Le Spationef Coincé

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Il y a des jours où je ferais mieux de rester couché...
Dire que je n’en mène pas large serait insuffisant : j’ai carrément les chocottes.
C’est peut-être à cause de l’ambiance un peu apocalyptique.

Il est vrai que tomber au fond d’un gouffre, ne pas en mourir malgré une chute de presque vingt mètres sans rien de plus que quelques égratignures et, enfin, se trouver nez-à-nez avec ce qui ressemble furieusement à un vaisseau spatial n’a rien de commun, au moins pour moi.

Mais dans quel pétrin me suis-je encore fourré !
J’allais au boulot, comme tous les matins. Le temps était un peu gris, c’est vrai, mais qui aurait pu prévoir la suite ? Le sol s’est mis à trembler, j’ai entendu dégringoler des vitres un peu partout, des gens se sont mis à hurler autour de moi, et puis j’ai manqué me faire renverser par une voiture. Je me souviendrais toujours du regard terrorisé du conducteur qui se précipitait malgré lui sur ma carcasse. Le pauvre bougre avait perdu les pédales, surtout celle du frein.

Quand on dit que, parfois, l’instinct prend le dessus sur la raison, je sais aujourd’hui que c’est vrai. Et pour cause : quand j’ai vu arriver la voiture sur moi, mes muscles se sont contractés comme des ressorts et j’ai bondi dans la direction opposée sans seulement réfléchir aux conséquences.

Un superbe saut de gazelle. Au ralenti, je crois que cela aurait pu faire une excellente séquence au journal de vingt heures. Surtout quand, alors que je tendais les bras bien devant moi pour donner plus de force à mon geste désespéré, la terre s’est ouverte sous mes yeux terrifiés, pile sous moi. Un super effet spécial, avec moi dans le rôle principal du pauvre type avalé par une gigantesque bouche en bitume.

Heureusement que j’avais les bras tendus, malgré tout. Mes mains ont amorti le premier choc contre les parois rugueuses de la terre où je m’enfonçais dans une cascade de roulés-boulés du meilleur effet, avec mes cris mêlés de peur, de douleur et de colère de ne pas savoir ce qu'il m’arrivait.

J’ai atterri sur la tête, ce qui m’a valu quelques heures de sommeil. Je pense quelques heures, mais en fait, je n’en sais absolument rien. La lumière du jour arrive encore jusqu’à moi mais plus avec la même intensité. Alors, peut-être bien que j’ai dormi quelques heures. Je ne sais plus très bien où j’en suis, en fait. La seule chose assurée, c’est que je suis tout seul ici.

Or, je n’aime pas être tout seul, j’ai horreur d’être tout seul. Et par-dessus tout j’ai horreur d’être tout seul au fond d’un trou, en plein centre de San Francisco aux heures de pointe ! Et puis, j’ai peur du noir, voilà…c'est dit.

J’ai crié, hurlé, braillé à m’en rompre les cordes vocales pour attirer l’attention de quelqu’un, là-haut, mais je n’ai eu pour lointaine réponse que le sifflement indifférent du vent, et rien d’autre. Personne au bord de ce précipice pour me proposer une main secourable, une corde de vingt mètres, un hamburger, un cigare ou un bon livre. Rien !

A force de crier comme un sourd, je me suis brisé la voix. Maintenant, je peux tout juste proférer quelques sons rauques. Une voix rocailleuse, dit-on. Un homme de Neandertal en somme.

J’ai donc été obligé de faire quelques pas dans mon nouveau domaine puisque je n’avais plus rien d’autre à faire. Tout ça pour constater que je me trouve dans une espèce de clairière souterraine, d’une centaine de mètres carrés, peut-être. L’architecte devait pas être un as parce que, franchement, il n’y a pas un seul angle droit ici. Rien que des arêtes bien coupantes, des stalag-machins qui montent ou qui descendent de partout et, surtout, pas un bout de moquette où s’allonger pour réfléchir confortablement. De la pierre et de la terre noire, rien d’autre.

Avec la lumière qui arrivait encore jusque là, j’ai eu vite fait le tour du propriétaire. Bien entendu, pas de panneau pour m’indiquer la sortie, pas d’horaires de ramassages des ordures, pas de taxis. Même pas les jours ni les heures pour la messe !

