14 La mission
Nous roulions vers notre destin. Le lieutenant Dautun conduisait en douceur, déterminée et sereine. J'aurais aimé pouvoir en dire autant.
Avant de quitter mon domicile elle avait vérifié ses armes attentivement. Un fusil court et un pistolet. Ne me demandez pas leur marque ou leur calibre, je ne m'y connais rien. Pour moi c'était seulement des objets de mort et ils m'effrayaient un peu. Si elle avait voulu que je porte une arme je crois que j'aurais refusé. De toute façon je n'aurais pas su m'en servir.
Soudain elle ralentit et éteignit ses phares.
- Hé ! Que faites vous ?
- Nous approchons. Je veux mettre toutes les chances de notre coté. La lueur des phares aurait pu attirer leur attention. Ne vous en faites pas, la nuit est claire et j'y vois suffisamment.
- Justement cette nuit claire nous met en danger d'être repérés de loin.
Je crus qu'elle allait se moquer de mes appréhensions mais il n'en fut rien.
- C'est un inconvénient. Nous devons faire avec. D'un autre coté vous avez besoin d'avoir une bonne vision pour atteindre votre cible. Alors...
Nous finîmes le voyage en silence. Elle gara sa voiture dans un petit chemin menant vers des champs, invisible depuis la route. Une fois dehors je me rendis vraiment compte que nous allions la faire cette mission de dingue. Mais l'heure n'était plus à l'examen de mes états d'âme. Elle rangeât son pistolet dans son holster et prit la carabine à la main.
- Allez, on y va.
Nous descendîmes au bord de l'eau par un sentier de pécheurs raide et glissant. Visiblement le lieutenant Dautun avait fait d'autres reconnaissances sans moi. Un chemin suivait la rivière en direction des docks.Je l'avait déjà observé depuis l'autre rive hiers soir. Au bout de cent mètres elle s'arrêta.
- Vous allez continuer tout droit jusqu'à être assez prêt pour ce que vous avez à faire. Ici nous sommes invisibles, protégés par la végétation. Arrivé en limite des buissons vous allez attendre. Au delà vous êtes à découvert. Vous patienterez jusqu'à ce que je les attire dans une direction opposée puis vous courez jusqu'au petit muret qui limite le parking. De là vous êtes suffisamment près de la cible pour la détruire.
- Et comment je saurais que la voie est libre ?
Elle sourit.
- Vous l'entendrez.
Son plan était dingue. Elle était complètement dingue et par la même occasion moi qui la suivais j'étais dingue également. Elle continua ses explications.
- Une fois en vue du bâtiment n'oubliez pas, la deuxième fenêtre à partir de la gauche, celle qui est murée avec des briques. Le labo est juste derrière. Tenez, prenez cette cagoule, elle vous rendra moins visible sous la lumière de la lune et même s'ils vous voient ils ne pourront pas vous identifier. Je vais mettre la même.
Elle me pris par le bras pour m'obliger à stopper et me regarda droit dans les yeux.
- Je compte sur vous. Ne flanchez pas sinon j'aurais pris tous ces risques pour rien.
Elle hésita avant d'ajouter :
- Rendez-vous à la voiture. Si je ne suis pas là au bout d'un quart d'heure c'est que cela s'est mal passé pour moi. Dans ce cas vous filez discrètement. Tenez voici le deuxième trousseau de clés.
- Et je suppose que ces consignes sont aussi valables dans l'autre sens, si j'ai un problème.
Elle prit un ton grave et déterminé pour me répondre.
- Je me suis engagée à vous protéger et à vous exfiltrer de ce guêpier. Je le ferai, même au dépend de ma vie.
Impressionné par sa détermination je la suivis du regard alors qu'elle se mettait à courir sur un petit chemin remontant vers la route.
