Le Spationef Coincé (6)
Les canettes de bière s’accumulent sous mon nez et Marcel continue de vider les suivantes avec une régularité désarmante. Maintenant qu’il est sûr d’avoir toute mon attention, il se lance dans un récit incroyable.
- En guise de découverte, on a donc trouvé un monde, le vôtre, et sincèrement, ça nous a pas emballés des masses. Vous en étiez aux armes à feux, vous cheminiez à dos de cheval, vos premières machines à vapeur étaient des engins ridicules, lourds, lents et incapables de vous laisser ailleurs qu’au terminus de deux voies parallèles. On a vite déduit qu’on était dans la béchamel pour les matériaux dont on avait besoin pour réparer. Obi a tenté une sortie pour estimer le potentiel de vos savants mais on a cru qu’il allait nous faire un infarctus tant il rigolait en revenant à bord ! Ensuite, on a envoyé quelques robots-sonde la nuit pour faire des relevés terrestres. On espérait dénicher les minerais de base pour bricoler une solution de fortune mais, tu vois, votre planète manque absolument de tout. Belle planète bleue, vue de loin mais, en fait, un satellite inutile, si je peux me permettre…
Un peu vexé par la cruauté des premiers commentaires du mécano, je me dis quand même que je trouve enfin une explication valable à tous les vols étranges relevés depuis des décennies et qui n’avaient jamais de suite… Les OVNI de toutes les galaxies ont bien survolé nos continents mais, faute d’intérêt, ils sont repartis sans laisser de carte de visite. Un mal pour un bien, après tout. Allez savoir ce qu’ils auraient bien pu nous faire s’ils avaient découvert les trucs qu’ils cherchaient pour leur commerce !
Un brouhaha s’installe peu à peu autour de nous. Toujours personne en vue pourtant j'entends des bruits de plus en plus présents. Bizarre. Je ferais bien un petit entracte mais Marcel ne me laisse pas le temps de me sauver.
- Comme on a vite compris qu’on était en mauvaise posture, il a fallu trouver une solution pour nous tirer de là. Et c’est là que les premières expériences ont commencé…
- Les expériences ?
- Exact : des expériences. Parce qu’Obi Wan avait décidé, entretemps, qu’il fallait vous aider à faire quelques progrès si on voulait s’arracher un jour de l’orbite de votre planète. N’oublie pas qu’on n’avait plus de moyen pour lancer le moindre appel de secours, tu vois ? Il fallait qu’on se débrouille tout seul et sans aucune ressource. Pas simple !
- Mais vous aviez besoin de quoi ? demandé-je, surpris.
- Pour faire fonctionner nos moteurs, et la plupart de nos outils, il faut combiner certaines molécules pour modifier leur vitesse. Et, si tu n’étais pas aussi bête que tu en as l’air, tu saurais qu’en modifiant la vitesse des molécules, on produit de la chaleur. Donc de l’énergie…
- Et vous ne pouviez pas extraire un peu de pétrole pour en faire de la chaleur ? répliqué-je, piqué au vif.
- Laisse-moi rire ! Votre pétrole n’est bon qu’à remplir les poches des tordus qui continuent de vous faire croire que c’est la seule énergie disponible sur cette planète ! rigole-t-il à pleine dents. Non, il nous faut du sérieux, du matos qui ferait des petits tas de cendres de vos villes les plus grandes, tu vois le genre ?
- Une réaction atomique ?
- Toujours insuffisant ! Enfin, je te dis ça, mais je sais que vous en êtes toujours à croire qu’on ne peut pas dépasser la vitesse de la lumière. Alors, le genre d’énergie dont on a besoin, vous n’êtes pas encore capables de seulement l’imaginer… C’est pas de votre faute, je sais bien, mais l’atome c’est ridicule. C’est tout juste bon pour expliquer les règles de base à nos mômes en maternelle ! Non, je te dis de l’é-ner-gie ! Si on devait se contenter de la puissance d’un soleil pour se promener, on n’irait nulle part, conclue-t-il en vidant une nouvelle bouteille.
Mazette… La force d’un soleil ne suffit pas à alimenter les moteurs du Faucon Millénium ? J’avoue que j’ai du mal à imaginer une puissance supérieure.
- Donc, Obi a décidé un matin qu’on allait vous donner quelques petits coups de pouce pour alimenter les cerveaux un peu creux de vos savants. On savait aussi qu’on aurait besoin d’une main d’œuvre gigantesque, alors il a estimé qu’on irait un peu plus vite en vous offrant les moyens technologiques de base pour nous aider sans vous en rendre compte.
