11 Le repas
Le lendemain je goûtais aux joies du farniente, l'appréciant d’autant plus que la semaine avait été rude physiquement et moralement.
Vers onze heures je me décidais à me lever. Pas que j'en eu envie mais le rendez-vous étant à onze heures trente elle était capable de me virer du lit si j'étais encore couché.
Finalement je sortis de chez moi avec une dizaine de minutes de retard. Sa voiture stationnait devant mon portail. Elle était restée au volant et m'attendait sans impatience. Elle me lâcha quand même une petite réflexion sur un ton sarcastique,
- Vous me décevez : arriver en retard à un rendez-vous avec une dame ça ne se fait pas. D'habitude c'est plutôt elle qui se fait désirer.
J’essayais de m'en tirer par une pirouette.
- Ah mais je ne savais pas que j'avais rendez-vous avec une dame. Je pensais qu'il s'agissait de mon impitoyable coach, accessoirement lieutenant de police.
Sa réaction me surprit. Elle sembla peinée que je recentre les débats sur mon entraînement et son attitude devint plus distante. Je me mordis la langue : une fois de plus j'avais gaffé d'entrée de jeu. Et après ça les gens s'étonnent que je sois encore solitaire à mon age. Zut je n'ai que trente deux ans après tout, mais je dois avouer que j'y crois de moins en moins.
D'un ton neutre elle me précisa qu'elle m'emmenait dans un restaurant asiatique, si cela me convenait bien sûr. J'acquiesçais volontiers.
L'établissement était haut de gamme. Des décorations orientales magnifiques, une musique discrète, des employés stylés. Le maître d’hôtel lui fit une petite révérence en l'appelant Mademoiselle Dautun. Elle était donc une habituée de ses lieux. J'étais surpris, l'imaginant manger dans des restaurants moins raffinés. Lorsque l'on dit lieutenant de police judiciaire on s’attend à une personne un peu « beauf », passant des heures en planque et se nourrissant de sandwichs et de bières. Le lieutenant Dautun avait donc une face cachée, elle appréciait des plaisirs plus raffinées. Une épicurienne ! Et elle était célibataire ! Voulait-elle me draguer ? Je ne savais pas dire si cette possibilité me faisait plaisir ou peur.
Au début du repas nous n'abordâmes que des sujets consensuels du style « vos enquêtes marchent bien ? » ou « Chercher du travail en ce moment ce n'est pas trop dur ? ». Mine de rien elle essaya d'en savoir plus sur mon compte. Je pris sa tentative avec amusement et décidais de la contrer.
- Je vois que ma petite personne vous intéresse et pas seulement mon don. Rassurez-moi, vous avez fait votre petite enquête avant de « m'embaucher ». En tant que policier vous avez certainement accès à des information confidentielles sur mon compte.
Elle rit en voyant sa tactique éventée et me répondit sur le ton de la plaisanterie sans essayer de finasser.
- Bien sûr ! Ainsi ai-je appris que vous avez eu des problèmes en étant mineurs mais je n'ai pas réussi à en savoir plus, dossier confidentiel. C'est frustrant.
J'étais surpris qu'elle soit allée si loin et surtout qu'elle ne le cache pas. J'étais aussi contrarié qu'elle soit, même partiellement, au courant de cette tâche sur mon C.V.
- Ne comptez pas en apprendre plus maintenant. Je sais très bien que tout ce que je dirai pourrait être retenu contre moi.
Elle rit encore. La voir rire était un spectacle déroutant. N’oublions pas que je l'avais d'abord connue ayant l'attitude sérieuse et un peu inquiétante du limier en chasse d'indices pour confondre le coupable, c'est à dire moi. Son visage devenait plus ouvert, ses yeux pétillaient de malice et son corps se détendait, oubliant pour quelques secondes sa raideur naturelle.