De mon coté c'était à priori une promenade de santé, au moins jusqu'à l’orée du bois. Je marchais comme un automate, en chassant de mon esprit toute pensée parasite. J'essayais de faire le moins de bruit possible même s'il était improbable qu'ils entendent le craquement d'une petite branche cassant sous ma chaussure.
Enfin j'arrivais à l'orée du bois. La lune éclairait trop bien le paysage à mon goût, aussi je suivis scrupuleusement les instruction du « chef » et me mis à couvert.
L'attente fut vite insupportable. Dans mon esprit les hypothèses les plus folles, et surtout les plus pessimistes, tournaient sans relâche. Parfois je sursautais au bruit d'un remous dans le courant venant frapper la rive en dessous de moi. Mais rien ne se passait. Je devenais fou.
Soudain des cris, des bruits de course, puis un coup de feu. Mon cœur avait manqué un battement. Qui avait tiré ? Était-elle blessée, ou morte ? Brusquement ses instructions me revinrent en mémoire : courir jusqu'au petit muret délimitant le parking.
Je m'élançais mais au bout de quelques pas je me jetais à terre. Un homme surveillait les abords de mon coté, l'arme à la main. La diversion du lieutenant Dautun n'avait pas complètement fonctionné. Que pouvais-je faire ? Décrocher de ma position et me replier vers la voiture alors qu'en ce moment elle risquait sa vie ? La rage me prit. Non, pas question d'abandonner !
Je décidais de ramper jusqu'au muret. Facile à dire, moins à faire sur ce terrain caillouteux. Je m'approchais péniblement, imaginant que l'homme pourrait m'entendre et me surprendre, allongé sur le sol, cible parfaite et impuissante. Au loin j'entendis encore des cris. Ils ne l'avaient pas encore attrapée !
Je redressais prudemment la tête. L'homme semblait nerveux et jetais des regards en arrière, là d'où venaient les cris. Il se retourna brusquement et je plongeais à nouveau derrière le muret. Il m'avait vu, j'en étais sûr ! Je vivais mes derniers instants. Mais rien ne se passa. J'attendis quand même un long moment avant de tenter un autre coup d’œil.
Il était toujours là, Ce n'était pas possible, nous allions échouer bêtement. Les cris se rapprochèrent. Il tourna à nouveau la tête vers leur origine. Et là je la vis. Elle courrait à perdre haleine, poursuivie par deux silhouettes sombres. Je me figeais en voyant l'homme le plus prêt de moi pointer son arme dans sa direction. Elle ne l'avait pas vu et s'était abritée derrière une benne de chantier pour tirer sur ses poursuivants, d'abord avec sa carabine ensuite avec son pistolet. Les autres ripostaient et les balles miaulaient autour d'elle ou faisaient sonner la benne comme une cloche. Inconsciente du danger elle tournait le dos à l'homme, offrant une cible parfaite à l'homme devant moi. Il prit son temps pour viser, sûr de son coup.
Non, elle ne devait pas mourir. Pas question ! Par réflexe je tendis le bras. L'homme s’envola pour retomber dix mètres plus loin. La vision de cette silhouette désarticulée planant dans les airs m'épouvanta. Qu'avais-je fait ? Était-il vraiment mort ? En tout cas il ne bougeait plus. Je venais de tuer un homme. Un haut le cœur me prit et je rendis mon dîner immédiatement. Je n'avais pourtant pas réussi à avaler grand chose. Lorsque je redressais la tête j’aperçus le lieutenant Dautun qui courrait vers moi. Au fond du parking deux silhouettes étaient allongées sur le sol. Elle sauta le muret et m'apostropha.
- Dépêchez-vous, d'autres gardiens vont venir. Faites moi sauter ce bazar.
Galvanisé je me redressais et cherchais des yeux la fameuse fenêtre murée. Je tendis le bras en visualisant une grosse explosion. Les briques qui obturaient l'ouverture volèrent en éclats puis plus rien. Nous nous regardâmes, désappointés, lorsqu'une terrible explosion eu lieu, suivie de plusieurs autres. Les débris volaient de partout. J’étais stupéfait, incapable de bouger.
