Partie I - Déni (1.5)

17 minutes de lecture

1.5 - Lise Valriez

[Lundi 7 septembre, rentrée scolaire, 18h20 PM]

Je suis presque soulagée lorsque la sonnerie annonce la fin de notre première journée de cours. J'inspire une profonde bouffée d'oxygène en posant le pied dans le couloir bondé d'étudiants. Je n'aurais jamais cru que ces premières heures puissent être aussi épuisantes. Et lamentables.

Je traverse le bâtiment, en traînant un peu, sur les pas de Jess et Amber – qui ne cesse de me répéter que demain sera un autre jour et qu'elle ne me donne pas quelques semaines pour largement dépasser cette petite prétentieuse – jusqu'aux casiers des premières années. Je suis complètement détruite intérieurement mais je tente de ne rien laisser paraître en récupérant mes quelques affaires. Je compte profiter de ma soirée pour ouvrir mes premiers livres et commencer à travailler les matières les plus délicates. Ce que j'espère en réalité, c'est prendre un peu d'avance pour ne pas revivre cette scène de ridicule du début de matinée.

Jessica et Amber proposent gentiment de m'attendre pour regagner ensembles le dortoir mais je refuse poliment en les remerciant d'un sourire, empêtrée dans les nombreux sms envoyés par ma mère et ma sœur pour s'enquérir de cette première journée. Les deux jeunes femmes s'éloignent donc – non sans un dernier regard compatissant -, en énonçant activement quelques pronostics pour les cours du lendemain.

Je pianote rapidement sur mon écran tactile, choisissant consciencieusement chacun de mes mots lorsqu'une voix dans mon dos me fait sursauter :

- Hi !

Je me retourne, surprise, et me retrouve face à de magnifiques longs cheveux bruns imprimés de ce magnifique « wavy » très en vogue et un sourire trop raide pour n'être autre chose que moqueur. Que me veut-elle donc encore celle-là ? Je songe tout d'abord que la remarque ne m'était sans doute pas adressée et reporte mon attention sur l'écran de mon portable mais le regard insistant de la jeune brune pèse sur mon visage et je ne parviens pas à me concentrer suffisamment pour l'ignorer.

- Remise de tes émotions cariña ?

Je préfère ne rien répondre et me contente de refermer mon casier. Si elle espère me mettre en colère, elle peut toujours courir... Des filles comme elle, j'en ai croisé des centaines. Je les connais par cœur et je sais que la meilleure arme face à leurs railleries est le silence. Alors c'est ce que je fais. J'encaisse les coups en silence.

- Tu as perdu ta langue pauvre chou ? insiste la jeune femme, je t'ai posé une question, non ?

- Non, rétorqué-je sèchement, je n'ai tout simplement rien à répondre.

Elle prend un air faussement surpris.

- Oh mon Dieu ! Mais c'est qu'elle parle anglais finalement ! What a surprise ! En revanche, ton accent est toujours aussi nul, désolé chérie. C'est pourtant étonnant. Quel est ton nom déjà ? Ah oui, Valriez ! Il me semblait que ta sœur avait majoré ses années non ? Elle a dû hériter du cerveau familial, c'est dommage.

Je serre les dents et me retourne pour planter mon regard foudroyant dans le sien. Mais pour qui se prend-elle au juste ? C'est quoi son problème avec moi ? On ne se connait même pas ! Je ne sais même pas qui elle est !

- La ferme Cat !

Nous nous retournons d'un même mouvement surpris dans la direction d'une jeune étudiante à la jolie chevelure rousse et bouclée, un peu à la « Rebelle ». La dénommée Cat semble perdre pendant quelques secondes seulement son sourire avant qu'il ne s'étire de plus belle sur ses pommettes poudrées de blush rose.

- Oh Alison chérie ! Quelle joie de te revoir ! Pas trop dur de recommencer une nouvelle fois son année ?

- Et toi, rétorque la jeune femme en souriant à son tour, pas trop dur de devoir toujours rester aussi conne ?

Je ne peux m'empêcher de sourire. En revanche, le visage de Cat se décompose en une grimace assez comique. Les deux femmes se défient du regard un instant, avant qu'une étudiante aux longs cheveux noirs n'attrape Catalina par la main pour l'entraîner en direction de deux garçons postés en bout de couloir.