- Je ne comprends pas… tu veux dire que…
- Que la plupart de vos inventions du dernier siècle sont directement issues de nous ? Oui !
- Mais…
- On Vous a observé quelques temps puis on a vite compris que vous ne vous bougiez le popotin qu’à la condition d’être en danger de mort. Et on a vite compris, surtout, que dès qu’il est question de vous entretuer, vous êtes capables de belles surprises.Alors, on a provoqué quelques petites guerres, par-ci, par-là, en veillant à chaque fois à vous mettre sur la voie de découvertes importantes pour nous... Aah, vos guéguerres... quelle astuce pour vous faire avancer ! termine Marcel en liquidant une nouvelle canette.
- Tu veux dire, par exemple, que la première guerre mondiale… ?
- Vous a permis de lancer plein de technologies nouvelles ? En effet…à commencer par l’aviation. Il fallait qu’on vous dirige un peu dans le sens qu’on voulait, tu comprends. Puisque nous devons reprendre les airs un jour, il nous à paru évident de vous mettre sur les rails, si je peux dire. Note, quand même, qu'avant d'en venir aux armes, on a tenté de vous aider pacifiquement en dépêchant deux de nos ingénieurs, pédagogues à n’en plus pouvoir, pour vous mettre quelques évidences sous les yeux.
- Deux ingénieurs ? Mais on n’a jamais eu le moindre rapport avec un quelconque être venu de l’Espace ! Qu’est-ce que tu me racontes là ? m’exclamè-je, de plus en plus abasourdi.
- Les Frères Wright, ça te dit quelque chose ? rétorque-t-il sans s’émouvoir.
- Les deux premiers aviateurs du monde ?
- Eux-mêmes ! En fait, c’était une idée en partie de ma pomme, je dois dire, se vante-t-il. Il s’agissait de deux polymorphes, des potes à mon frangin, qui devaient vous démontrer que les plus lourds que l’air peuvent quitter le sol. Une simple démonstration de la théorie des pressions… Vous aviez bien découvert les lois de la gravité mais vous n’étiez pas encore capables d’en appliquer les principes les plus élémentaires, alors on est venu vous montrer. Et ça marche plutôt bien, tu trouves pas ?
- Ben mince alors… fais-je, proprement sidéré.
- Mais vos versions civiles n’allaient pas assez vite. Alors, on s’est servi d’un clone pour remplacer un empereur allemand, lui affubler les labiales de stupides moustaches en pointes, sous un casque à pointe aussi, pour provoquer un petit conflit, vite fait, bien fait.
- La Première Guerre Mondiale, un petit conflit ??? Attends…me dis pas que Guillaume II était aussi un de vos potes ?
- Je viens de te dire que c’était un clone. Tu écoutes ce que je te dis ou pas ? me coupe le mécano d’un ton impatient. On a considéré les capacités intellectuelles des lascars de l’époque, puis on a regroupé dans un seul et même conflit tous les pays qui hébergeaient sans le savoir tous ces savants et puis, on a attendu que vous fassiez les découvertes requises pour franchir quelques étapes essentielles. Fastoche, mais un peu longuet, faut bien avouer. Quatre années pour tout ça, c’est un peu désespérant quand même. Mais bon, vous partiez de loin…
- Vous avez tué des millions de gens pour nous faire évoluer ? Mais vous êtes de grands malades !
- Non, on se porte à merveille, je te rassure. En attendant, quand vous avez fini un jour de vous massacrer, vous aviez en main les principes clés de la technologie de l’aviation… et en moins de quelques années, vous avez su faire des progrès corrects.
Je ne dis plus rien. Je me sens le jouet de ces malotrus et mon amour pour les héros de l’Espace en prend un sacré coup. Je médite en silence pendant que l’autre continue de boire, bien conscient de la tempête intérieure qui me dévaste en ce moment.
A côté de nous, un bruit sec retentit soudain. Ça fait comme un grand claquement et, tout de suite après, on entend des gémissements derrière le bar.
- Gnnn…ça fait mal…, fait une voix féminine.
- Attendez, je vais arranger ça, répond une autre voix, masculine celle-ci.
Les deux personnages, qu’on ne voit pas du tout, semblent faire de gros efforts. Que se passe-t-il ?
- Là…mettez votre main, là !
- Mais je peux pas, ça passe pas !
- Mais grouillez-vous, abruti ! Je vais pas pouvoir les tenir écartées encore longtemps !
