Le Spationef Coincé (18)

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-    Hé, vous ne pouvez pas faire attention ! me fait une grosse femme qui vient de trébucher sur moi.

-    ‘scusez-moi ! fais-je d’un ton un peu mou.

Je me sens un peu déboussolé. Je suis…quelque part, ça c’est sûr, mais je ne sais pas exactement où. J’ai la tête un peu lourde. Un peu envie de vomir, aussi.
Ici, l’air est empuanti, chargé de gaz d’échappement. Et puis, il y a ce brouhaha plein d’écho qui me vrille les tympans ; des klaxons qui résonnent, des pneus qui crissent et puis, en fond sonore permanent, une sorte de conversation confuse et permanente qui bourdonne autour de moi. Ce ne sont que des morceaux de conversations qui s’approchent rapidement de moi puis qui s’éloignent aussi vite. Je ne me sens pas très bien… j’ai le cœur qui bat à toute allure, et puis je me sens poisseux, comme recouvert d’une fine couche d’huile sur tout le corps, ou quelque chose de ce genre. Je secoue la tête pour me ressaisir mais ça me flanque des vertiges qui n’en finissent pas. Très fatigué, je m’accorde quelques instants de répit avant de rouvrir les yeux.

Quand je m’y risque enfin c’est pour constater que je suis appuyé le dos à un mur gris et sale, au pied d’un immeuble inconnu, et qu’un flot continu de gens passe devant moi. Je n’aperçois que des attachés-cases et des sacs à main ! Réaction un peu stupide de ma part, mais il me faut encore quelques secondes pour réaliser que je suis avachi par terre, avec un petit carton devant moi, sur lequel est écrit que j’ai faim, que je me contenterais de peu pour remédier à ça. J’ai même un petit gobelet en ferraille rouillée avec quelques pièces de monnaie dedans ! Je tends la main vers celui-ci mais je constate avec effroi que je porte des vêtements usés et pourris au possible…

Et quand je me prends la tête à deux mains pour cacher ma terreur naissante, c’est pour sentir sur mes joues une longue barbe, drue et malodorante !

_    Oh la la… il a du m’en arriver de belles ! Et je ne me souviens de rien…

Je me lève, considère le monde autour de moi sans rien comprendre. C’est un quartier animé, avec de larges avenues encombrées de voitures, de bus, de camions et de taxis. Des taxis jaunes… pas comme ceux de San Francisco. Je ne les reconnais pas. Éberlué, j’ai une première intuition et je décide de rejoindre un angle de rue. D’une démarche encore un peu incertaine, je lutte à contre-courant dans la foule qui m’ignore totalement. Et quand j’arrive enfin à un carrefour, mon intuition se confirme immédiatement.
Je suis à New-York.

-    La journée promet d’être longue... soupiré-je d'un air un peu déconfit. 

J’ai passé le reste de la journée à tenter de comprendre. Quelques souvenirs confus en tête, quelques impressions, rien de plus. Mais le pire arriva quand, l’esprit ailleurs, je m’arrêtai à la vitrine d’une boutique d’électroménager. Il y avait plein de télés qui diffusaient les informations en direct. Je pus d’ailleurs constater que New-York valait largement San-Francisco et que les faits divers étaient les mêmes. La seule différence résidait peut-être dans ce stupide accent des habitants de la Grosse Pomme, ou encore le ton un peu hystérique des journalistes qui vendaient de la fin du monde à tours de bras. Mon regard allait d’un écran à un autre, sans s’accrocher à aucun. J’observais un peu plus attentivement une chaîne d’information.
J'écoutai avec attention une pulpeuse journaliste, outrageusement maquillée et qui tenait absolument à dire à tout le monde, quitte à le répéter pendant des heures et à la virgule près, que toutes les grosses huiles de la planète se réuniraient dans quelques jours pour trouver une solution aux problèmes du monde. Il y aura plein de monde, l’élite de l’élite, avec quelques grandes stars de la politique, quelques grossiums qui plaideront pour la survie de l’Humanité, cette chose confuse et informe dont ils parlent depuis toujours sans jamais savoir vraiment de quoi ils parlent…

Mais là n’était pas le plus important, le plus stupéfiant, le plus incroyable, le plus inimaginable. Enfin, le truc le plus fou qu’on puisse imaginer. D'ailleurs, qui pourrait croire qu'une réunion de bandits en costume-cravate serait d'une telle importance, n'est-ce pas ? La plupart du temps, tous ces gros bibendums ne se déplacent que pour profiter des petits-fours et du champagne.