- Allez viens, on se tire.

Alison leur lance un dernier sourire railleur.

- C'est ça cassez-vous !

Cat se retourne afin de lancer un charmant doigt d'honneur à l'intention d'Alison.

- Désolé, reprend cette dernière en me souriant doucement, elle peut vraiment être chiante quand elle s'y met.

- C'est pas grave, elle a raison, de nous deux, c'est ma sœur la plus intelligente du lot, fais-je remarquer en hissant mon sac sur mon épaule.

- Dis pas ça, si tu as été acceptée ici, c'est que tu en as le niveau. Il te faut juste un peu de temps d'adaptation.

- Si tu le dis...

- J'ai quelques amis ici, sur le campus. Je serais ravie de te les présenter. Rassure-toi, ils ne sont pas tous comme elles [s'empresse-t-elle de corriger en voyant ma moue dubitative]. Le comité d'intégration organise une fête ce soir pour l'inauguration, tu devrais venir, tout le monde y sera.

- Euh... C'est gentil de ta part. Mais les fêtes, ce n'est pas trop mon truc tu sais.

- Tout le monde est invité. Mes potes y seront. Je t'assure que ça sera cool. Au fait, je m'appelle Alison.

- Lise.

- J'avais cru comprendre. Alors c'est ok pour ce soir ?

J'hésite un instant.

- Je suppose que je peux essayer de venir, oui.

- Super ! s'enthousiasme Alison, la fête est à huit heures dans le bâtiment de repos. Je t'attendrais là-bas.

-

Il n'est que sept heures et demi lorsque je termine enfin de ranger mes affaires dans mon petit espace. La fête du soir même ne cesse de repasser en boucle dans mon esprit. Que vais-je bien pouvoir mettre ? Est-ce qu'il y a un code particulier que je dois respecter ? Mettre l'uniforme du campus peut-être ? Je n'ai encore jamais été invitée à une soirée, encore moins une soirée d'intégration dans un campus huppé.

J'ai beau faire défiler tout mon dressing plusieurs fois, je ne parviens à me détendre. J'enfile une première robe fluide à la découpe stricte avant d'opter plutôt pour une jupe crayon et un chemisier léger que je retire en me débattant rapidement pour me laisser tomber sur mon lit, épuisée. Je pousse un long soupir. Cette année risque de me paraître finalement affreusement longue...

A huit heures, je parviens enfin à me décider pour un jean - tout juste acheté la veille de mon départ - et un débardeur noir sous une veste décontractée. J'hésite encore sur la façon de me coiffer, même lorsque je finis par remonter mes cheveux en queue-de-cheval et réajuster mon maquillage. Franchement, j'ai l'impression de faire une belle connerie. Et cette sensation ne me quitte pas tandis que je traverse une partie du campus, les mains dans les poches, en direction du bâtiment de repos.

La fête bat déjà son plein lorsque j'arrive enfin, les joues rougies par le froid. Une foule de personnes est réunie devant le bâtiment vibrant sous des tonalités de musique techno et des néons de toutes les couleurs.

Je pénètre dans le hall avec une nouvelle hésitation et écarte quelques groupes occupés à boire et rire aux éclats pour me frayer un chemin dans la foule. Je cherche pendant de longues minutes un point d'observation afin de trouver l'une des seules têtes connues de la fête mais même les escaliers menant au premier étage semblent avoir été pris d'assaut. Je finis par laisser tomber et me faufile jusqu'à la baie vitrée ouverte donnant sur le parc.

Je suis ravie de quitter l'atmosphère étouffante du hall et de retrouver un peu d'air frais. Même si la musique se fait moins oppressante au-dehors, les invités sont obligés de hausser la voix pour se faire entendre, donnant lieu à une joyeuse cacophonie. Malgré l'heure, plusieurs personnes occupent déjà les parterres pour rejeter tripes et boyaux, soutenus par d'autres tout aussi bancals.

- Hey Lise !

Je tourne la tête en direction de la voix qui m'appelle, surprise. Alison me fait de grands signes de bras. Elle est assise à même le sol, une bière à la main, entourée d'une flopée de gens que je ne connais pas. Je m'approche néanmoins vers elle, heureuse de trouver au moins un visage familier.