- Oh mais j'ai appris d'autres choses gravissimes, comme par exemple votre propension à ne pas payer vos P.V. ! C'est idiot, ils vous reviennent majorés et finalement vous êtes bien obligé de mettre la main au porte-monnaie.
Je soupirais mais là encore je m’abstins de tout commentaire.
- Vous allez me dire que vous les oubliez régulièrement dans votre boite à gants.
- Si vous faîtes les demandes et les réponses notre discussion va tourner au monologue.
Elle secoua la tête, faussement navrée.
- Je crois plutôt que c'est du laisser aller de votre part. Pourquoi faire le jour même ce que vous pouvez repousser au lendemain.
J’eus un sourire sans joie. Lorsque je rentrais dans ma petite maison le soir personne ne m'y attendait. Toute la journée j'avais donné le change mais là, devant le couvert unique sur la table de la cuisine la solitude m'accablait. Elle perçu ma mélancolie soudaine et se hâta de changer de sujet. Je lui en fus grès. Malheureusement le nouveau était pour moi aussi douloureux que l'ancien.
- Vous m'avez caché aussi être présent sur un site de rencontres. J'ai d'ailleurs remarqué que vous n'y êtes pas très actif.
- Je m'y suis inscrit un soir de déprime mais je ne crois pas à ce style de rencontre. Je suis de la vieille école et je préfère connaître les femmes dans leur vie de tous les jours avant de...
- Les draguer ?
Elle partit dans un fou-rire un peu forcé et je l'accompagnais, la sentant plus complice que critique.
- Franchement, dragueur n'est pas le terme le plus approprié me concernant. Amoureux transis un peu plus.
Elle rebondit sur ma réponse.
- C'est vrai ça ! Vous avez parlé à mon collègue de la caissière de la supérette dans des termes... N'auriez-vous pas le béguin pour elle ?
La question avait été dite comme une moquerie mais son attitude plus tendue était en désaccord avec le ton employé.
- Hum... je ne suis pas le seul. Il faut reconnaître que certains fantasmes ne sont pas forcément faits pour être réalisés mais occupent plaisamment l'esprit.
- Et une policière en uniforme fait partie de ces phantasmes ?
Elle avait un peu rougi en posant la question. J'étais stupéfait de son audace. Le silence dura un peu trop longtemps et un petit malaise s'installa. Je pensais à un certain DVD X de ma collection et ce fut à mon tour de rougir. J'essayai de revenir au ton badin précédent pour détendre l'atmosphère.
- Hum... Joker !
Nous eûmes tous les deux un petit rire forcé. Je profitais de l'occasion pour prendre l'avantage.
- Mais dites moi, mademoiselle Dautun, vous avez bien quelques fantasmes vous aussi. Alors quels sont ils ? Ne me dites pas que vous avez envie de passer les menottes à un homme qui vous plairait pour abuser de lui.
Elle rougit et j’eus peur de l'avoir mis mal à l'aise mais sa réponse vint très vite, déstabilisante.
- Pourquoi donc ? Vous serriez intéressé ?
Je l'avais cherchée, je l'avais trouvée. Que dire de pas trop compromettant sans paraître un dégonflé ?
- Hum, la prédatrice montre le bout de son nez !
Après cet échange plein de sous-entendus nous revînmes à des sujets plus consensuels. Puis, le repas terminé, elle proposa de me raccompagner dans mes pénates. Nous roulâmes en silence un moment puis elle me demanda soudain.
- Ai-je vraiment une allure de prédatrice ?
Visiblement ma petite remarque la turlupinait. Je décidais de jouer franc-jeu, comme elle.
- Le terme est un peu fort. En fait vous semblez être une personne décidée, qui sait ce qu'elle veut, et qui se donne les moyens de l'obtenir. Cela vous convient-il mieux ?
Elle ne me répondit pas, faisant semblant d'être absorbée par la conduite. Nous étions arrivés devant chez moi. Par politesse je lui proposai le fameux dernier verre mais elle déclina l'invitation et j'en fus soulagé.
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