Le rire de Valentine
I
Judith enleva, de ses pieds, ses pointes ; elle était la dernière dans le studio. Il faisait si froid que ses orteils étaient gelés, mais elle trouvait en cet endroit un réconfort qu’elle ne pouvait expliquer ! Elle prit soin d'éteindre le radiateur en sortant et de fermer la porte à clé.
Soudain, elle sentit une vibration dans son sac. Elle en sortit alors son gsm : c’était le scénariste, il voulait la rencontrer. Judith était danseuse dans une jeune troupe qui se nommait Stella. À côté, elle était serveuse dans un restaurant qui avait la particularité d’ouvrir uniquement très tôt le matin et très tard le soir.
Ce métier n’était pour elle qu’un moyen d’économiser pour créer sa propre compagnie de danse.
-Zut ! cria Judith qui venait de se rendre compte qu’il était déjà 16h30.
Elle courut vers sa voiture et démarra. Une fois arrivée devant la grille de l'école, elle attendit sa fille.
“-Salut m’man.
-Bonjour Valentine, ça c’est bien passé à l’école ?
-Bah, comme ça peut aller à l’école.
-Désolé pour mon retard, j’ai pas vu le temps passer !
-Ouais bah la prochaine fois, essaye au moins d’arriver avant 17h00 !
-Hooo.”
Valentine était la fille unique de Judith, elle avait 13 ans et, à cet âge-là, on râle tout le temps, du moins c’est ce que pensait Judith.
II
“-Salut vous, lança le mari de Judith
-C’cou p’pa ! répondit Valentine
-Salut ! Ta journée s'est bien passée ?
-Ouais, j'ai été faire les courses.
-Super ! Moi, je dois aller chez Lewis mais de toute manière il y a encore des restes d’hier, ok ?
-Super, alors à toute à l’heure.
-Bise, bise Valentine !
Personne ne répondit, alors Judith fit entendre un dernier soupir et partit chez son scénariste, Lewis Molipratte. Une fois arrivée, elle attendit un instant pour réfléchir : il faisait déjà noir et elle devait être au restaurent dans à peine deux heures. En général, quand Lewis parlait de 10 minutes de réunion, on partait alors pour une journée entière et tout le mois était par la suite rempli de soi-disant “réunions”. Elle devait donc tout faire pour éviter d’y rester trop longtemps, car, dans le cas contraire, elle serait en retard au restaurant.
Soudain un bruit sourd retentit.
“-Ha salut !
-Tu rêvais ou quoi ?
-Non je, je, oh c'est quoi ça ?
-De quoi, de qui ?
-Là, la petite cage !
-Eh bien justement, nous allons en parler, mais rentrons, il fait froid.
-C’est parti, se dit intérieurement Judith, on est partis pour l’enfer.”
Bien évidemment elle aimait son métier et les collègues qui l'entouraient, mais certains côtés étaient bien plus pénibles. Lewis lui parla pendant au moins 30 minutes de son projet de danse autour d’un personnage effrayant enfermé dans une cage. Au fond d'elle, Judith ne pensait qu’à une chose: aller au restaurant.
“- Oui, ain ain, oui super, j’ai, j’ai, oui mais je…”
Elle profita qu’il reprenne son souffle pour lui dire qu’elle devait y aller.
“-Ah oui, bien évidemment mais... enfin tu ne veux pas un café le temps que je t’explique la suite ?
-Non, je dois y aller.
-Non, aller je vais t’en faire un, ça me fait plaisir !
-Mais j…”
Avant même d’avoir pu prononcer la fin de sa phrase, Lewis était parti dans la cuisine.
“-Bon, dit-elle, je... j’y vais.”
Mais il n’entendit pas, il était trop concentré à lui expliquer ce qu’il avait en tête.
III
Judith venait de quitter le restaurant lorsqu’elle eu un mauvais pressentiment, comme si on avait enlevé de sa vie un élément, comme si quelque chose manquait. Cette chose c’était, c’était... Valentine ! Elle courut alors, démarra directement en seconde vitesse; elle ne savait pas pourquoi soudain elle avait eu cette inquiétude, mais elle était stressée et ne pouvait faire autrement.
“-Valentine !
-Mais enfin pourquoi tu cries ainsi chérie ?
-Laisse-moi, où est-t-elle ?
-Valentine, eh bien, dans sa chambre en train de dormir ou en tout cas avant en train de dormir, maintenant que tu l’as réveillée.”
Judith se rendit compte alors de la bêtise de son inquiétude. Mais juste par précaution, elle alla embrasser sa fille.
“-Tu vois, pas besoin de s'inquiéter !
- Désolé, je ne sais pas ce qui m’a pris, je euh, bref, c’était rien, juste un
petit stress !”
Elle était gênée de ce qu’elle venait de faire et presque même humiliée. Le lendemain, elle se réveilla en sueur. Sans doute, pensa-t-elle, l’émotion d’hier. Elle se leva, alla dans sa douche et, tout en laissant couler l'eau sur elle, elle réfléchissait à ce qu’elle avait vécu la nuit dernière : elle n’avait jamais vécu quelque chose de semblable auparavant.
Une heure plus tard, elle était dans sa cuisine en train de sortir du frigo les fromages et la confiture.
“-Salut m’man
-Oh, coucou ma puce ! Ça va, elle s'est bien passée la nuit ?
- Mmh … pourquoi t’as crié hier soir ?
-Je, j’ai vu, j’ai eu un mauvais pressentiment.
-D’acc, tu m’passes la confiture s’il te plait ?
-Bien sur, tiens.”
Après avoir déposé sa fille à l’école, elle alla au studio 83 pour pouvoir répéter la choré dont Lewis lui avait parlé. Là, une cage.