- Je suis contente que tu aies pu venir finalement !

Je suis légèrement intimidée à l'idée de devoir m'exprimer en anglais mais la présence de la jeune femme tapotant le sol juste à côté d'elle pour me faire signe de m'asseoir me réconforte. Je n'aurais pas supporté d'être placée près d'un inconnu.

- Lise c'est ça ? demande une jeune femme à la peau métissée et au sourire radieux, près de moi. Enchanté, moi c'est Emily.

- Enchanté, dis-je en serrant la main qu'elle me tend.

- Tu es nouvelle ici ?

- Je viens de rentrer en première année, expliqué-je, penaude.

Un éclat de rire franc me parvient et je tourne la tête en direction de la source de cette moquerie gratuite. Je ne suis pas surprise de trouver le visage rayonnant de la fille au magnifique wavy. Heureusement, le garçon de l'autre côté d'Alison m'adresse un sourire chaleureux derrière ses grands cheveux bruns et bouclés. Le piercing qui orne son arcade sourcilière lui donne un air « mauvais garçon » assez séduisant.

- Enchanté, je m'appelle Matthew. Tu fumes ? demande-t-il en me proposant aimablement une cigarette de son paquet.

Je lui adresse mon meilleur sourire de circonstance en refusant poliment sa proposition. Dieu sait que ça ne serait pas raisonnable...

- On va faire les présentations, annonce Alison. Tu connais déjà mon ancienne colocataire, Emily et voici sa meilleure amie, Trissia.

Je hoche la tête à l'intention de la grande blonde au visage pâle à ma droite.

- Voici Caleb et Catalina, qui sont aussi en deuxième année.

Le dénommé Caleb est un garçon de bonne stature au visage arborant un sourire aussi énigmatique que la jeune femme dont il serre affectueusement la main. Aussi blond et clair qu'il puisse être, celle qu'Alison a présenté comme étant Catalina est plutôt bronzée, avec des cheveux et des yeux d'un brun profond. Je les salue d'un signe de tête poli auquel ils répondent de la même façon avant de se lancer un coup d'œil qui me glace le sang.

- Ensuite Francesca et Samuel qui est en première année.

Samuel est la définition même de l'espagnol : de taille moyenne, le regard ombrageux, les cheveux noirs et le menton serti d'une petite barbe de trois jours qui lui donne l'air beaucoup plus âgé que ce qu'Alison vient de m'annoncer. Francesca est une jolie femme que je présume très certainement Palestinienne avec un joli visage et une sacré masse de cheveux bouclés. A côté, les miens paraîtraient presque disciplinés...

- Et enfin Zach !

Zach est sans doute le plus discret de la bande. Son regard fuyant ne fait que passer sur moi avant de se rabattre sur sa bouteille de bière. Certainement beaucoup plus intéressante, songé-je.

- Parfait, maintenant que les présentations sont faîtes, vous voulez faire quoi ? s'enthousiasme Caleb.

- On peut commencer par quelque chose de facile ? suggère Emily, un « je n'ai jamais par exemple » ?

- Quoi ? Encore ? râle Catalina.

- Oh allez ! C'est plutôt cool ! insiste Matthew.

- Parfait, je commence, annonce Caleb.

Je me penche doucement vers Emily.

- Attends, chuchoté-je, c'est quoi le but au juste ?

Etant totalement novice à ce genre de soirées, la plupart de leurs codes me sont encore totalement inconnus bien que ma sœur m'ait plusieurs fois parlés de ces soirées universitaires endiablées.

- C'est assez simple, répond la jeune femme, la personne qui prend la parole annonce quelque chose qu'il n'a jamais faite. Ceux qui se trouvent dans sa situation ne font rien, les autres boivent une gorgée. Ensuite, la main passe, et ainsi de suite. Si tu penses qu'une personne ment, tu peux annoncer « menteur » mais à tes risques ! Si tu as raison, elle doit vider son verre d'un seul coup, sinon, c'est toi.

Je n'ai soudain plus très envie de jouer et je dois me forcer pour garder contenance. Emily m'observe brièvement puis s'exclame soudain :

- Attends Caleb ! Lise n'a pas de verre !

Je pique un fard en sentant tous les regards se poser sur moi.