- Attendez, je crois que ça va le faire… répond la voix masculine.
- Et mettez votre gros machin ici, bien à fond. Dites donc, vous...il est vraiment énorme, votre machin ! Oui, là…c’est mieux. C’est bien mieux, même… fait l’autre dans un gloussement comblé.
Je me demande ce qu’il peut bien arriver à ces deux-là et, un peu confus, je ne sais pas trop quoi faire. J’interroge Marcel du regard mais celui-ci est maintenant bien trop enivré pour m’aider. C’est alors que deux bras, longs et malingres, se plantent sur la table, juste à ma gauche. Toujours se méfier de la gauche. Toujours des coups fourrés à prévoir avec la gauche... La preuve : surpris, je sursaute sur ma chaise, n’osant tourner le regard vers le nouvel arrivant.
- C’est..beurgh..exact ! Ces gens sont de vrais fous ! Ils ont décimé des générations entières d’êtres humains pour se bricoler un moteur qu’ils ne sont toujours pas fichus de mettre en route ! C’est..hic..dég..heu…dégueulasse !
Je reconnais la voix de Koenig. Il est enfin sorti de sa cuite. L’haleine chargée qu’il exhale n’incite pas au rapprochement mais je sens qu’il va poursuivre mon apprentissage.
- Ce que cette boule de poils imbibée de bière vient de vous raconter est parfaitement exact. Mais il ne vous dit pas toute la vérité. Ils sont allés bien plus loin que ça pour tenter de réparer leur rafiot à la gomme…
Les effets de l’alcool se sont dissipés et le commandant ne tarde pas à retrouver toute sa lucidité. Il s’exprime avec précision. On sent le mec habitué à faire des rapports…un fonctionnaire de l’espace, en quelque sorte.
- La première guerre était l’idée saugrenue de leur moine au sabre laser. Une rude idée, pour sûr. Ils ont décidé qu’il serait plus rapide pour eux d’obliger des millions de pauvres bêtes bipèdes à s’entretuer plutôt que de perdre un peu de leur temps à nous apprendre tranquillement ! Il faudrait les foutre au feu !
- Que voulez-vous dire, Commandant ?
- Les foutre au feu ? Bah, vous les reliez en fagots serrés, avec un peu de paille sous les fesses, vous craquez une allumette et puis voilà ! Je ne vois pas ce qu’il y a de difficile là-dedans !
- Mais non ! N’allez pas vous rendre plus sanguinaire qu’eux avec des tortures moyenâgeuses !
- Et pourquoi pas dignes de l’Homme des Cavernes, tant que vous y êtes ! Vous ne savez rien, non, vous ne pouvez pas imaginer la longue liste de leurs exactions, à vos zéros du vide !
- Que voulez-vous dire ? m’étonné-je.
- Ce que le petit Marcel, avec son air con et sa vue basse oublie un peu de vous dire, c’est la suite immédiate, au moins pour eux, de leurs atrocités…
Il a prit un air accusateur, prolongeant ses mots d’un index maigrichon pointé vers la surface. Je tremble à l’idée de ce que je risque d’entendre dans les secondes qui viennent…
- Il a un peu oublié de vous raconter les choses dans l'ordre ! Important, l'ordre, Jamais oublier l'ordre ! marmonne-t-il dans la barbe qu'il n'a pas.
- D’abord, tu ne m’en n’as pas laissé le temps, vieille fiotte ! coupe Marcel, entre deux rots chargés en mauvais houblon.
- La ferme, assassin ! Je vais lui raconter les vertus de vos voyages dans le temps, bande de macaques ! éructe le commandant, les yeux injectés de sang.
Il se détourne de Marcel pour me faire face, cherchant à capter mon regard pour m’obliger à ne plus voir et ne plus entendre que lui. Plus conciliant à mon égard, il reprend :
- Quand il vous dit que Dark Vador est arrivé sur Terre dans les mêmes conditions que le Faucon Millénium, c’est en fait assez inexact. Il se trouve qu’avec les distorsions du Temps et l’infime retard qu’ils avaient sur les mercenaires, le vaisseau-mère de leur flotte est arrivé sur Terre… vingt ans plus tard. Une paille, n'est-ce pas ?
- Vingt ans à l’échelle humaine, voulez-vous dire ? fais-je, pas sûr de bien comprendre.
- En effet, mon jeune ami. Cette nanoseconde de différence dans les calculateurs de leurs vaisseaux s’est traduite par un écart dans le temps de près d’une génération humaine ! Et ce con de Vador n’est donc logiquement pas arrivé au même endroit, à cause de la rotation de notre planète. Il s’est gaufré dans les plaines de l’Europe de l’Est !