Ce fut pendant une page de publicité, enfin, entre deux spots très exactement, que la chose m’apparut. Entre deux messages, il y avait un court instant, quelques fractions de seconde, pas plus, où l’écran devenait tout noir. Et, pendant cette fraction de seconde, j’eus l’incroyable vision d’un type que je pensais être à côté de moi. Par simple réflexe, je fis un pas vers la droite, pour le laisser voir un peu mieux l’écran qu’il consultait aussi. Mais ce type fit aussi un pas dans la même direction que moi…Je recommençais plusieurs fois ma petite gymnastique mais l'homme derrière reproduisait mes gestes à la perfection !
Pour une raison bien simple : ce type amaigri, hirsute, barbu à la diable, nippé dans des frusques rapiécées de partout…c’était moi !

Je pus m’en assurer après quelques dernières gesticulations devant la vitrine. Je n’en revenais pas ! Où donc était passée ma gentille bedaine de petit quadra citadin ? Et ma super chemise hawaïenne, ma petite chaîne en or à mon cou ? J’avais les joues creuses, mangées par une barbe rousse, drue et frisée, les yeux cernés de profondes rides, les cheveux presque blancs, ondulés. Un vrai philosophe grec ! Mon nez, maintenant fort et un peu aquilin attirait mon regard stupéfait. A vrai dire, je n’étais pas vraiment laid, j’avais même un peu de noblesse avec ce visage buriné, mais j’avoue que les épaules voûtées nuisaient un peu à ma stature…Un sacré coup de vieux !

Je crois que je suis resté planté devant la vitrine pendant des heures, changeant vite de place à chaque fois que je repérais un programme finissant pour profiter des quelques secondes d’écran noir. Si j’avais eu un brin de jugeote, il est probable que j’aurais fait un tour dans un bar pour aller m’observer plus en détail face à un miroir mais ma tenue de vagabond m’en avait dissuadé.

Quand vint l’heure de la fermeture de la boutique, un vendeur à l’air fatigué me regarda un peu étonné mais n’osa rien me dire, sûrement parce qu’il me prenait pour un sans-abri. J’aurais du en profiter pour lui demander quelques cents pour aller me payer un sandwich parce que, mince ou pas, je n’avais rien perdu de mon appétit ! Je crevais littéralement de faim. Une fouille totale de mes poches ne révéla rien d’intéressant sauf un curieux objet métallique, de la taille d’une petite boîte d’allumettes. Ce truc était parfaitement lisse, avec des angles bien nets, sans la moindre inscription. C’était lourd, froid. Rien de plus. Un truc parfait pour caler une porte, quoi.

Maintenant que je vous ai raconté tout ça, je n’ai plus qu’à me débrouiller pour trouver quelque chose à manger, ce qui me semble le plus important pour le moment. Peut-être qu’avec un estomac plein, ma tête acceptera de se pencher sur les innombrables autres problèmes que je sens poindre à l’horizon.
Je suis donc sur le point de jeter l’objet inconnu dans une poubelle quand, à cet instant précis, une voix venue de nulle part s’adresse à moi :

-    Ne fais pas ça, mon pote…

Allons bon, qu’est-ce que c’est encore que cette salade ? Voilà que j’entends des voix maintenant ! Par acquis de conscience, je jette un œil autour de moi, histoire de m’assurer que personne ne se cache dans un recoin sombre mais je ne découvre personne.

-    Ne cherche pas, mon vieux. Je te parle par télépathie. Ici, Agent… tu m’entends bien ?

-    Euh…vous voulez dire que c’est vous que j’ai en tête ? marmonné-je, un peu confus et inquiet de croiser quelqu’un qui me prendrait pour un fou à parler tout seul dans la rue.

-    On peut dire ça, rigole Agent. Ce petit objet noir dans ta poche est ton plus précieux outil, ne le perds pas.

-    Un transmetteur, ou un engin de ce genre, c’est ça ? fais-je un peu renfrogné alors que tous mes souvenirs bondissent en moi.

-    Un peu plus que ça, mais tu en sauras un peu plus dans les heures à venir. En attendant, je t'envoie une adresse à laquelle je t'invite à te rendre sans tarder.

-    Sinon ?

-    Disons que certaines personnes mal intentionnées pourraient se rendre maître de toi pour t'infliger quelques mauvais traitements…

-    C’est pour ça que vous vous êtes autorisé à changer ma silhouette, rouscaillé-je d’une voix de plus en plus indifférente au gens qui, effectivement, me prennent bien pour un demeuré à me voir soliloquer sur les trottoirs de New-York.

-    Allons, ne perds pas de temps. Tu sais maintenant où aller. Je t'expliquerai plus tard.

J’entends comme un déclic, comme un combiné téléphonique qu’on raccroche brusquement. Agent vient de couper la ligne, c’est probable.
Je n’ai plus faim, du coup...étrange, non ?
En plus, c’est vrai que maintenant je sais où je dois aller. Une adresse s'est inscrite dans mes pensées, avec l'image précise d'un angle de rue, ici, à New-York.
Alors, j’y vais !

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