- Je...

N'ai pas l'habitude boire. Mais ma phrase ne parvient pas à son terme.

- Je vais lui en chercher un, annonce Matthew en se levant, de toute façon, je dois aller me resservir.

Il m'adresse un sourire chaleureux auquel je réponds avec soulagement. Un silence tombe sur le groupe et je m'en sens horriblement coupable. Heureusement, Catalina finit par demander :

- Alors tu es en première année ? A quelle branche te prédestines-tu ?

Je mets quelques secondes à comprendre que la question m'est directement adressée.

- La médecine.

- Médecine ? répète Caleb avec un étrange sourire, cool...

- Catalina et Francesca comptent aussi rentrer en médecine, explique Emily.

- Oh...

- Et qu'est-ce que tu fais en-dehors de la fac ? demande Triss en jouant avec l'herbe près d'elle.

- Je monte à cheval depuis que j'ai cinq ans mais je lis aussi beaucoup, je regarde des films, des séries...

Je suis totalement déstabilisée par le regard de Caleb. Catalina tente de l'intercepter pour le foudroyer mais c'est peine perdue. Elle me regarde donc avec un horrible sourire et continue :

- Tu es française si je me souviens bien, n'est-ce pas ?

- Oui, me contenté-je de répondre froidement.

- J'aime beaucoup votre accent à vous les Français.

Caleb doit se retenir de ricaner et je vois un sourire naître aux coins des lèvres de Zach. Heureusement qu'il fait nuit car je me sens rosir de honte. Voilà, on y est. Ce que j'avais finalement redouté est en train de se produire. Jamais je n'aurais dû accepter la proposition de Jade...

C'est - bien heureusement - le moment que choisit Matthew pour revenir avec nos deux verres, sous un concert d'acclamations enthousiastes. Il me tend l'un des gobelets avec un clin d'œil avant d'aller se rasseoir. Je renifle le liquide afin d'en détecter le contenu.

Je ne suis peut-être pas une buveuse professionnelle mais j'ai déjà goûté à la plupart des alcools et celui-là a une odeur à la fois forte et sucrée très agréable.

- On peut donc commencer ! jubile Caleb, où est-ce que j'en étais ? Ah oui ! On commence par un truc facile : je n'ai jamais été en France.

Je sens que la pique m'est directement adressée, une partie des regards se tournent d'ailleurs dans ma direction, y compris celui – interrogateur – de Matthew. Je suis obligée de porter le gobelet à mes lèvres afin d'avaler une première gorgée. Je me retiens de grimacer. De la vodka. Pour un premier verre, j'aurais pu tomber bien plus mal...

- Allez ! s'enthousiasme Caleb, ne me dites pas qu'elle est la seule, je ne vous crois pas ! Alison ? Emily ? Francesca ?

Les filles se regardent en souriant avant de concéder d'un haussement d'épaules et d'avaler une gorgée, suivi, assez étrangement, par Zach.

- Super, à moi ! annonce Catalina en se redressant sur le sol avec panache, je n'ai jamais parlé français.

Là encore, son regard dévie en souriant dans ma direction et je sens une colère naître en moi. C'est quoi au juste leur jeu à tous les deux ? J'avale une nouvelle gorgée du liquide âcre et ne peut cette fois retenir un frisson. Emily suit encore la lancée sans rien dire, accompagnée par Francesca, Zach et Samuel.

- A toi Francesca, annonce Catalina, comme satisfaite.

- Je passe mon tour, annonce celle-ci.

Des huées accompagnent ses propos.

- je ne suis pas douée pour ce genre de choses, s'excuse-t-elle.

- Ok, alors à moi ! s'exclame Emily. Je ne suis jamais sorti avec un Français !

Je passe de rouge à cramoisi. Quoi ?! Les regards se posent encore une fois sur moi mais je suis incapable de bouger. Ils attendent, m'observent, s'attendant sans doute à ce que je boive. Mais ce n'est pas le cas. Les yeux de Catalina s'ouvrent de surprise.

- Quoi ? Ne me dis pas que tu n'es jamais sorti avec quelqu'un ? s'offusque-t-elle.