“-Ha te voilà, tu es en retard !
-Désolé, il y avait des bouchons.”
IV
“-Bien, bien, bien… “
Lewis venait d’entrer et applaudissait. Au fond d’elle, et elle ne savait pas pourquoi, Judith avait un certain dégoût pour cet homme, mais le respectait. À l'époque, Judith travaillait pour un job d’étudiant dans un magasin en tant qu’ours danseur. Une fois, Judith s’était lachée, elle avait dansé et dansé, mais cette fois-là, au lieu de danser la macarena, elle avait fait un contemporain magnifique, et alors Lewis l’avait remarquée. Depuis ce jour-là, elle avait travaillé en tant que danseuse, dans la compagnie Stella.
“-Judith ?
-Oui, oui j’arrive.
-Bien, j’aimerais que tu fasses un solo, quand tout le monde part, tu restes là et tu fais un contemporain, d'accord ?
-Oui, je vais essayer…”
La musique, les claquements de doigts de Lewis, le silence, l’odeur du chêne qui constituait ce studio, tout ça portait Judith dans une espèce de mélancolie ou de force. Puis d’un coup, elle eut le même sentiment qu’elle avait eu la veille, comme si elle était là en train d’observer des malfaiteurs, d’observer l'enlèvement de sa fille. Mais elle ne s'inquiéta pas, du moins elle essaya de ne pas s'inquiéter, car, après tout, ce n’était pas réel, non ?
15h30, déjà, pensa Judith.
“-Bon bye, à demain tout le monde.
-Au revoir.”
Judith était pressée, mais ne savait pas trop pourquoi. De toute manière, sa fille était à l’école toute la journée et n'aurait pas pu disparaître. Judith était à présent devant la grille de l’école. 1, 2, 3, 4, 20 minutes. Le cœur de Judith s’emballa, puis, “tudut tudut”, Judith regarda son gsm :“Maman, j’étais à l’étude j’arrive dans 3 minutes”.
4 mois plus tard
“-Coucou ma puce, bien dormi ?
-Ouais...
-Je travaille un peu plus tard aujourd’hui, c’est papy et mamy qui viennent te chercher. Tu t’en souviens, hein ?
-Oui maman, tu me l'as déjà dit une quarantaine de fois, sans compter celle ou c’est papa qui me l’a dit.
-Bon, j’te laisse. Bon appétit !
-Merci.”
Dans sa voiture, Judith sentait comme un malaise entre sa fille et elle, comme si Valentine cachait quelque chose.
“-ça va ?
-Bah oui pourquoi ?
-Non rien, rien… bonne journée, à toute à l’heure ; et c’est papy et mamy qui te prennent, souviens-toi.”
Et voilà, c’était parti pour une nouvelle journée de travail. D’abord, elle allait en répétition, puis au café avec Sandra, sa meilleure amie, puis devait aller à la banque, ensuite faire des courses, et avait enfin une de ses nombreuses réunions avec Lewis pour clôturer sa journée. Les répétitions se passèrent plutôt bien. Puis vint l’heure de revoir Sandra.
“-Hé, salut toi.
-Sandra ! Viens dans mes bras, ça fait combien de temps qu’on ne s’est pas vues déjà ?
-3 ans ? Ho, tu m’as trop manqué !”
Sandra et Judith se connaissaient depuis qu’elles avaient 14 ans et étaient inséparables. Mais avec leur boulot et leurs vies d’adultes, elles avaient cessé de se voir aussi fréquemment qu'avant.
Elles passèrent deux heures au restaurant et ne se turent pas une seconde. Finalement, elles finirent par se dire au revoir, mais restèrent encore une heure, là à papoter, afin de trouver une date pour se revoir. Judith était donc bien embêtée, car elle n’avait pas prévu de rester aussi longtemps. “Je n’ai pas le temps d’aller à la banque, ni d’aller faire mes courses. Oh et puis tant pis, de toute manière, je ne vais pas manquer grand chose, Lewis va surement parler de tous ses grands projets, et à mon avis, j’en ai déjà été informée pour plus de la moitié.”
La voilà donc partie, à faire ses petites courses. Une fois celles-ci terminées, elle s’empressa d’aller à la réunion, car elle ne voulait pas non plus faire l’impolie.
“-Judith, on t’attendait.
-Hem, désolée, j’ai eu des bouchons sur la route.
-Des bouchons, oui je sais, ça m'insupporte de voir qu’on a jamais la paix sur la route.”
À peine un fragment de seconde plus tard, il reprit son discours.
“Tudutut, tudutut”
“-Désolé je le coupe, continue ! dit Judith.”
Mais en voulant éteindre son gsm, elle remarqua que c’étaient ses parents. “Ho, je verrai ça plus tard.” Tout en le reposant, elle commença à ressentir une inquiétude profonde l’envahir. “Et si c’était grave ? “ se dit Judith.
“-Désolé, je dois prendre l’air, dit-elle.” Elle courut dehors, son gsm en main, et se dépêcha d’appeler ses parents.
“-Allô ?
-Judith, où est ta fille ?
- Qu’est-ce que tu racontes papa, Valentine est à l’école, n’est-ce pas ?
- On l’appelle, mais elle ne répond pas, et les professeurs viennent de fermer la grille.
-Hem, je vais essayer de, de l’appeler, attendez-la."
Judith sentait son coeur battre, elle sentait le sang couler dans ses veines, elle était en sueur, essayant d'appeler sa fille.
“-Judith, tu fais quoi ?”
Judith, elle ne se sentait plus, elle était trop stressée. Judith, elle venait de s'évanouir.
La suite reste à venir...
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