Un trou…perdu.

Le nez en l’air, j’ai imaginé faire le chemin inverse en escaladant les parois. Illusion vite perdue après quelques essais infructueux qui m’ont écorché les mains et les genoux. C’est vrai qu’avec mes cent-cinquante-sept kilos, je n’avais pas grande chance d’y arriver…

Donc, souffle court, mains et genoux ensanglantés, je me suis mis à tourner en rond, enfin presque puisque ma clairière minérale ne connait rien non plus de l’invention du cercle, et j’ai fini par apercevoir une chose brillante. Il a fallu une bonne dose de hasard encore, juste un reflet qui m’est arrivé pile au coin de l’œil alors que j’allais passer pour la centième fois devant sans le voir.

J’ai aperçu cette chose qui semblait métallique, enfin peut-être pas du métal à proprement parler, mais au moins une chose qui ne ressemblait pas à de la pierre et qui reflétait les rayons de lumière. Je n’aurais pas su dire, à cet instant, ce que c’était précisément. C’était là, devant moi et ça n’attendait que ma curiosité. Une radio de secours pour gros machin tombé dans un cul de basse-fosse ? Sur le coup, j’avoue que j’ai espéré très fort, mais j’ai vite ouvert de grands yeux surpris. La terre autour de ce machin en métal était meuble, alors j’ai creusé avec mes mains qui n’en étaient plus à ça près. Et plus je creusais, plus le truc apparaissait, sans vouloir se découvrir dans sa totalité.
Au bout de je ne sais pas trop combien d’efforts haletants, j’ai fini par découvrir une sorte de… navette ?

Comment dire, c’est fait de métal un peu brillant, lisse, sans la moindre rayure, dur comme diamant. Au départ, je ne voyais rien de précis. Ensuite, probablement parce mes yeux s’étaient accoutumés à l’obscurité, j’ai distingué des teintes différentes, plus ou moins sombres. Pour finir, j’ai repéré la forme d’une porte… Un sas, plutôt.

J’ai cherché un insigne, une immatriculation ou une chose de ce genre pour me convaincre qu’il devait s’agir d’un appareil militaire secret mais je n’ai absolument rien trouvé : pas une trace de peinture, un rivet, un boulot, une tâche d’huile. Rien, nada, niente, zob !

Et pourtant,  je me suis escrimé dessus pendant des heures. Mais pas le moindre bouton, pas d'écran à code, pas d’interrupteur, en fait rien qui aurait pu faire office de poignée. Maintenant, je suis persuadé qu’il s’agit d’un engin qui n’est pas humain. Rien de moins !

C’est quand j’allais abandonner qu’un ultime rayon de lumière est venu frapper un point précis de cet objet. Et là, miracle !

Dans un bruit de cocotte-minute qu’on ouvre quand le poulet est cuit et dans un léger nuage de vapeur froide, comme dans les films d’horreur, la porte à joué sur ses charnières… Ça sentait la rouille et le pourri, ce qui me fait croire depuis que cet engin est planté là depuis une éternité.
Au moins depuis un bon bout de temps.

Maintenant, je suis encore un peu plus inquiet pour mon avenir immédiat, parce que si je décide de franchir cette porte qui n’attend que moi, je vais devoir m’éloigner du peu de lumière qui arrive encore ici.

J'ai fait mine de réfléchir un peu, genre Penseur de Rodin de pacotille égaré dans sa fosse pierreuse, mais je savais déjà au fond de moi que je n’avais guère le choix : remonter par mes propres moyens est impossible. Il est déjà miraculeux que je sois encore en un seul morceau et il est évident qu’une nouvelle tentative se résumerait à tenter le Diable. Diable qui, peut-être, ne se trouve qu'à quelques mètres sous mes pieds…

Alors, ce n’est pas que je sois superstitieux, mais je ne vais justement pas tenter le Diable ; ça porte malheur !

Après quelques dernières et inutiles hésitations, je me décide enfin à franchir… le seuil. J’ai l’impression de pénétrer dans l’antichambre de l’Enfer. Carrément.

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