Je fais la moue, ne sachant que dire. Non, je ne suis jamais sorti avec quelqu'un. Comme la plupart des filles de mon âge sans doute, j'ai eu quelques aventures, des gars de passage comme Théo... mais je ne me suis jamais vraiment engagée. Par peur sans doute. Et aussi par manque de temps, l'équitation et le lycée me prenant les trois quarts de mon emploi du temps.

- Sérieux ? poursuit-elle, jamais ? Tu n'es pas vierge quand même ?

Je sors brusquement de ma léthargie.

- Non !

- Menteuse !

- NON ! Ça n'a jamais été sérieux, c'est tout.

Elle hausse les sourcils, peu convaincue.

- Okay, tente de temporiser Caleb.

- Je suis sûre qu'elle ment.

- Tu veux aller vérifier Cat ? ironise Francesca.

- Ce n'est pas à moi de le faire !

- Je peux aider, propose Caleb.

La proposition fait rire Matthew mais je blêmis.

- On arrête de s'exciter les mecs ! coupe Emily.

- Putain Caleb !

- Hey mec !

Un nouveau garçon s'approche et enserre Caleb dans ses bras et j'accueille sa venue comme une bouffée d'oxygène. Il est plutôt beau garçon, jovial, avec un visage poupon et des yeux rieurs et un fort accent hispanique très agréable.

- Ça fait du bien de te revoir mec !

- Carrément ! Vous jouez à quoi ? demande le nouveau venu.

- On faisait un « je n'ai jamais », répond Francesca. Tu veux participer ?

- Wow cool ! s'exclame-t-il en s'asseyant près de Caleb.

- On était justement... commence ce dernier.

- En train de se dire qu'on allait changer de jeu, répond sèchement Catalina en foudroyant Caleb du regard.

La tension dans le couple est palpable et j'y vois une porte de sortie bienvenue.

- Ok, on a qu'à faire un souffle ou bois, suggère le jeune homme.

Francesca et Catalina soufflent d'un même avis.

- Oh allez les filles ! Juste un tour alors ! insiste-t-il avec enthousiasme. Qui joue ?

Caleb est le premier à lever la main, enthousiaste. Il saisit le poignet de sa copine pour le lever à son tour, malgré son air visiblement contrarié. A ses côtés, contraint, Zach lève également la main, entraînant finalement Emily, Triss, Matthew, Francesca et Samuel.

- Parfait, il nous manque donc une personne.

Il nous lance un coup d'œil inquisiteur à Alison et moi.

- Perso, je passe mon tour, annonce la jeune rousse en levant les mains devant elle.

Tous les regards se tournent donc dans ma direction.

- Pas sûre qu'elle accepte ce genre de jeux, ricane Catalina.

- Pourquoi ? demande le jeune homme, intrigué.

- Si bien sûr, je joue.

- Oooookayyy, parfait alors ! Tiens la jolie rousse, lève-toi et viens entre Caleb et moi. Triss, ça te dérange de te mettre à côté de Matthew ?

Je m'exécute, sentant le regard lourd de Catalina peser sur moi.

- Je rappelle juste le principe, on prend le papier entre ses lèvres et on le fait passer de bouche en bouche, si le papier tombe, on embrasse son partenaire, ok ?

- On connait les règles Estéban abrège !

- Fais donc tourner mec !

Je prends une profonde inspiration. Le jeune homme attrape une feuille de cigarette dans sa poche et la pose sur ses lèvres.

- Le secret, murmure Caleb dans mon cou, c'est d'inspirer ok ?

Je frissonne mais plaque mes lèvres contre le papier afin de le récupérer et me tourner vers Caleb. Ce dernier le récupère facilement et le tend à Catalina qui est la première à le lâcher, quoique je la soupçonne grandement de l'avoir fait exprès pour embrasser son copain devant nous. Le jeu reprend et le papier circule facilement jusqu'à Emily et Matthew où il chute encore. Les deux jeunes gens ne semblent pas mécontents de s'embrasser malgré l'air contrarié de Triss et le papier entame son second tour. Lorsque je vois Estéban se retourner dans ma direction, je dois me concentrer du plus fort que je peux pour rattraper le morceau de papier sans le lâcher, sous les « oh » surpris des autres. Mais l'inévitable finit par se produire au moment du passage à Caleb.