- Et alors ?
- Et alors ?? s’étrangle Koenig. Eh bien, ce sinistre personnage à pensé de la même façon que son abruti de congénère spatial ! Tout comme Kenobi, il a estimé que nous n’étions pas assez évolués pour l’aider à réparer les mêmes avaries que son vaisseau avait subies, lui aussi. Parce qu'en plus, il pensait pouvoir repartir tout seul, ce con ! Comment piloter tout seul un vaisseau-amiral de trois kilomètres de long et pesant des millions de tonnes d'aciers introuvables sur Terre, vous me direz ? Enfin, allez savoir pourquoi, il a aussi choisi un boche pour lancer le monde dans un nouveau conflit dont l’unique finalité, cette fois-ci, était de nous faire découvrir les admirables vertus de l’atome et de ses champignons stratosphériques !
- Vous voulez dire que…
- Soixante millions de morts de plus pour fabriquer une pile !! Oui, mon cher, une simple pile atomique ! Et juste pour amorcer la fabrication de leurs machines-outils ! Vous vous rendez compte ? Et comme ça n'a encore pas suffit, il a mis en place un système de républiques populaires qui a torturé et détruit encore plus de vies humaines ! Et tout ça pour des nèfles puisque, quand Obi Wan a détecté sa présence, il s'est fait serrer comme un délinquant à la sortie d'une boîte de nuit !
Je reste détruit d’une telle révélation. Comment se pourrait-il que des êtres aussi évolués puissent être aussi dénués de compassion ?
Une voix s’immisce soudain en moi, calme et posée.
Obi Wan…
- Mon jeune ami terrien… quelle compassion adresserais-tu à une colonie de fourmis ? Ne serais-tu pas des premiers à utiliser le feu ou n’importe quoi d’autre pour t’en débarrasser ?
- Je ne suis pas une fourmi ! protesté-je à voix haute, sans me rendre compte que je parle à une voix intérieure, sous les yeux à peine surpris de mes voisins de table.
- Médite, homme… rétorque la voix calme avant de disparaître de mes pensées.
Derrière le bar, le tintamarre reprend soudain.
- Je vous ordonne de la mettre ici, bien au fond ! C’est clair ?
- Mais, je ne peux pas, Docteur ! Mon engin est bien trop court !
- Je ne veux pas le savoir ! A fond et d’un coup sec !
- Merde ! Voilà, je vous dis merde ! proteste celui que je reconnais enfin pour être le professeur de la base Alpha.
Il s’ensuit le bruit confus de deux corps qu’on imagine facilement enlacés, lancés dans des joutes que la morale interdit d’évoquer mais qui exacerberaient les imaginations les plus fertiles… D’ailleurs, ça ne fait pas que libérer les esprits et les imaginations. Voici qu’arrivent enfin les membres de ce vaisseau enterré.
Et j’en reste baba !
Voici, en première ligne, casaques rouges et vertes, en soie peut-être, les principaux officiers de l’Enterprise, avec Spock qui joue des coudes pour passer la ligne d’arrivée en tête. Suivent en horde et en désordre des vagues de personnes que je ne connais pas personnellement mais dont je reconnais le logo cousu sur leur uniforme. Tout l’équipage des aventures de Star Treck se bouscule, vociférant presque pour ne pas se faire piétiner par leurs poursuivants immédiats qui luttent avec le même acharnement pour assister au spectacle ! Et voici Adamas et sa clique de chasseurs de Klingons, pourfendeurs patentés de l’Espace, issus du ventre des vaisseaux perdus de Galactica ! Le vieux chef aux cheveux blancs trottine aussi vite qu’il peut, les bras largement ouverts pour empêcher ses compagnons de le dépasser. En plus il hurle à qui ne veut pas l’entendre qu’il condamnera à faire la vaisselle pendant un mois toute personne qui se risquerait à lui damer le pion !
- Allez, plus fort ! continue de brailler Héléna Russel, puisque c'est elle, derrière son bar.
- Oh, ça va maintenant ! Je fais ce que je peux, d’accord ? proteste le prof, essoufflé.
- Plus fort ! Je sens que ça vient !
