Le Spationef Coincé (10)
- On pourrait parler un peu de toi, mon cher ami, non ? fait Obi Wan, l’air amusé.
- Pas grand-chose à dire…
- Au contraire ! Je suis surpris que tu ne me demandes pas pourquoi on t’a choisi, toi, et pas un autre…
- Pas la peine, même si je ne suis pas persuadé de la qualité de votre décision. Il y a bien meilleur que moi…
- C’est vrai, mais après tout, on trouve toujours meilleur que soi, alors pourquoi toi en particulier, me diras-tu ?
- Non, non…je ne te dirais pas.
- Alors, je vais le dire pour toi : géologue, physicien, mathématicien, philosophe, à tes heures perdues, c’est vrai, et puis un peu inventeur fou sur les bords. Ça ne te rappelle personne ? récite le Jedi d’un ton badin.
Je préfère ne pas répondre, un peu stupéfait des renseignements qu’ils ont de moi. Comment ont-ils pu réunir toutes ces informations ?
- Aucune difficulté, mon ami. Spencer est aussi un métamorphe, c’est-à-dire un être capable d’adopter à volonté l’apparence de son choix, je te le rappelle.
- Merci pour le détail, fais-je en maugréant. Donc, un mec plus balaise que toi pour ce qui est des transformations.
Mon ton sarcastique ne le fait pas réagir. Au contraire, il s’en amuserait presque.
- J’avoue que certaine disciplines m’échappent parfois, mais c’est une raison de plus pour te faire comprendre pourquoi nous avons besoin de toi.
- Attendez… vous prétendez détruire une planète, et pas n’importe laquelle puisqu’il s’agit de la mienne et vous espérez en plus obtenir mon aide !?
- Nous ne sommes pas sûrs que ta planète explose… Bon, c’est vrai que les chances de survie à la surface sont assez faibles, pour ne pas dire ridiculement infimes, mais il reste l’espoir, non ? Et puis, vous avez fait preuve d’une résistance incroyable à la plupart des fléaux qui se sont abattus sur vous, depuis toujours, alors il ne faut pas désespérer.
- Vous n’êtes qu’une bande d’assassins ! Ne comptez pas sur moi ; je ferai tout ce que je pourrai pour tout foutre par terre !
- On s’en doute un peu, soupire le vieux sage. C’est pourquoi nous allons devoir inhiber certaines pensées négatives en toi… Tu verras, rien de douloureux. Ainsi, tu pourras nous faire gagner un peu de temps pour résoudre quelques menus problèmes typiquement terriens.
- Jamais !
- Tu n’y perdras pas au change, tu sais ? Une fois notre vaisseau réparé, tu pourras venir avec nous et je t’aiderai personnellement à faire de toi un véritable voyageur céleste…
- Rien à foutre de vos étoiles ! Qu’irais-je faire avec les débiles de votre genre ? Vous ne faites que vous battre, détruire les planètes, faire votre petite guéguerre avec l’autre abruti de Vador, et tout ça pour quoi ? Hein, on se le demande quand même un peu ! Pour le pognon, vous aussi ? Alors, il faudrait que je quitte les tordus de ma planète pour aller me promener avec vos tordus à vous ?
- Nous pourrions te faire découvrir des merveilles dont tu n’as pas idée…
- Pour en faire quoi ? Les transmettre à qui ? J’ai pas vocation à être le dernier des Mohicans !
- Le dernier des quoi ? s’étonne Obi Wan.
Je me tais, ivre de colère. Il y a quelque chose d’épouvantable pour un être que de se sentir forcé, obligé, contraint. Mes liens ne sont rien, mais la promesse funeste d’être complice malgré moi me fout dans une rogne immense.
Je dois parer au plus pressé ; ils s'imaginent savoir qui je suis, ce que je suis. Il est évident qu’ils connaissent aussi mes activités réelles, le réseau de mes connaissances, les portes que mes fonctions peuvent ouvrir…
Je ne suis effectivement pas celui que je prétends être au quotidien, c’est-à-dire un modeste employé sans capacités particulières. J’ai toujours cultivé le secret et la discrétion et j’enrage un peu plus de constater qu’ils ont su me démasquer à mon insu.