Des huées accueillent le geste puis une salve d'applaudissements.

- Le bisou ! Le bisou ! Le bisou !

J'inspire profondément. Courage. C'est juste un baiser, ça ne coûte rien... Je ferme les yeux pour échapper au regard meurtrier de Catalina et embrasse Caleb. Mais lorsque son baiser se veut plus insistant, je me décolle en fronçant les sourcils et lui décoche une gifle magistrale.

- Putain mais à quoi tu joues ?

Des rires et des huées ponctuent mon geste. Même Caleb et Catalina rigolent.

- On reprend ? demande ce dernier en souriant.

Non mais j'y crois pas ! Sérieusement ? Je ne peux plus le supporter.

- J'ai besoin d'une pause, annoncé-je en me levant.

-

Je me précipite à l'intérieur du bâtiment à la recherche des toilettes les plus proches. Je heurte par mégarde un jeune homme accompagné d'une jolie métisse aux longs cheveux bouclés et le contenu de son verre se renverse sur mon jean. Je retiens un juron et m'éloigne, furieuse. Je trouve enfin les W.C. et m'y enferme en prenant soin de boucler le verrou derrière moi. J'ai le cœur qui bat à cent à l'heure et une envie furieuse de frapper quelque chose mais la seule chose que je trouve face à moi c'est la porte, alors je m'acharne contre le battant. Je ne sais pas si le peu d'alcool que j'ai ingurgité y est pour quelque chose mais je sens ma rage contre cette soirée se décupler furieusement. Je les déteste. Je les déteste tous. Et je m'en veux. Je m'en veux d'avoir été assez stupide pour penser que je pouvais m'intégrer, moi, la femme invisible, la petite chose frêle et malade, l'inexpérience totale...

Lorsque je suis enfin calmée et que mes mains sont en feu d'avoir autant frappé, je sors et m'approche du lavabo. L'image que me rend le miroir est horrible. Mon nouveau jean est ruiné... J'ai beau frotter comme une forcenée encore et encore le tissu, le seul résultat que j'obtiens, c'est une marque délavée toujours plus grande. Je finis par jeter l'éponge en soufflant, les larmes aux yeux. Je suis dévastée. Je me sens vidée de toute mon énergie. Plus rien. Je suis épuisée.

J'attrape mon portable dans la poche de mon jean et tape mécaniquement le numéro d'Amber sur mon téléphone. Elle ne décroche qu'au bout de la seconde sonnerie et demande d'une voix ensommeillée :

- Allô ?

- Amber ?

- Hum hum...

- Je te réveille ? Mince ! Quelle heure il est ?

- Minuit passé, annonce-t-elle d'une voix ensommeillée.

- Oh pardon, je suis vraiment désolée !

- Non, rien, c'est pas grave, répond Amber d'une voix pâteuse, mais attends... tu es à la fête ?

- Oui... Je pensais... Alison pensait que ça serait une bonne idée pour que je me fasse des amis bref...

- Lise, il y a un problème ?

Devant la voix angoissée de mon amie, je ravale mes larmes.

- Non, ça va t'inquiètes. Je voulais juste vérifier qu'on se retrouvait bien à la cafétéria ensemble demain matin, avant les cours.

- Oui bien sûr ! Je passerai te chercher devant ta chambre à neuf heures ça te va ?

- Ouais, c'est parfait ! Pardon pour le dérangement vraiment, je ne voulais pas te réveiller...

- Non ce n'est rien. Mais tu es sûre que tout va bien ?

- Oui, oui, je dois te laisser. Bonne nuit Amber.

- Bonne nuit Lise.

Je raccroche en sentant une boule se former au creux de ma gorge. J'ai les yeux qui piquent et je dois étouffer un bâillement. Je vérifie l'heure sur mon portable. Minuit vingt-trois. Amber a raison, cette fête était vraiment une mauvaise idée. Je range mon portable, enfile ma veste et sors des toilettes avant de redescendre les escaliers menant au hall principal.

Je sais qu'il serait totalement impoli de quitter la soirée sans aller remercier Alison pour l'invitation et la gentillesse mais je sens que je manque de courage. Un petit remontant m'aiderait sans doute alors je me dirige vers la cuisine où se tiennent agglutinés une bonne partie des invités.

***

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