Malheur, tout cela ne fait que renforcer la détermination des arrivants à voir l’apothéose de la scène ! Koenig, écœuré, regarde passer les troupes devant nous, méprisant et hautain. Et ce qu’il dit de ceux qui passent me laisse sans voix…
- Voici Spock, et son abruti de Commandant James T. Kirk, arrivés chez nous dans la merveilleuse explosion de Toungouska de 1908 ! Ceux-là posent la question terrible : que font-ils ici, sachant qu’ils n’ont jamais rien eu à faire avec nos propres histoires ? Mais nous tenterons de répondre à ceci tout à l’heure. Voici Adamas, et ses stupides chasseurs, perdus par le plus grand des hasards dans les spirales temporelles d’une boucle qu’ils n’expliquent pas, seulement inquiets de se trouver un endroit où dormir au soleil couchant ! Et je n’oublierai pas de préciser qu’eux, rien qu’eux, sont la cause directe de l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl en 1986 !
Des types arrivent en masse, sortis de je ne sais où. Jamais vu autant de morphologies différentes en si peu de temps !
Bientôt le restaurant est plein à craquer ; il y en a même qui grimpent sur notre table, manquant nous renverser et nous piétiner. Terrorisé, je me cache comme je peux sous une chaise. Bon j’avoue que ça ne protège qu’une maigre partie de mon anatomie mais, vu les circonstances, j’estime que je dois tout faire pour protéger mes côtelettes ! Koenig, tel Léon Zitrone aux plus belles heures du tiercé du dimanche à Vincennes ou à Saint-Cloud, continue la liste de tous ces spacemen, présents sur Terre depuis un temps insoupçonnable, à chaque fois auteurs d’une retentissante catastrophe terrestre !
De l’autre côté du bar, la situation arrive à son paroxysme, certaines onomatopées couvrant le bruit ambiant de la foule hystérique.
- Oh, p… c’est bon, ça ! Continuez comme ça, on va y arriver en même temps !
- Mais vous n’allez pas vous décidez à la fermer une bonne fois pour toute, vieille mégère !? Vous me faites perdre tous mes moyens !!
- Allez, fidèle compagnon, pousse encore un peu plus et tu me libèreras !! supplie la doctoresse.
Maintenant, je pense que le bar risque de s’effondrer sous le poids des nombreux matelots de l’espace qui continuent de s’agglutiner alors que la salle est presque à exploser. L’air me manque, je suffoque presque, et j’ai une peur panique de me faire écraser sous une montagne de viandes venues des confins du Cosmos. Mais Koenig de continuer ses révélations qui continuent, aussi, de me couper l’oxygène, le tout dans un chaos que le Diable en personne ne saurait organiser avec autant de maestria !
- Enfin, chers téléspectateurs, il me semble apercevoir celle qui, presque une légende tant elle se fait rare parmi nous, celle, donc, qui est à l’origine de la disparition des dinosaures eux-mêmes !! Arrivée il y a plus de deux cents millions d’années au large du Mexique actuel, dans les flammes infernales d’un énorme météore, qui n’était en fait que les restes incandescents du Nostromo, elle est bien là, avec nous ! C’est incroyable, oui, je vous confirme la venue exceptionnelle de celle qui a permis aux Hommes de prendre un jour le contrôle de cette planète pourrie. La voici qui avance avec la féminité céleste qui la caractérise depuis ses ultimes démêlés avec la terrienne Ripley, disparue dans une maternité perdue au fin fond de la Voie Lactée, et qui se fraye un chemin sans difficulté jusqu’à nous. C’est incroyable, vous dis-je !!!
- Bon aloooors ? Tu te décides à nous dire qui rapplique, oui ou m… ? clame alors la voix de Dark Vador dans des haut-parleurs dissimulés dans les faux plafonds.
Imperturbable, ou alors devenu définitivement taré, le Commandant de la Base Alpha poursuit son reportage. A mon unique intention, j’en suis parfaitement conscient, quoiqu’à l’instant présent je m’en fiche éperdument, seulement attentif à ne pas mourir prématurément.
- Mesdames et Messieurs, je vous demande de faire une ovation à la plus prestigieuse de nos colocataires de ce vaisseau de merde…voici en personne la sublissime, la merveilleuse, l’incroyable, l’irremplaçable, la divine…
- Ta gueuuuule !! clame soudain la totalité de la foule, au comble de la surexcitation.
Vexé, Koenig me jette un regard réprobateur mais, moi, d’une simple œillade désespérée, je le convaincs de ne pas faire ce qu’on lui demande.
- Voici donc Alien, elle-même, toute en armure et en acide à la con, que je vous conseille de ne pas approcher sans prendre le risque insensé de mourir dans d’horribles gargouillis sulfuro-azotés !!