- Mettez-vous à couvert !
Elle m’attrapa le bras et en me déséquilibrant me força à plonger derrière le muret. J'étais sur le dos et je l'avais entraînée dans ma chute, Elle se retrouva allongée sur moi. La situation était on ne peut plus gênante. Elle sembla d'abord confuse mais bientôt un sourire apparu sur ses lèvres. Elle rapprocha son visage du mien et sans plus de façon m'embrassa à pleine bouche. Lorsqu'elle se redressa elle avait une expression de triomphe et ses yeux pétillaient de malice.
- C'était trop tentant et comme vous ne vous décidiez pas j'ai du prendre les choses en main... comme d'habitude !
Elle avait prononcé la fin de sa phrase en me faisant un clin d’œil puis elle se redressa avant de m'aider à me lever à mon tour.
C'est seulement à ce moment là que nous repensâmes au labo. Le bâtiment était éventré, toutes les pièces donnant sur le devant étaient dévastées. Il n'y avait quasiment plus de façade et le plancher de l'étage ou ce qu'il en restait soutenait encore des moitiés de pièces exposant le mobilier restant comme dans une maison de poupée.
Elle m’attrapa de nouveau le bras.
- Allez, on se bouge !
N'ayant aucune envie de faire connaissance avec les trafiquants je la suivi volontiers. Nous courûmes sur le chemin de halage jusqu'au sentier de pécheurs. Là elle me fit passer devant.
- Dépêchez-vous. Je vous couvre en cas de problème.
C'est à ce moment là que je fus heureux d'avoir subi l'entraînement physique auquel elle m'avait astreint. Quelques semaines plus tôt je n'aurais jamais été capable de grimper rapidement la montée très raide qui nous ramenais à la voiture. J'entendais son souffle oppressé dans mon dos et ses encouragements fleuris.
- Allez on se magne le train... On a le feu au cul si vous n'avez pas compris... On n'est pas là pour ramasser des champignons... Plus vite feignant…
Dans un passage escarpé et glissant elle me poussa sans ménagement, la main sur mes fesses. Je fus propulsé vers le haut et passais sans peine l'obstacle. Comme je lui lançais un « Merci » je l'entendis grommeler : « Il ne faudrait pas que vous y preniez goût ! ». Heureusement la pénombre du bois cacha la rougeur qui me montait aux joues.
Enfin nous atteignîmes la voiture. Elle se rua au volant en me lançant un « Vite ! » agacé. Je la rejoignis précipitamment et nous repartîmes comme nous étions venus, phares éteints. Arrivée au bout de chemin elle scruta attentivement la route dans les deux sens avant de s'y engager. Après le premier virage elle remit les phares et écrasa l'accélérateur. Il lui fallut cependant un long moment avant de se décontracter.
- Maintenant on a de bonnes chances de s'en sortir.
- Ce n'est pas certain ?
Moi qui nous croyais sortis d'affaire je tombais de haut. Elle précisa sa pensée.
- Ce soir je me suis rapprochée un peu trop près de certains d'entre eux. Il est possible qu'ils aient pu m'identifier malgré ma cagoule. Si c'est le cas ils vont enquêter sur mon compte et là tout est à craindre.
- Mais enfin vous êtes de la police !
- Parce que vous croyez que je vais demander la protection de mes collègues après avoir fait sauter un labo clandestin sans autorisation, sans même que ce soit dans mes attributions ? Sans compter que j'ai laissé des corps au sol derrière moi, certains peut-être morts. Et comment expliquer l'explosion du labo sans vous mettre en cause? Non, croyez-moi, je ne peux compter que sur moi-même.
C'était la douche froide. Je réalisais que loin d'être terminé le cauchemar ne faisait que commencer.
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