chanter la messe, à ceux-là aussi ! Parce qu’il a fallu que leur explique ce que je faisais ici, tu penses ! Pour eux, cette zone industrielle n’était plus active depuis des lustres. Devine qu’ils étaient inquiets de savoir pourquoi tout avait pété sans prévenir. Bref, j’ai profité d’un moment d’inattention de tout ce petit monde pour me carapater, ni vu, ni connu.

Heureusement que j’avais pris le temps de regarder un peu les belles perspectives de New-York sur les écrans avant que tout flambe, comme ça j’avais une bonne idée de l’endroit où te retrouver, tu vois ?

Avec tout ça, j’étais pas en avance, tu penses ! J’ai failli manquer mon avion à quelques minutes près. Tu sais comme j’ai horreur d’être en retard à mes rendez-vous, hein ? Je pense que ça vient des milliers d’enquêtes que j’ai faites à pister les maris cocus. Eh oui, mon pote : cinq minutes de retard et tu as manqué la pâmoison et ton appareil photo, eh ben, tu peux le ranger dans ta sacoche ! Trop tard, le coup est parti et tu peux les laisser se rhabiller !

Mais, pour revenir à mes salades, t’as vu, au fait, j’ai fait vite, tu noteras bien, j’ai pris mon avion comme prévu, avec ma caisse dans la soute à bagage, comme prévu aussi.

Là où j’ai ramé, c’est pour te retrouver, en fait. Tu as pas mal bougé et, je dois t’en faire le compliment…si, si, j’insiste, tu as fait du beau travail aussi de ton côté, tu as su te trouver aux bons endroits aux bons moments. Je t’ai juste un peu perdu de vue pendant une heure ou deux, à cause d’un gros vieillard en uniforme et couvert de médailles qui semblait te pister comme ton ombre…

Mais tu me connais : tout dans la dentelle et la douceur. J’ai pris quelques minutes pour réfléchir. Pour m’orienter aussi, un peu, parce que New-York, hein ? En guise de village, ils ont mis un peu trop de people, là-dedans !

Mais bon, nous voilà réunis mon ami, et, encore une petite seconde pour ouvrir cette fichue caisse, nous serons…gngnnnn… saleté de clous, ils tiennent bien, hein ! Donc…gnnn… encore un petit dernier….gnnnn…et… Tadaaaa… Je te présente ton arsenal !

Vous savez quoi ? Il m’a filé mal au crâne, ce con…

-    Adolphe…il y a des fois où tu me filerais presque le bourdon, tu sais…

-    Bah tiens, puisque tu en parles : figure-toi que, pas plus tard que la semaine dernière, j’étais en repérage à Kinshasa pour aider un pote dans la misère, je suis tombé sur une ruche et…

-    La ferme ! hurlé-je soudain. Tu me fatigues, Adolphe ! Non, tu me fatigues pas : tu m’épuises !

-    Je sais, je sais...fait-il sans s’émouvoir. C’est mon côté ensorceleur…

-    Tu penses !!




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