Je vais me faire dessus quand j’entends le nom de la bestiole qui se pavane avec majesté parmi nous ! Et pire encore quand, se glissant entre mes jambes ouvertes, je sens l’haleine fétide de la bête frétillante et glauque à n’en plus pouvoir qui sort largement de la gueule du monstre !
Finalement, la terreur des thorax ou des abdomens se risque à ce qui voudrait être un sourire puis repart en direction du bar.
Il me faut quelques minutes pour reprendre mes esprits, vérifier que mes braies sont sèches, que mes mains ne jouent plus des castagnettes. Passé ces terribles instants, je réalise enfin que je ne risque absolument rien. En effet, si j’avais dû rendre mon âme à quelqu’un, il y a longtemps que je ne serais plus de ce vaisseau… pardon : de ce monde !
Alors, n’écoutant plus que ma curiosité, à défaut de courage, je sors de ma cachette inutile et je commence à escalader tout ce que je peux pour me diriger vers ce bar maudit. Je dépasse Koenig qui marmonne des stupidités à voix basse, tout seul dans son coin, puis je plonge tête la première dans la pagaille, grimpant sans vergogne sur les épaules des plus proches, rebondissant pour écraser des oreilles, ou des trucs qui y ressemblent, des nez et tout ce qui peut me passer sous les semelles.
J’arrive enfin au bord du bar mais, emporté par mon élan, je bascule derrière celui-ci, en profite pour me planter quelques éclats de verre dans les parties charnues de ma personne. Ma chute provoque un « Oooh… ! » gigantesque qui résonne dans tout le vaisseau et le bazar reprend de plus belle !
Et je vois les raisons de ce gigantesque bordel !
Allongés sur le sol jonché de débris de bouteilles, de sacs vomitifs et autres cochonneries indescriptibles, pleins pour la plupart, je découvre le Docteur Héléna Russel arc-boutée sur deux tuyaux en cuivre, luttant la sueur aux tempes et avec la dernière énergie pour libérer sa cheville droite, coincée Dieu sait comment pendant sa ronflette de post-cuite ! Et le professeur Victor Bergman tente encore d’introduire entre ses deux tuyaux une barre à mine pour libérer sa compagne. Mais le professeur ne sait pas comment se servir de cet outil, typiquement terrien, il faut bien l’admettre.
Alors, n’écoutant plus que mon courage, cette fois-ci je peux me targuer de cette vertu, je le repousse d’une chiquenaude, me saisit de l’outil et procède à un effet de levier magistral qui écarte les deux canalisations au point de les rompre.
Et ceci me vaut un inimaginable succès !
En effet, les deux tuyaux ne sont rien moins que les alimentations des fontaines à bière du bar !!
Alors, des hectolitres de bières blondes, rousses ou brunes s’échappent à flots épais et puissants, arrosant toutes les personnes présentes qui s’empressent de se prendre une énième biture. Et les voilà qui se roulent bientôt sous des torrents de houblons, couverts d’une fine mousse blanche, buvant à gorge déployée. Presque tout de suite, ils entonnent tous des chants paillards, que je me refuse, cette fois-ci, à retranscrire ici tant ils me font rougir de honte.
Tout ce que je peux dire, c'est qu'ils ne s’emmerdent pas dans le Cosmos !
L’orgie dure ce qui me semble être une éternité. Quand, des heures ou des jours plus tard, les fontaines se sont taries, que tout le monde à récupéré de cette gigantesque scène alcoolisée, la salle se vide petit à petit. Chacun retourne à son ennui quotidien.
Un peu plus tard encore, il ne reste plus que Marcel, acagnardé dans un coin, encore ivre mais assez lucide, cependant, pour me proposer d’aller faire un tour au frais, histoire de nous remettre de nos émotions.
Passablement ivre moi aussi, je l’avoue sans honte, je reste quelques instants, inerte et quasi-amorphe, avant de me lever. Ceci me demande des efforts surhumains. Enfin, pas loin.
Nous sommes sur le point de quitter cet enfer quand je tombe encore une fois de tout mon long, butant sur une chose dure et grise. J'en commence à en avoir ras-le-bol de tomber à chaque fois que je fais le moindre pas !
Je rouspète comme un charretier, promettant de mettre mon pied quelque part à celui qui s’est amusé à mes dépends quand, stupéfait, je reconnais la forme grise à mes pieds.
C’est vrai qu’on l’avait un peu oublié, celui-là !
Obi Wan Kenobi.
Annotations
Versions