Oui, je suis une tête pensante, une de celles qui se penchent sur des problèmes que la plupart des gens n’imaginent pas. Il a bigrement raison, le vieux singe, quand il dit que je suis une sorte de docteur Maboul dans mon genre. J’aime la prospection intellectuelle et scientifique. C’est vrai aussi que je suis sorti de la plupart des universités avec des valises de diplômes. Pas de ma faute ; j’aime ça !
Mon caractère un peu asocial me sert à garder un anonymat presque entier. J’ai souvent changé d’apparence, moi aussi, pour ne pas prendre le risque d’être poursuivi par tous les vrais malades au bras longs, comme je les appelle : les hommes de Pouvoir. Ceux-là sont aussi débiles et pathologiques que ceux qui me font actuellement face. Ils ne rêvent que de puissance, de destruction de leurs voisins, au nom d’idéologies qui n’ont pour seule fondation que leurs egos surdimensionnés. Je les connais tous, ceux-là. Ils sévissent partout dans le monde, indignes représentants des peuples et des nations, et ils ne manquent jamais une occasion de mettre leurs esclaves armés à mes trousses pour me convaincre de concrétiser leurs projets, leurs délires, par la force si nécessaire.
Heureusement que je suis plus malin qu’eux ; ils n’ont jamais pu me coincer bien longtemps et quand, par hasard, ils arrivent à mettre la main sur moi, ils ne peuvent pas me retenir bien longtemps. Simplement parce que cela ne fait pas la pelote des partis d'en face, ceux qui espèrent encore et toujours tirer les marrons du feu en me manipulant selon leurs besoins. Difficile pour la navigation nocturne, parfois, mais avec un peu de persévérance, j'arrive toujours à me sortir de toutes les situations. Je vais sûrement devoir rajouter quelque aliens dans la longue liste de ces fous furieux...
Je suis une personne à part, je dois bien le reconnaître. Tout le monde parle de surdoué. Je sais… ça décourage ou ça rend jaloux ceux qui me croisent et qui sentent que je ne suis pas comme les autres. C’est probablement ce qui alimente mon goût pour la pénombre et la discrétion. Ce qui nourrit aussi mon côté indépendant. Peu importe, en fait. Je n’ai pas la prétention d’être supérieur aux autres. Ça, ça relève de l’infatuité des médiocres, de ceux qui, alors dans une cour d’école, imposaient leurs volontés aux plus faibles et qui, devenus adultes, ont seulement changé de cour d’école pour continuer d’infliger au monde leur bassesse et leur mégalomanie.
La voie de la Science s’imposait donc à moi, dès le départ. Et j’ai pu, parce que j’ai toujours refusé d’entrer dans la danse des fous, faire avancer l’Humanité par petites touches, invisibles et salutaires. Entré depuis quelques années dans les cercles d’hommes et de femmes à mon image, heureusement nous sommes quelques milliers dans le monde, j’ai décidé un jour de contrer la folie des dirigeants de ce monde pour en empêcher, si possible, la destruction.
Pas simple, faut bien le reconnaître, et cette difficulté ne fait qu’accroître ma volonté et renforcer mes efforts. Alors, me faire coincer aujourd’hui par une bande d’ignares venus d’outre-lune et armés des mêmes intentions que les terriens me laisse pantois et songeur !
J’ai déjà une vague idée des questions auxquelles ils voudraient que je réponde mais je n’ai pas encore compris pourquoi, alors qu’ils disposent d’une technologie bien plus avancée que la nôtre, ils auraient besoin de moi. Je vais donc devoir composer avec eux pour le moment, le temps pour moi de concevoir un plan pour sortir d’ici. Il va donc être question de rester pragmatique, et de relever le plus grand défi que le Destin vient de m’imposer.
Parce que je déteste la violence, je dois d’ores et déjà concevoir une solution pacifique pour sauver mes contemporains, ma planète.
Et pour me sauver, moi.
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